Amendements de la loi 17-95 sur les S.A La désaffection des professionnels pour la société anonyme : l'absence de flexibilité d'une part et le caractère démesurément répressif de l'autre… pourrait connaître bientôt un changement souhaité. L'abrogation de la plupart des sanctions pénales, si elle est confirmée, donnerait un nouvel élan au développement de la S.A. Patrick Montier, avocat près la Cour d'appel de Paris et collaborateur au cabinet Masnaoui, nous parle dans cet entretien des infractions qui caractérisent les textes actuels. Elles sont disproportionnées pour sanctionner des manquements administratifs, … La Gazette du Maroc : après avoir été abandonnés depuis plus de deux ans, les amendements de la loi 17-95 sur les sociétés anonymes refont surface. Un projet de loi a été préparé et l'on parle de l'abrogation de la plupart des sanctions pénales. Si ces informations devaient être avérées, quelle en serait la véritable portée pour la S.A ? Patrick Montier : je n'ai pas connaissance du détail de ce projet de loi qui répond à d'évidentes nécessités si l'on veut que la société anonyme retrouve, pour les opérateurs économiques et pour leurs avocats, les attraits qu'elle a perdus dans la pratique des affaires. Je doute toutefois que l'on puisse aller jusqu'à la suppression de toutes les sanctions pénales et même que cela soit souhaitable. Il existe, certes, dans les textes actuels des infractions purement formelles et non intentionnelles qui sont absolument disproportionnées pour sanctionner des manquements administratifs, de pure négligence ou même d'ignorance susceptible d'être commis dans le fonctionnement quotidien des sociétés anonymes. Cette famille "d'infractions" devrait être traitée et réparée selon d'autres méthodes que celles forgées par l'arsenal pénal : on peut sur ce plan songer à des procédures de contrôle par les services du greffe, non traumatisantes mais tout aussi efficaces, se traduisant par exemple par : ‡ des refus de publication d'actes irréguliers, ‡ des pouvoirs d'injonction à fin de régularisation (éventuellement assorties de convocation à l'audience du tribunal de commerce ou même d'astreintes financières à caractère provisoire ou définitif), ‡ des mentions au Registre de Commerce dénonçant explicitement aux tiers les manquements de la société concernée (en cas de retard de publication de l'assemblée d'approbation de comptes par exemple), ‡ sachant que sur ce terrain, la riposte non pénale peut aussi aller jusqu'à la nullité de délibérations irrégulières voire, en cas de récidives, à la dissolution pure et simple de la société délibérément défaillante. On peut aussi souligner que la société anonyme fait déjà l'objet de mesures obligatoires de contrôle de conformité par son commissaire aux comptes alors que les Sarl n'en sont dotées qu'au-delà de 50 millions de dirhams de chiffre d'affaires. Par contre, il me semble que les sanctions pénales devraient subsister pour réprimer les comportements les plus gravement et les plus manifestement attentatoires à la morale des affaires : il doit en aller ainsi pour des délits comme ceux incriminant la répartition de dividendes fictifs, l'abus de biens sociaux, la publication de faux bilans, etc… Ces agissements relèvent en effet clairement d'une criminalité délibérée dite "en col blanc" et perturbent de façon caractérisée la vie des affaires et les droits des actionnaires et des tiers. C'est pourquoi, s'il faut certainement davantage de mesures et de modération dans le droit pénal des sociétés anonymes, il ne faut pas pour autant en arriver à une totale impunité qui aboutirait finalement au même résultat qu'actuellement : celui d'une fuite généralisée des opérateurs devant les carences de cet outil juridique. Pour autant que le projet de loi vise à un rééquilibrage raisonnable des sanctions en éliminant les excès répressifs actuels mais sans leur substituer une permissivité qui serait tout autant dissuasive, il y a là les moyens de restaurer l'intérêt des créateurs d'entreprises pour ce mode de fonctionnement tout à fait précieux. En effet, la société anonyme devrait occuper une place éminente dans les formules sociétaires (tant sous la forme classique à conseil d'administration que sous la forme nouvelle à