L'Oriental est l'une des régions les plus étonnantes du Maroc. Depuis la fermeture de la frontière, les temps sont durs et la contrebande bat son plein. Aujourd'hui, de Taza à Saïdia en passant par Guercif, Laâyoune, Taourirt, Ahfir, Figuig, Tafoughalt, Zegzel et Oujda, l'Oriental lance un regard serein vers l'avenir en attendant la réouverture de Zouj Bghal. C'est un âne d'une autre nature. Le genre de bête branchée dans le coup. C'est le seul âne qui porte un Walkman. Son propriétaire s'appelle El Ghali, il a trouvé l'astuce, le filon pour ne plus parcourir des kilomètres dans la montagne à la recherche de ses bidons de mazout et d'essence de l'autre côté de la frontière algérienne. El Ghali a inculqué à son acolyte l'art d'écouter de la musique onomatopéique, il en a fait un véritable mélomane au registre musical très réduit, mais sûr. L'âne écoute en boucle une bande qui répète le même son en retro-verso, un bruit de langue qui lui signifie d'avancer et que la route est bonne : “il sait où il va. Maintenant, il a l'habitude de faire l'aller-retour en livrant le client de l'autre côté”. L'âne est le personnage le plus célèbre de la région, il a un pelage des plus ordinaires qui ne le différencie pas des autres ânes. Assez musclé, très robuste, il affiche un air hautain et une démarche à la mesure de ce qu'il écoute. El Ghali vit à Ahfir, il écoule son mazout à 120 dh les 30 litres dans la rue, devant tout le monde. C'est qu'à Ahfir, il n'y avait qu'une station-service qui a fermé et mis la clé sous le paillasson. “Plus personne ne s'approvisionne dans une station-service quand le plein te revient plus qu'à moitié prix”. En effet, pour 200 dh d'essence, on économise 300 avec cette nuance que le gazoil est plus cher : pour 30 litres d'essence, on paye 100 dhs, alors qu'il faut débourser 120 pour le même bidon de gazoil. Les aléas du marché en ont décidé ainsi et tout le monde semble heureux qu'il y ait des ânes mélomanes sur les plateaux entre Oujda et Figuig. Pour El Ghali, il faudrait peut-être penser à la relève et assurer la continuité de l'affaire en formant d'autres ânes pour les trajets en solitaire, dans la nuit vers l'autre rive de la frontière entre le Maroc et l'Algérie. A Sidi Yahia, la banlieue d'Oujda qui affiche des airs de patelin désolé, le commerce du mazout et de l'essence est des plus florissants. La vie s'organise autour des bidons, des va-et-vient des véhicules et des enfants, dégourdis, qui rabattent le gibier et le client. “Tout le monde vit de l'essence ici. On gagne bien notre pain malgré les risques dans la montagne, mais cela fait partie du métier. Il faut dire qu'ici tout le monde est gentil. On ferme les yeux sur tout et on s'entraide pour mieux vivre. Que ce soit les douaniers algériens ou nos frères marocains, tout le monde y trouve son pain”. A Sidi Yahia, on ne fait pas que dans les lubrifiants et les hydrocarbures, il y a aussi les médicaments, les tapis et autres appareils électro-ménagers que l'on écoule avec tout le naturel du monde comme si on était dans une grande surface avec patente, registre de commerce et toute la paperasse habituelle. Jamal Eddine se fait un bénéfice net de 500 dh par jour. Il semble à l'aise, mais reste vigilant : “on ne sait jamais, la vie réserve des surprises. Aujourd'hui ça marche, j'en profite, demain aura son lot de chance et de bien”. Si le bonhomme est vigilant c'est qu'il craint comme en 1994 un autre choc comme celui de la fermeture du poste frontière Zouj Bghal. Un souvenir douloureux qui “a handicapé le commerce et nous a privé d'une manne merveilleuse qui venait d'Algérie pour goûter aux richesses de notre pays”. Depuis, la vie a changé et les affaires ont pris un sérieux coup… Aziz, un marchand à souk El Fellah , le fief de la contrebande à Oujda, nous suggère de faire la route jusqu'à Figuig : “cela vaut la peine, allez vous faire une idée”. Nous ajournons la ballade à Ras El Ma et la belle plongée dans l'azur du littoral pour aller nous étouffer dans la canicule au milieu de nulle part. Nous décidons d'aller d'abord à Jerrada avant de pousser plus loin. Jerrada, la ville minière La terre est jaune et le paysage entier affiche une luminosité lunaire avec ça et là quelques arbres chétifs essaimés, dans l'attente d'une brise qui