La révolution du Code de la famille La proclamation par S.M le Roi Mohammed VI du nouveau Code de la famille introduit la première véritable réforme au sein de la société marocaine depuis l'indépendance. Contexte et implications de ce tournant décisif. Révolution tranquille. Tel est le sentiment qui prévaut au lendemain de l'annonce par le roi Mohammed VI du nouveau Code de la famille dans son discours inaugural devant le Parlement le vendredi 10 octobre dernier. Quoi qu'on en dise, la surprise a été totale. Après les longues tergiversations au sein de la commission chargée de la révision de la Moudawana, 30 mois durant, l'arbitrage du Roi a été net et sans ambiguïté. On était tellement habitué au conservatisme et à l'inertie dans tous les domaines vitaux qu'un tel tournant semblait peu probable. Le caractère inconciliable des positions des oulémas et des représentants de la société civile a conduit, sous la présidence de Driss Dahak, à l'impasse. Le blocage allait se poursuivre après la nomination d'un second président, M'hamed Boucetta, jusqu'au jour où le Roi fixa une date butoir, à savoir fin septembre 2003, pour aboutir. Entre temps, il y eut les attentats terroristes du 16 mai. La gravité des enjeux apparut alors de façon plus cruciale. L'opposition des ultraconservateurs, PJD en tête, dut ployer sous la bourrasque en attendant de pouvoir se manifester à nouveau. L'arbitrage royal est venu bousculer un immobilisme devenu dangereux à terme car porteur de dérives et de régressions. Alors que le microcosme politique s'est enfoncé dans le marécage des compromissions et des marchandages, au cours des dernières échéances électorales, qui pouvait en attendre une quelconque avancée sur la voie des réformes ? L'impulsion du changement a, encore une fois, émané d'une volonté et d'une décision du Souverain. Objet depuis des décennies du combat solitaire des organisations féministes, ce changement n'a pas trouvé de relais conséquents et non timorés chez les partis politiques. Il intervient aujourd'hui sur un plan décalé par rapport à la scène politique vouée à un électoralisme dévoyé. Les réactions enregistrées au lendemain du discours royal furent tout à fait prévisibles, contrairement à ce dernier. Attitudes contradictoires Tout le monde s'est empressé d'applaudir et d'appuyer la réforme, y compris les organisations islamistes. Les réticences des islamistes dont quelques signes se sont manifestés par quelques premières réactions en sourdine attendent de pouvoir s'afficher plus aisément au moment de l'examen au parlement du texte du nouveau code et des modalités de son application. Si les organisations de défense des droits des femmes ont sans hésitation salué la réforme comme un changement radical, y voyant une réponse positive à leurs revendications essentielles, l'attitude du PJD fut, pour sa part, assez contradictoire. Refusant d'admettre qu'il approuve aujourd'hui les points de la réforme qu'il avait outrageusement combattus, jusqu'à les qualifier d'images et dictées par l'étranger diabolique, ce parti se réfugie dans l'évocation de “la référence islamique” qui, cette fois-ci “a été respectée.” Les partisans du plan d'insertion de la femme dans le développement rétorquent que la référence islamique n'a jamais été reniée par personne et que nul n'est en droit de s'en dire le dépositaire. Sans vouloir ressusciter les antagonismes et les diatribes qui ont presque englouti ce plan, il est nécessaire de clarifier, sans faux-fuyants, les positions et de rappeler l'exploitation politique exacerbée de la référence à la religion sur un sujet de régulation sociale qui ne relève pas du sacré. Empêtré dans son attitude contradictoire, le quotidien “Attajdid”, organe du Mouvement unité et réforme, s'en prend à Saïd Saâdi qui avait été l'un des principaux promoteurs du plan d'insertion et publie (le 14 octobre) les réserves d'un adoul dépité au sujet des dispositions du nouveau Code concernant la tutelle sur les femmes et la polygamie. Les rares partisans de “Al Adl wal Ihsane” de Abdeslam Yassine qui se sont exprimés sur la réforme, sans s'opposer ouvertement à celle-ci, n'y adhèrent pas non plus, prétextant que des “droits plus étendus” peuvent être reconnus à la femme.En se référant à une réforme plus générale, assurant d'abord la justice sociale et la guérison de tous les maux de la société (sans préciser les moyens d'y parvenir), les “adlistes” semblent minimiser la réforme actuelle et continuent de s'acharner sur “l'étranger” qui veut imposer sa conception des droits de l'homme à travers les conventions internationales, rejetées a priori. Ceci donne un avant-goût des attitudes et du langage qui vont émailler l'examen du nouveau Code au parlement et la campagne de sensibilisation à travers le pays. Pour l'heure, tout le monde applaudit la réforme ou fait semblant. On souligne le caractère équilibré de celle-ci qui découle de l'effort innovant (Ijtihad) dans le respect et l'esprit des textes fondamentaux de l'Islam. Le ministre des Habous et des affaires islamiques, Ahmed Taoufiq, a souligné que “le Souverain a veillé à ce qu'il n'y ait pas de contradiction entre les Marocains et leur identité religieuse”. La recherche du consensus est réaffirmée : il n'y a pas “victoire” du camp moderniste sur le camp conservateur. Cependant, le