Entretien avec Layla B. Chaouni, directrice du “Fennec” Le secteur du livre, qui a quelques difficultés à prendre son envol au Maroc, connaît actuellement une mutation progressive. On peut, pour une étude concrète se pencher sur le cas d'une petite maison d'édition un peu particulière : les éditions “Le Fennec”. Basée à Casablanca, elle est dirigée par Layla B.Chaouni, une personne connue dans ce milieu pour ses positions, ses initiatives et la diversité de ses activités. Preuve de cette reconnaissance, elle a animé durant un an la chronique littéraire hebdomadaire sur 2M. Il s'agissait en l'espace de cinq minutes, de présenter un ouvrage et de “faire passer une émotion pour donner envie de lire”. Une expérience intéressante, qu'elle a appréciée et qui lui a apporté beaucoup en termes d'exercice de synthèse. La maison d'édition qu'elle a difficilement créée comporte aujourd'hui à peu près huit collections. Elles se déclinent autour de thèmes et avec des types de livres différents. Comme nous l'explique Layla Chaouni : “quand vous êtes une petite maison d'édition, vous ne pouvez pas vous spécialiser. Il n'y aurait pas assez de lecteurs. Souvenez-vous que notre pays connaît un taux d'illettrisme de 64 %. Vu la situation économique, les gens lisent pour que ça leur apporte quelque chose. Leur budget est serré. Ils lisent des essais, des livres utiles dans le cadre des études et il ne reste pas beaucoup de place pour la littérature pure et notamment le roman. Il faut une certaine éducation à la lecture. Je voulais sortir de l'universitaire et je cherche à cibler un large public. Nous avons des titres locomotives, comme “Recettes de beauté des femmes du Maroc” par Abdelhaï Sijelmassi, vendu à plus de 2.000 exemplaires ( N.B. : au Maroc un best-seller est vendu à 3.000 exemplaires maximum). Cela nous permet de publier aussi des romans “coups de cœur” dans le cadre de nos collections Littérature et Collection Noire par exemple.”. La maison d'édition “Le Fennec” et sa directrice se démarquent par un choix de collections et de sujets polémiques. Les ouvrages sont regroupés en grandes familles telles que “Collection Islam et Humanisme” dirigée par Fatema Mernissi ( une sociologue connue notamment pour ses travaux sur le Harem, sur la condition sociale et politique de la femme marocaine) , “Collection débats philosophiques”, “Collection Approches” ou encore “collection brisons le silence”… Comment joindre les deux bouts? En dépit d'un engagement évident et de cette démarcation particulière, cette éditrice n'a jamais eu beaucoup de problèmes avec les autorités et les conservateurs. “Réellement tous les livres qu'on a édités, nous les avons publiés sans censure. Nous, nous ne faisons pas dans le sensationnel, ce n'est pas notre esprit ni nos valeurs. Et comme ça, j'ai toujours pu faire ce que j'ai voulu. On s'arrange avec les autorités. En fait tout dépend du sujet. C'est de bonne guerre, quand ça nous tient vraiment à cœur…On a même réussi à publier des livres sur certains prisonniers politiques alors qu'ils étaient encore en prison…”. Le plus gros problème dans ce milieu, c'est plutôt la difficulté à percer et à joindre les deux bouts car le secteur du livre reste peu porteur. “Actuellement, on ne peut pas faire ce métier pour l'argent. Il est très difficile d'en vivre et la plupart des éditeurs sont enseignants, libraires ou distributeurs”. Dans cette optique, Layla Chaouni voit les phénomènes de centralisation et de rachats de façon positive : “j'aurai adoré être rachetée par une plus grosse maison d'édition ; ça vous soulage de tous les problèmes matériels.” Elle se définit elle-même comme “un chef d'entreprise comme les autres” : “quand je sors un livre ce n'est pas pour qu'il reste au placard, il faut qu'il y ait un public et qu'il se vende, sinon on n'avance pas .”L'événement pour cette rentrée sera l'édition de certaines oeuvres en format poche , une pratique nouvelle au Maroc qui ouvre des perspectives intéressantes quand on connaît un peu le marché du livre et le profil des lecteurs marocains. “Nous avons lancé ce projet car certains titres qui avaient bien marché étaient épuisés. Le lancement de la collection poche se fait grâce à un roman de Fatema Mernissi “Rêves de Femmes”.Il fallait que cette publication sorte maintenant puisque l'on vient de lui remettre, il y a une semaine le prix des Asturies, très médiatisé. L'autre ouvrage et un livre français tombé dans le domaine et étudié au programme des lycées. Nous avons édité en poche la “Parure” de Maupassant. C'est une formule inédite car nous avons revu totalement l'appareil critique qui accompagne cette nouvelle pour l'adapter au public marocain. Le tout pour 10 dirhams.” Une avancée dans le domaine qui encouragera peut-être d'autres investissements dans ce secteur.