ne viendra jamais par les temps qui courent. A Jerrada, il fait 45 degrés à l'ombre. Pas vraiment le moment de faire parler les gens qui semblent pris de préoccupations autres qu'une bonne conversation avec le “Bidaoui”, fraîchement débarqué de son bord de mer clément et humide. A Jerrada, il y avait des milliers d'ouvriers qui travaillaient dans les mines avant la fermeture en 2000. A l'époque, c'était une véritable ville minière, fermée sur elle-même. Où la vie s'articulait autour de quelques loisirs insignifiants et beaucoup de grisaille et de chaleur. Aujourd'hui, c'est le patelin le plus paumé de la région. Un coin de terre noir, désolé, affreusement meurtri par les ravages des années et le courage des hommes qui y ont laissé leur vie, leur santé, leurs rêves. Nous sommes loin de l'année 1927 et des premières découvertes minières qui avaient fait de la région un pôle d'attraction des plus prospères. Mais Jerrada n'était pas que ce trou perdu au milieu du vide. Non, c'était aussi une ville cosmopolite où Belges, Polonais, Italiens et Espagnols venaient croiser leurs compétences et apporter leur grain de sel à une culture ouverte sur l'autre. Il y avait même une église à Jerrada. On parle aujourd'hui d'un musée à la place de la mine et de l'intégration de Jerrada dans un circuit touristique. On dit aussi qu'un projet d'une usine de papier est en cours avec en parallèle des activités artisanales. A Toubia, c'est un autre commerce qui fleurit. On fait dans la chair humaine en provenance d'El Hajeb. Les mères matrones sont les patronnes des lieux. Depuis la fermeture de la mine, ce sont les femmes qui ont donné un autre aspect au commerce et à la vie. “Il n'y avait que les cadres de l'échelle 11 qui ont été bien récompensés. Pour le reste, on a dû affronter le vide, le chômage et des années de regrets. Aujourd'hui, il n'y a plus rien dans ce patelin. C'est la mort”. Plus de 4. 000 personnes qui se sont retrouvées sans rien que la blancheur macabre du vide de la mine. Aujourd'hui, ils s'activent pour des contrats pour l'Espagne. “Il y a ceux qui passent, ceux qui restent, sinon en cas de cafard, il y a Toubia et ses filles du Hajeb”. Aïcha, une des tenancières nous invite à un bon repas et nous vante les charmes de ses filles : “je les ai ramenées moi-même. Elles sont ce qu'il y a de plus beau ici, entrez voir, vous m'en direz des nouvelles”. La bonne femme comprend très vite que son commerce risquait de tourner court, alors elle nous tourne le flanc et s'adresse à deux gaillards venus d'Oujda pour un moment de bonheur à l'abri de la canicule. A Jerrada, une demi-journée prend vite les allures d'une véritable condamnation à la folie par l'intensité de l'ennui et de la vacuité de la vie. Nous nous échappons comme talonnés par une espèce de crainte viscérale de subir la malédiction des lieux. Nous mettons le cap sur Figuig. Au bout de 3 bonnes heures sous la canicule, nous arrivons à notre escale. Dans ce bled, il n'y a qu'à demander à quelqu'un où se trouve tel endroit pour se faire inviter. On vous donne l'accolade, on vous offre le meilleur et on vous prie de rester quelque temps. S'il n'y a rien à faire dans cet endroit, si les gens n'ont rien sauf le minimum, ils ont aussi l'essentiel : la générosité, la naïveté et la bonté des fils du pays qui ne se méfient de personne. Sur le plan économique tout le plateau entre Oujda et Figuig en passant par l'aride Jerrada, l'oubliée Naïma et le mirage Laâyoune, vit de la façon la plus rudimentaire : “c'est une région qui produit peu. Depuis la fermeture de Jerrada, il n'y a plus rien à faire. On vivait avec les mineurs et leurs familles, on développait des commerces… sinon, il reste la frontière mais ce n'est plus comme avant”. Les paroles de ce responsable régional sont vite corroborées par les dires d'une vieille femme très sereine : “il y a les chameaux et les dattes, mon fils, nous ne manquons de rien, même si c'est désert”. Nous apprenons que Figuig a eu des heures plus glorieuses dans le passé, le trafic marchait, les bourses se remplissaient et certains fils du pays sont aujourd'hui gros propriétaires à Saïdia avec voiture, villa et autres avantages considérables. Quand on aborde le chapitre des palmiers-dattiers avec les habitants, tout le monde semble