président de la Commission de révision de la Moudawana, M'hamed Boucetta, rappelle que celle-ci n'a pas été seulement réaménagée sur certains détails mais a fait l'objet d'un changement portant sur la vision globale. Même si les conservateurs ataviques ont du mal à l'admettre et si tel ex-dirigeant de la Jeunesse de l'USFP, qui se fait un devoir de tout mettre en doute a priori, semble sous-estimer le changement intervenu, il faut bien se rendre à l'évidence. Mutation sur trois plans Le nouveau Code de la famille apporte une mutation sur trois plans essentiels : * il institue l'égalité de principe entre hommes et femmes dans la famille ; le principe de suprématie de l'homme est remis en cause, le patriarcat qui avait un fondement dans une société où l'individu, homme ou femme, était soutenu par son groupe (familial, tribal, etc) est dépassé dans les faits dans la société actuelle : la loi est ainsi mise à jour pour coïncider davantage avec les réalités et non plus leur tourner le dos. * il privilégie une vision humaniste des rapports familiaux et au sein de la société ; les notions de droits des individus, à commencer par celui de prendre ses propres décisions, de ne pas être opprimé et d'être heureux, vont devenir la norme au lieu des traditions ou coutumes autoritaires, niant les individus et imposant des carcans d'un autre âge. * il désacralise la loi, laquelle n'est plus confondue avec les préceptes religieux immuables mais considérée comme une régulation relative et modifiable de la famille et de la société, soumise à la raison humaine et au débat public et pas seulement aux interprétations en vase clos des Oulémas (comme le veut un Raïssouni, qui songeait même à déléguer à ces derniers le magistère de la Commanderie des croyants). Sur ces trois plans (égalité, humanisme, désacralisation de la loi), qui peut nier le chargement ? Celui-ci est tout à fait en cohérence avec les principes de base de la démocratie et avec le refus de l'autoritarisme répressif quelle qu'en soit la “référence”. La réflexion doit être poussée pour savoir pourquoi un tel changement a paru inéluctable au Roi, après une longue gestation et des confrontations sans fin au sein de la commission de révision. On peut supposer que cette réforme était devenue nécessaire à la fois comme symbole et comme impulsion pour remuer un tant soit peu une société bloquée et ankylosée par ses conservatismes et ses anochronismes. Il fallait, quelque part, casser le cercle vicieux où l'immobilisme et les retards s'aggravent alors que les problèmes liés à l'économie de rente et à la fracture sociale risquent à tout moment de dégénérer. Il s'agit de réveiller la société, au risque de la bousculer pour qu'elle réalise enfin où elle en est dans l'évolution du monde aujourd'hui. Trop de conservatisme et de stagnation peuvent nourrir les fantasmes et les compensations idéologiques passéistes mais ne peuvent plus nourrir les populations. Cet état des choses est devenu dangereux aux yeux de la monarchie, puisque le microcosme des partis politiques n'assure plus la veille nécessaire. Il faut changer ou dépérir : telle est la leçon du nouveau Code de la famille. Le Code de la famille en vigueur en Tunisie En Tunisie, l'égalité entre hommes et femmes est reconnue. Déjà le Code du statut personnel du 13 août 1956 avait introduit ce principe. - La polygamie est abolie - L'âge minimum du mariage est fixé à 20 ans pour les hommes et à 17 ans pour les femmes. Au-dessous de cet âge, le mariage ne peut être contracté que sur autorisation spéciale du juge “pour des motifs graves” et exceptionnels. Le mariage du mineur est subordonné au consentement de son tuteur et de sa mère. - La femme aussi bien que l'homme peut contracter mariage par elle-même ou par mandataire. Peut être insérée dans l'acte de mariage toute clause ou condition relative aux personnes ou aux biens ; si ces clauses ne sont pas respectées le divorce est accordé. - Le divorce ne peut avoir lieu que devant le tribunal. Il est prononcé en cas de consentement mutuel des époux, ou à la demande de l'un d'eux en raison du préjudice subi ou à la demande soit du mari soit de la femme. La répudiation est donc abolie. - En matière d'héritage, les enfants de la fille, en cas de décès de celle-ci avant son père, héritent obligatoirement à sa place. - Le régime de la communauté des biens entre les époux est institué (depuis le 20 octobre 1998), il s'ajoute au régime déjà existant de la séparation des biens entre les conjoints. - Un fonds de garantie de la pension alimentaire et de la rente de divorce est institué afin de rendre exécutoires les jugements relatifs aux pensions et rentes. - La femme divorcée a le droit de regard sur les affaires de ses enfants gardés. La femme divorcée qui a la garde de ses enfants exerce la tutelle en ce qui concerne les voyages de l'enfant, ses études et la gestion de ses comptes financiers. Le juge peut lui confier les attributions de tuteur. - La fille mineure qui contracte mariage bénéficie de la majorité automatique pour ce qui est de son statut personnel et de la gestion de ses affaires civiles et commerciales. - Le code de la nationalité accorde à la mère le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants issus d'un mariage mixte et nés à l'étranger ou en Tunisie.