directoire et conseil de surveillance) puisque la société à responsabilité limitée, la formule la plus utilisée depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 17-95, ne correspond manifestement pas à des structures faisant appel à un actionnariat diversifié ou ambitionnant une envergure significative. Ce sont ces sanctions pénales qui poussaient certains dirigeants de S.A à transformer leur société en SARL ? Il est tout à fait évident qu'outre des rigidités trop contraignantes, la société anonyme souffre d'une criminalisation systématique de tous les manquements- mêmes les plus anodins ou les plus involontaires- pouvant survenir dans son fonctionnement. C'est bien la raison pour laquelle, comme vous le soulignez, un grand nombre d'entreprises jusqu'alors constituées en S.A ont préféré se transformer en Sarl plutôt que de mettre leurs statuts en harmonie avec la loi nouvelle lors de l'entrée en vigueur de la réforme des sociétés anonymes. Ainsi, le défaut de convocation de l'assemblée générale annuelle dans les six mois de la clôture de l'exercice social est puni d'une amende de 2.000 à 20.000 dirhams dans la Sarl (article 110, alinéa 2 de la loi n° 5-96) alors que la même infraction "vaut" de 60.000 à 600.000 dirhams dans la société anonyme (article 388 de la loi n° 17-95 : on le voit, il est moins périlleux et surtout moins coûteux d'être gérant de Sarl que président-directeur général de S.A ! De même, le gérant d'une Sarl qui ne déposerait pas dans les délais légaux les pièces devant être publiées au greffe encourt une amende déjà bien lourde de 10.000 à 50.000 dirhams (article 108 de la loi 5-96) alors qu'en société anonyme le même retard l'exposerait à une amende portée de 8.000 à 40.000 dirhams outre un emprisonnement d'un à trois mois (article 420 de la loi n° 17-95) ! De ce fait, l'avocat ne peut que déconseiller aujourd'hui, dans la plupart des cas, le recours à la forme anonyme lors d'une création d'entreprise nouvelle. Les sociétés nouvelles sont d'ailleurs statistiquement constituées, et de façon massive, sous forme de sociétés à responsabilité limitée alors que l'ampleur de leurs objectifs économiques, la diversité de leur actionnariat ou l'impératif fréquent de dissocier la gestion du capital commanderaient plus logiquement l'utilisation de la société anonyme ! En qualité d'avocat, ce n'est, dans l'état actuel des textes, certainement pas la société anonyme que je privilégie pour l'institution de sociétés nouvelles. Ceci sous réserve du statut des sociétés anonymes simplifiées qui constituent une avancée intéressante du droit des sociétés mais qui, d'une part, ne sont accessibles que de façon restrictive et qui doivent d'autre part évoluer encore sur le plan législatif pour pleinement remplir leurs fonctions. Les amendes et la responsabilité du directeur général deviendraient plus importantes après l'adoption du projet de loi modificative. Quelle analyse donneriez-vous à ces deux aspects ? La réponse à cette question supposerait de voir le texte de la réforme envisagée. On sait que la SA peut prendre deux formes (outre bien sûr la société anonyme simplifiée) : soit elle est dirigée par un conseil d'administration qui désigne un président parmi ses membres (article 63) et, sur proposition de ce dernier, un ou plusieurs directeurs généraux (pouvant ne pas être administrateurs) pour "l'assister", soit elle est administrée par un directoire d'une à cinq personnes dont tant les membres que le président (et le ou les directeurs généraux si les statuts ont prévu qu'il en soit nommé) sont désignés par un conseil de surveillance émanant des actionnaires. En principe, les directeurs généraux ont vis-à-vis des tiers les mêmes pouvoirs de représentation que le président et tout le titre XIV de la loi traitant des sanctions pénales encourues dans les sociétés anonymes incriminent indistinctement (article 373) pour les sociétés à conseil d'administration les administrateurs, le président et les directeurs généraux extérieurs au conseil et pour les sociétés anonymes à directoire les membres de cet organe. Il n'y a donc pas à exactement parler, dans le droit actuel, de distinction entre le président et ses directeurs généraux au niveau des responsabilités pénalement