connaître les chiffres et les problèmes. On apprend alors que seuls 90 000 pieds sont encore productifs contre 110 600 pieds en 1920. Il y a aussi des arbres fruitiers comme le grenadier, l'olivier, le figuier et d'autres variétés introduites récemment comme l'abricotier, la vigne et le poirier. Tout ceci s'ajoute à la carotte, la tomate et les concombres, très réputées dans la région. Dans les parages, l'exploitation pastorale bat son plein. Les tribus de Beni Guil et des Ammor, marchent avec leurs troupeaux dans le domaine alfatier qui s'étend jusqu'aux plateaux de Tendrara. Restent les problèmes liés à la désertification qui sont la lutte de tous les jours pour les Figuiguis. Dans le flou total, des jeunes tentent de réhabiliter les oasis et de semer dans un espace hostile sur la route de Bouârfa en insistant sur une meilleure gestion de l'eau de la région. La mémoire des lieux La virée vers le sud a de quoi décourager les pélerins les mieux attentionnés. Un sol rocailleux, une absence désolante de verdure et ce malgré “une nappe phréatique des plus importantes de ce pays, il suffit de trouver les moyens pour faire de ce désert un paradis, mais qui va le faire ? Sous les plateaux, l'eau coule à flot”. Cet ingénieur s'étale sur d'autres régions reconnues aujourd'hui pour leurs agrumes qui sont les meilleurs du pays. Il évoque les problèmes de l'eau, la politique agricole dans l'Oriental et conclut avec une note d'optimisme : “depuis la visite de Sa Majesté, tout a changé dans cette partie du Maroc. Aujourd'hui nous sommes sûrs que les années à venir seront les plus belles et que notre Roi nous fera oublier les années dures”. En effet, cet ingénieur fait référence aux 35 milliards de centimes alloués à la région par le Souverain pour remettre sur pied le développement local. “Et ce n'est qu'un début parce qu'il y a une grande volonté de la part des hauts responsables de ce pays de faire en sorte que l'Oriental soit au centre de l'économie et du développement du pays”. Le wali de la région, Ahmed Himdi, qui est en poste depuis quelque six mois, confirme et reste très optimiste tout en louant les avantages de l'une des régions les plus riches et les plus prometteuses au Maroc. “Nous avons des potentialités énormes et nous sommes en train de trouver les meilleurs moyens de les mettre en œuvre, de les employer à bon escient pour mieux servir les populations de l'Oriental” Le wali est très conscient de l'atout culturel et touristique de la région. Nous apprenons qu'il y a un projet grandiose de plus de 15 mille lits en plus de dizaines d'annexes qui vont absorber dans la région de Saïdia plus de 40 000 employés dans le secteur hôtelier. Un chantier de grande envergure qui va faire oublier les avatars de Jerrada et faire tourner la page vers la fraîcheur de la mer et ses beaux rivages. “C'est l'une des régions les plus attrayantes pour les touristes de tous les horizons. Nous avons toute la mer de Saïdia jusqu'à Nador et au-delà, des plages magnifiques, 25 kilomètres d'étendue de sable avec une eau limpide. Il nous faut une bonne infrastructure pour imposer la région sur le pourtour méditerranéen.” Ce responsable du tourisme sait qu'au-delà des plages, des hôtels et des ports de plaisance, il y a toute une richesse culturelle et archéologique sur laquelle il faudrait miser pour attirer un autre type de touristes : “le tourisme culturel revêt cet aspect aussi. Nous avons Tafoughalt et Zegzel et les grottes archéologiques. C'est une mine d'or”. Sans oublier le Festival des musiques gharnaties qui a fait connaître la ville dans le pourtour méditerranéen. L'homme de Tafoughalt En prenant la route pour Saïdia à quelques 60 kilomètres d'Oujda, nous bifurquons légèrement vers l'Ouest pour aller à Tafoughalt, l'une des régions les plus montagneuses de l'Oriental. De magnifiques arbres qui défient le Sud désertique et font contrepoids pour donner de temps à autre de la fraîcheur aux lieux. C'est un lieu aujourd'hui célèbre dans le monde : “il y a des archéologues du monde entier qui sont venus ici pour étudier ce que l'on appelle l'homme de Tafougahlt que l'on a découvert dans les années 50”. Il s'agit de l'une des découvertes les plus retentissantes du monde de la préhistoire. Le périple nous mène vers les deux grottes