Ramadan 2003 à Rabat La modernité à l'ère de la mondialisation taille sa route en affaiblissant la force des us et coutumes, notamment religieuses. C'est dans l'air du temps qui voit les traditions ancestrales s'estomper peu à peu. La morosité remplace la ferveur d'antan. Dans la capitale du Royaume, autrefois bouillonnante de jour et resplendissante la nuit, le flegme l'emporte sur la magie du mois sacré. Les temps deviennent plus durs et les bourses plient devant les besoins de la consommation. Les mosquées sont désertes à l'heure du ftour et de la prière de l'aube. Le “Washington du Maghreb” somnole le jour et seule la légendaire Souika, dans l'ancienne médina, maintient un rythme d'animation où les bousculades, de jour comme de nuit, ont pris le pas sur le pouvoir d'achat érodé des consommateurs. Même les habitudes du panier ont singulièrement changé. Le Ramadan populaire 2003 a fait un triomphe à la “reine sardine” dont les grilleurs improvisés, sur leurs étals de fortune, pullulent dans toutes les ruelles en maintenant péniblement les assauts incessants des clients. Du coup, c'est la bonne soupe traditionnelle qui en prend pour son grade en étant quelque peu délaissée pour le poisson à 1,50 DH pièce et la viennoiserie des pauvres à 0,50 pièce. On survit comme on peut dans les couches populaires qui n'arrivent plus à faire face aux quantités de mets traditionnels savoureusement consommés pendant le mois de piété et de recueillement. Le double de la consommation d'un mois normal L'incomparable table marocaine au moment de la rupture du jeûne a été agressée par les envolées cyniques du coût de la vie où l'inflation des produits de grande consommation sévit en affectant les porte-monnaie et les couffins des ménagères mises au régime forcé. A telle enseigne que les mendiants sont en disette d'offrandes et que les voisins de palier vivent reclus dans leur habitacle. Comme il est loin le temps où l'on s'empressait de partager avec le voisinage les mets de la solidarité sociale et religieuse. “Les temps sont très durs et l'on est contraint de se contenter de très peu dorénavant”, le genre de témoignage itératif que vous livrent spontanément les citoyens en quête de bonne chère. Oui, la modernité matérielle a terrassé la collectivité solidaire intrinsèque aux nations islamiques en prônant le culte de l'individualisme outrancier. La difficulté viagère provient du fait que la consommation alimentaire et en denrées de subsistance double par rapport à un mois de consommation normale, y compris dans les foyers pauvres et à revenus limités. Le calcul rapide d'une table quotidienne pour une famille moyenne de cinq personnes nécessite un budget incompressible de 150-200 DH par jour. Entre la marmite de harira, les gâteaux au miel, les halaouyates incontournables, dattes, lait et repas de la soirée. Encore que sur ce registre, les traditionnels repas du dîner et du shour se sont confondus en une seule fournée avec le temps. Ces dépenses sont prohibitives pour la plupart des ménages dont les revenus moyens tournent entre 2.000 et 2.500 DH par mois. Soit un déficit de consommation minimale de … plus de 3.000 DH par foyer. De là se dégagent deux grandes catégories dominantes de la consommation ramadanienne : les plus nombreux qui se gavent de soupe et les privilégiés qui s'empiffrent de pâtisseries de luxe et de mets raffinés.Quand on sait que la moitié des Marocains se débat dans la précarité matérielle et qu'un grand nombre d'entre eux survivent avec moins d'un dollar par jour… La gymnastique ramadanienne n'en devient que plus redoutable et l'incertitude des lendemains sacrifie la quiétude des citoyens près de leur ventre par la force des choses. Cela explique, entre autres, la pauvreté culturelle qui sévit pendant le carême. L'on se demande ce qu'il adviendrait de larges strates du peuple sans le soutien précieux de la Fondation Mohammed V pour la solidarité sociale et ces centaines d'associations de bienfaisance qui sont actives dans les quartiers. Sans oublier aussi les centaines de mécènes pieux qui ne lésinent pas sur de généreuses donations en soutien aux familles les plus nécessiteuses. Le Ramadan s'endurcit au fil des ans même si les dévots et les Musulmans s'évertuent à sauvegarder la ferveur pieuse et les rites religieux attachés à ce mois sacré. Seulement, son avènement est de plus en plus redouté alors qu'avant on fêtait l'arrivée du carême avec joie. Le 1.422ème Ramadan a donné des sueurs froides aux bourses populaires. Si le mois de piété est toujours prêt à traverser les siècles en préservant l'essentiel, jusqu'où les braves Musulmans pourront-ils tirer sur la corde avant qu'elle ne se rompe ?