Abdallah Harrif est un militant passionné. Il est marxiste-léniniste, du genre ultra, mais rien ne le passionne plus qu'une conversation sur la bourgeoisie, le capital, les classes dominantes. Normal, dites-vous, il y a des réflexes inoxydables, inusables que même la nouvelle altermondialiste tentation n'y peut rien changer. Mais le plus en vue de nos ex-avantistes, toujours à cheval sur les vieilles convictions, en fait un peu trop quand il malaxe le tout, y ajoute le plan Baker, et rêve rêveusement ou vice-versa à l'unité maghrébine. Et pense, par-dessus tout, à l'avenir du Sahara. “L'affaire du Sahara est le prolongement direct, la conclusion, dit-il, de l'échec du mouvement de libération”. En lisant “Assahifa”, on serait tenté de lui donner raison. Un petit détail : “le mouvement a échoué. Car il est resté cantonné dans un nationalisme étroit”. En clair : l'affaire du Sahara, de l'intégrité territoriale, de la légalité, de l'histoire du Maroc, ne serait que l'émanation d'un chauvinisme marocain, qui, vous vous en doutez, en a fait un peu du sien. Le pire est encore loin. L'avenir n'en serait que plus sombre. Aucune solution, martèle-t-il, ne serait adéquate tant qu'il y a “le raisonnement nationaliste étroit”. Je ne sais pas si vous suivez le raisonnement et sa douce indifférence qui vous renvoie dos-à-dos avec tous les bornés de la terre, mais Abdallah Harrif, le commandante d'Annahj, est sentencieux : “aucune solution ne peut avoir lieu sans le rejet de ce patriotisme étroit et restreint. Il faut chercher à édifier des alliances avec les autres mouvements de libération (car, paraît-il, ils sont légion en Algérie et ailleurs). Au lieu d'une unanimité à la sauvette (sic) ou quelque chose d'autre qui, comme déjà souligné, s'inclut dans le patriotisme chauvin”. Voyons voir et examinons cela de plus près : si vous êtes Marocain, vous défendez l'intégrité territoriale de votre patrie, et donc, vous en faites la priorité de toutes les priorités, c'est que vous êtes un chauviniste, un nationaliste douteux. Si le sort de votre pays, ses droits sur ses terres et provinces vous tiennent à cœur, c'est que vous n'êtes pas loin d'être un patriote désabusé. Pire, un fasciste potentiel puisque, entre chauvinisme et chemise noire, c'est presque du même au pareil. Concrètement, si les différentes composantes de la nation sont unanimes sur le Sahara, elles sont forcément des forces négatives, si par hasard, elles procèdent de la même manière avec les voisins, elles seront, le cas échéant, des forces “positives”, humaines, patriotiques. etc, etc. Explications, pour le citoyen lambda : si vous êtes, toi et ta famille bien chez vous et que vous êtes réunis autour d'une table ou autour du feu de votre cheminée, vous êtes des psychopathes, des casaniers agoraphobes, ou même des xénophobes très isolés. Au contraire, si vous cédez à vos voisins, qui la cuisine, qui la salle à manger, vous serez un citoyen du monde, plus marxiste que vous, je meurs ! Abdallah Harrif a de grandes prétentions, mais de petits projets: le séparatisme. Il nous l'enveloppe, sert et plus, le conceptualise. La conversation, avec le “Capital” à la main est, paraît-il, un bon digestif ! Alors, les Marocains, pour faire mondain et plus branché, il faut qu'ils deviennent des séparatistes. Si par chauvinisme, ils n'ont pas encore atteint le degré “Tindouf” sous l'échelle du séparatisme, il faut être digne de l'être. Une fois l'élan du chauvinisme apaisé, il faut le faire mieux paraître. Plus intelligemment : n'être personne. Car, on n'a jamais entendu, jusqu'à ce jour, un seul parti algérien s'indigner de la position de la gente aux commandes à Alger. Encore moins, défendre le droit de notre pays. Passons. Personnellement, je rends grâce à Dieu de n'être pas aussi cosmopolitain que ça ! Pour au moins conserver quelque chose d'humain. La patrie, par exemple. J'en dirai ce que disait Malraux de la France et de l'Europe : nous savons que nous ne ferons pas le Maghrébin sans elle, que nous devons faire, que nous le voulions ou non, le Maghrébin sur elle. Encore est-il que de la patrie, ce mot ne signifie rien, si vous ne dites pas “petite patrie”. Le morceau de terre, de Tanger à Lagouira, auquel le cœur est lié, est forcément petit. Infiniment petit, pour l'avoir dans la peau ! Je me reprends ! L'élan m'a fait oublier une petite chose. Elle, aussi. Abdallah Harrif a des convictions, et des amours. Anciennes. Apparemment, il peine à trouver les mots pour les reformuler. Il fait donc peu de cas de la raison, il cède, aisément à la passion. Or de toutes les passions, la plus inconnue à lui-même est la paresse. Elle lui joue des tours car elle est ardente et maligne. Question : que dire d'un esprit que la paresse, du raisonnement bien sûr, mène en bateau ? Il fait sa propre traversée du désert. Beau fixe !