encourues. Cette différenciation ne pourra donc se concevoir qu'en distinguant nettement les attributions présidentielles (qui se limiteraient à la présidence des réunions ou du conseil d'administration ou du directoire) et celles des directeurs généraux investis en tant que tels de la responsabilité de conduire les affaires de l'entreprise et seuls exposés aux manquements envisagés par la répression pénale. Une telle dissociation existe dans certains droits étrangers et de façon assez récente. Il ne semble toutefois pas qu'elle ait rencontré un réel succès si ce n'est dans quelques groupes internationaux très décentralisés. La structure de l'entreprise marocaine, encore très familiale, ne semble pas devoir justifier sociologiquement une telle évolution qui, si elle était confirmée, ne devrait intéresser qu'un nombre assez limité d'entreprises. Encore une fois, il existe déjà dans le droit actuel des dispositions (au niveau des assemblées, du conseil de surveillance, des comités ad hoc, etc…) qui permettent déjà de distinguer organiquement le pouvoir capitalistique du pouvoir opérationnel en donnant à chacun les responsabilités, y compris pénales, découlant des prérogatives dont il est investi. C'est un cadeau, dit-on, pour les multinationales. En quoi ces amendements les arrangeraient-elles ? Le "cadeau" d'une modération de la répression doit profiter uniformément à toutes les sociétés anonymes, qu'elles soient nationales ou internationales, la loi étant de portée générale. Les multinationales ont déjà la possibilité de fonctionner au travers de filiales communes (pour autant qu'elles détiennent un capital de deux millions de dirhams au moins) dont le fonctionnement est soumis à des dispositions (et donc à des sanctions) très allégées par rapport au droit commun. Il suffit pour cela de recourir à la société anonyme simplifiée instituée par le titre XV de la loi 19-95 ! Ce serait donc un mauvais procès que de soutenir que la réforme, si réforme il y a, aurait vocation de favoriser les intérêts étrangers ! Et qu'est-ce que les amendements sur la loi 17-95 vont changer dans la création d'une S.A ? Si le projet est adopté dans le sens d'une atténuation significative de la redoutable –et redoutée- force de frappe pénale dont s'était dotée la loi n° 17-95, il est bien certain que les fondateurs d'entreprises aborderont avec plus de sympathie le recours à la société anonyme. Mais il serait toutefois opportun que les rigidités procédurales qui sévissent parallèlement dans la loi actuelle soient sérieusement assouplies, ou qu'une plus large libéralisation de la société anonyme simplifiée soit promulguée. Sous ses réserves, la SA peut constituer un instrument incomparable d'accompagnement du développement économique : d'abord parce qu'elle répond mieux que la Sarl aux effets de taille, ensuite parce qu'elle bénéficie du contrôle (et donc des lumières !) systématique d'un commissaire aux comptes, ensuite parce que la collégialité y est la règle (tant au conseil d'administration qu'au directoire ou au conseil de surveillance), et enfin et surtout parce que c'est l'outil véritablement incontournable d'appel aux marchés financiers et de diversification actionnariale. Or la désaffection qui frappe ces dernières années la SA, pour des motifs tenant exclusivement à l'inadaptation de la loi, a été très certainement pénalisante pour l'économie dont le besoin est bien réel en structures de ce type pour son fonctionnement et pour son développement. En tout état de cause et en qualité d'avocat du monde des affaires, on ne peut que se réjouir de voir s'estomper des rigidités néfastes assorties de pénalisations outrancières : le seul résultat en a été une désuétude accélérée de la SA en dépit des arguments qui ailleurs, militent tout à l'inverse pour sa généralisation. La réforme envisagée est clairement inspirée par des motifs de modernisation et de simplification du droit : la dépénalisation – relative - du droit des sociétés anonymes en constitue le corollaire indispensable et il faut donc saluer tous les travaux qui ont été conduits en ce sens ces dernières années. A ces conditions, la société anonyme retrouvera un avenir tant pour les développeurs d'entreprises que pour leurs conseillers juridiques.