du côté de Zegzel, un endroit très connu des chercheurs les plus chevronnés. La grotte des Pigeons est une pure merveille. La grotte a des dimensions favorables à la vie, la hauteur de sa voûte assure une bonne luminosité à ses habitants. Sans oublier que la proximité de la source de Tafoughalt assurait l'eau à tous les habitants des grottes. Selon les spécialistes l'homme de Tafoughalt aurait habité la grotte pendant 1.500 ans. C'est au pied d'une falaise dominant la vallée de Zegzel que l'on a trouvé un crâne trépané. On a donné alors le nom de l'homme de Tafoughalt à son propriétaire. C'est l'Abbé J. Roche qui a été le premier à explorer cette grotte en 1951 et 1955. Il y a découvert une nécropole préhistorique (80 corps, 39 hommes, 31 femmes et des squelettes d'enfants dont 10 de sexe indéterminable). On fait remonter l'homme de Tafoughalt à près de 10. 000 ans avant J-C. En 2001, on a découvert dans une autre grotte, près de Guercif, un spécimen qui ressemble à l'homme de Tafoughalt, mais beaucoup plus ancien puisqu'il date de 15.000 ans avant J.-C. Des restes d'hommes qui sont situés entre 40 000 et 100.000 ans ont décidé les responsables en haut lieu à ouvrir dans la région un grand musée national d'archéologie : “C'est la clé du développement de tout l'Oriental. Un musée sera une manne du ciel pour drainer des touristes du monde entier. Regardez tout le tapage fait autour des grottes de Lascaux en France, l'un des sites les plus visités au monde”. L'endroit est d'une beauté à couper le souffle. On y découvre des choses inouïes qui font le lien entre nos ancêtres et notre avenir. Un lieu teinté d'une magie qui nous fait ressentir toute la grandeur de l'homme dans ce parcours irréel qui s'étale sur des millions d'années. Après cela, une bonne baignade à quelques kilomètres, à Cap de l'eau est la bienvenue. Saïdia affiche des airs de princesse, d'une bonne fée juchée en face de l'eau qui coule à ses pieds comme une fontaine douce qui allège le corps. “Il y a du monde, le temps est chaud et ce n'est que le début. Avec le moussem c'est tout autre chose”. Le festival est prévu pour le 15 août, mais la mer annonce déjà ses couleurs entre l'émeraude et l'azur. Sur le sable, les familles déjeûnent : “du poisson, que du poisson”. Ici, c'est le rituel le plus sacré : “quand on vient à la plage c'est pour déguster le meilleur poisson de la région, frais et riche”. Ici la vie prend d'autres aspects, les visages contrastent avec ceux de Figuig. Ici, on sourit facilement, on est moins sage, moins concentré, moins pris dans les tourbillons de sable et d'halfa. Ici, on nage, on court sur le sable, on improvise une partie de ballon et on se prélasse au soleil. “Mais il n'y a pas que ça, ici aussi on vit de la contrebande. Des camions entiers de pommes de terre, de tomates… qui vont de l'autre côté de la frontière. De la viande aussi puisque là-bas, chez les voisins, le kilo coûte presque 500 dinars algériens (l'équivalent de 65 dhs) marocains. Alors qu'ici, ils l'achètent à 60 dh. La belle affaire. Cela arrange tout le monde”. Nous décidons de pousser un peu plus loin au-delà du Cap de l'eau. Nous passons de village en village. Que des patelins de pêcheurs que l'on traverse un à un avant d'arriver au bout de deux heures de route aux portes de Mellilia. L'escale à Nador étant archi-vue et ne présentant rien de stimulant n'étaient les camionneurs affairés et d'autres contrebandiers en mal d'affaires juteuses. Là, notre périple prend des allures de véritables rencontres avec nos frères derrière la frontière. Nous avions rendez-vous avec un ex-correspondant d'un journal espagnol qui avait travaillé avec nous dans le temps. Il appelle pour reporter la visite qu'il devait guider dans les lieux. “Rendez-vous dans un mois pour une semaine à Mellilia. C'est moi qui invite” laisse-t-il échapper pour se racheter. Nous, nous avions un plaisir incroyable à contempler cette ville marocaine, résolument marocaine, qui fera tôt ou tard partie de notre intégrité territoriale et qui sera un nouveau symbole de notre grande union et de notre attachement à nos acquis les plus sacrés. Sur le chemin du retour, nous faisons un arrêt dans un village pour déguster un bon thé. On nous offre des oranges magnifiques “de Berkane, elles sont les plus sucrées du pays”. Le thé aussi avait une autre saveur teintée de l'image de Mellilia derrière nous et de l'espoir et la certitude de demain. Après la fermeture de Zouj Bghal De retour à Oujda, la chaleur est torride. Nous n'arrivons plus à faire deux pas de plus. On décide tout de même d'aller à la mer, “oui Lebhar, c'est comme ça qu'on l'appelle”. Lebhar d'Oujda est un bassin en plein centre-ville où les gamins viennent barboter. Nous avions besoin d'une dernière vision aquatique avant d'aller rencontrer les Oujadas pour parler un peu cuisine. Notre hôte est un homme du terroir qui a roulé sa bosse, il nous prépare une bonne “Bekbouka”. “C'est un mélange d'abats avec du riz et des pois chiches que l'on met dans une membrane appelée El kercha”. Le plat semble rustre et non raffiné, mais quand on y goûte, c'est une autre discussion qui prend forme. Quoi qu'il en soit, pour un Oujdi, c'est là une marque de grande hospitalité que de faire honneur avec un tel mets. Saïd lance la conversation sur la fermeture de Zouj Bghal : “le 26 ou le 28 août 1994, je ne sais plus. Vous savez, elle était déjà fermée pendant plus de dix ans avant de rouvrir en 1988. Les Algériens manquaient de tout, ils venaient à Oujda pour acheter des bananes, des fringues et tant d'autres choses. Il y en avait qui venaient d'Oran pour un café à Oujda”. Sur place à Zouj Bghal, il n'y a plus rien. Nous y étions quelques jours auparavant vers midi au même moment que la voiture de la poste, le seul lien encore existant dans ce no man's land. Le chauffeur dépose son courrier, prend celui qui vient d'Algérie et rebrousse chemin, réglé à la même heure comme une horloge. De l'autre côté, les Algériens ont changé le nom du poste frontière. Ils l'appellent Al Akid Lotfi comme le petit village à 200 mètres derrière le barrage côté algérien, premier patelin de la frontière vers Oran, qui porte le nom de ce Lotfi, célèbre depuis que les deux mulets ne font plus passer les lettres. C'est que le nom de cette frontière vient de là. Dans le temps et durant des années, il y avait deux mulets qui transportaient le courrier du Maroc vers l'Algérie et vice-versa. On déchargeait l'un pour recharger l'autre sur place. Les deux mulets étaient de véritables messagers entre deux pays, deux voisins, deux destins. “Depuis que c'est fermé, il n'y a plus rien du tout. C'est mort. On fait le guet et on attend”. Le désert des tartares avec cette variante c'est que les gens continuent à passer mais par la montagne ou par les champs, les frontières imaginaires qui vont sur des kilomètres. On passe de tout, bananes, médicaments, tapis, carburant, télés… “On le sait, mais on ne peut pas courir partout ni tout passer au peigne fin”. Dans le temps avant la fermeture, des milliers d'Algériens, poussés par le manque et la frustration venaient envahir les rues d'Oujda pour acheter du café, des tomates, de la limonade, du fromage… “Ils mourraient de faim. Ici c'était le paradis pour eux. Les autorités algériennes, dit-on, avaient passé le mot comme quoi Oujda était bien fournie pour donner une belle vitrine du Maroc, mais le reste du pays était désert : des centaines de personnes sont allées jusqu'à Laâyoune dans le Sahara marocain pour voir que le Maroc est un pays de grande richesse et qu'il y avait de tout et que les gens mangeaient à leur faim dans toutes les villes du pays. D'autres n'achetaient plus à Oujda, mais partaient à Casablanca pour ramener d'autres choses ”. D'un autre côté, les évènements de l'hôtel Asni à Marrakech en 1994 ne sont pas oubliés ici. Et les gendarmes et douaniers disent que c'est tant mieux comme ça, “ Ces gens-là ne ramenaient que des problèmes avec eux ”. En ville, les avis sont partagés, avant la fermeture, les affaires étaient prospères. Aujourd'hui les temps sont durs, mais la visite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI a donné un nouveau souffle à la région et l'espoir se lit sur tous les visages qui savent que les lendemains sont déjà meilleurs. Dans le temps et durant des années, il y avait deux mulets qui transportaient le courrier du Maroc vers l'Algérie et vice-versa. On déchargeait l'un pour recharger l'autre sur place. Les deux mulets étaient de véritables messagers entre deux pays, deux voisins, deux destins.