Reportage La région des Doukkala recèle des richesses agricoles, culturelles, touristiques et humaines indéniables. Avec une histoire pleine de sens, elle reste l'une des régions les plus emblématiques de la côte atlantique. Prosaïque, tout en couleur, c'est aussi le relais entre le nord et le sud grâce à l'axe Doukkala-Chaouia. Sur la route d'Azemour, une vieille dame qui nous a vendu des melons, nous demande une faveur. Elle souhaitait que quelqu'un fasse une offrande pour elle à Lalla Aicha Al Bahriya. Selon toute apparence, elle a une fille qu'elle évoque subrepticement et qui semble ne pas encore avoir trouvé chaussure à son pied. Elle décide alors de nous offrir un troisième melon en contrepartie de notre promesse d'aller au marabout déposer un paquet et trois bougies. On ne saura jamais pourquoi elle a choisi ce nombre, et quand on le lui a demandé, elle a juste esquissé un sourire nous signifiant qu'il y avait là une limite à ne pas franchir. Nous n'irons pas plus loin, mais il nous a fallu entendre les conseils de la vieille dame nous incitant à demander un peu de grâce de cette bonne fée, nichée au milieu des flots et qui, selon toute évidence ( pour la bonne femme), pouvait beaucoup pour la paix de nos âmes. Soit. Lalla Aïcha tient le secret A 22 kilomètres d'Azemour s'élève le marabout de la sainte. Sur la droite avant d'arriver dans la ville bordée par l'oued Oum Errabii, nous bifurquons par une piste qui mène droit vers la mer. C'est par la plage que nous atteignons le marabout de cette sainte que tant de mystères enveloppent. Jamais on ne saura qui elle était, ni si elle avait réellement existé un jour. Tant d'histoires autour de son origine mais aucune d'elles ne semble vérifiable. Toujours est-il que cette Aïcha l'océanique attise la curiosité, fait monter les enchères sur sa descendance, ses filiations et son unique pouvoir de faire le bonheur de ces dames. Nous avons donc eu droit à toutes les variétés locales sur cette femme hors du commun qui a été choisie pour faciliter la vie de ses semblables et surtout arrêter net les souffrances des femmes. Elle serait apparue chevauchant sept aigles qui devaient parcourir sept océans pour qu'elle puisse enfin voir son amoureux. Ce serait aussi une princesse arabe venue d'un pays lointain pour fuir un amour impossible. Son amant n'est autre que le saint patron de la ville d'Azemour, Moulay Bouchaïb qui siège de l'autre côté de la bourgade et ne peut aucunement rejoindre sa bien-aimée. La légende voudrait aussi que Aïcha, qui arrive du nord, devait rencontrer son promis, Moulay Bouchaïb, qui arrive du sud. Une fois la plage atteinte, leurs deux courses se sont arrêtées et les deux amants n'auront jamais pu se toucher. “Une petite distance les sépare. C'est triste, mais il y a des destinées fatales comme celles-là qui en disent long sur la vie humaine”, jette à tout hasard une jeune fille qui cherche désespérément un époux dans la fournaise de l'été. Elle jette son dévolu sur un type basané qui appréciait l'élan de cette jeune nayade éprise de la virilité tant rêvée. Le marabout se décline en vert et blanc, assez vaste pour recueillir une bonne armée de femmes en mal de mâles. Sur les murs, des traces de mains faites au henné, les doigts écartés comme pour laisser filer l'air et permettre au bon présage de trouver sa voie. On lit sur ces murs des centaines de noms qui se superposent, se mêlent, s'entrecroisent. Autant de noms d'hommes qui ont hanté les rêves les plus fous des femmes. “Beaucoup de femmes ont trouvé des maris après leur passage par les bras de la sainte. Il faut avoir la foi et espérer”. Pour notre part, nous savons que les voies du seigneur sont impénétrables. Après tout, les miracles et les coïncidences relèvent souvent de la même argile ou du même henné que ces femmes viennent appliquer aux murs comme des peintures rupestres, chamaniques invoquant les divinités de bon aloi. Avant de quitter les lieux, on allume les trois bougies et on dépose le paquet de la bonne femme. Une voix nous jette sans trop insister que dans quelques jours tout rentrera dans l'ordre… Azemmour en attendant Moulay Bouchaïb Sang vert de la montagne, coule, coule, coule / L'Oum Errabii dans nos terres et dans nos veines/ Nous jurons, oui, nous jurons par toutes les gouttes de ton eau/ Par chaque brin de ta verdure, chaque grain de ton sable/ Par toutes tes pierres et toutes tes voix, de vivre toujours/Le long de tes bras, ô mère éternelle qui nous a rassemblés… On l'aura compris, sans l'oued, Azemmour n'aurait jamais vu le jour. Ce que Driss Chraïbi avance ici dans son récit «la mère du printemps» trouve racine dans la foi et la pensée des Zemmouris. Pour le plus petit comme pour le plus vieux, “c'est le fleuve qui nous donne de quoi vivre : eau, poisson… et nous berce comme une mère attentionnée”. L'histoire d'Azemmour est très riche. Ce sont d'abord les Carthaginois qui l'ont fréquentée. Elle s'appelait alors Azama. Ensuite, c'était le tour des berbères Sanhaja de l'occuper avant l'arrivée des Portugais en 1513. C'est le Duc de Bragance qui donna l'assaut final et s'empara de la ville. Lors de la chute de Santa Cruz du Cap de Gué, les Portugais durent quitter la ville vingt-huit ans plus tard pour se replier à El Jadida. C'est à ce moment que la petite bourgade juchée sur son promontoire de falaises devient une cité de guerriers tous armés de la foi et qui défendent leurs terres des convoitises des étrangers. Les guérillas se multiplient jusqu'à la fuite des Portugais de Mazagan. Mais ceci relève de l'histoire. La vieille histoire. Car Azemmour, aujourd'hui, n'est que l'ombre d'elle-même. C'est une ville ruinée où les richesses et le faste du passé n'existent plus que dans les légendes qui veulent bien perpétuer la grandeur déchue d'une grande cité marocaine. Azemmour est à coup sûr la ville marocaine la plus sale et la plus délaissée. Quand on pénètre dans l'ancienne enceinte qui ceinture la vieille médina par ces arcs en clés qui font tout le charme des lieux, nous sommes d'emblée frappés par le délabrement des lieux. “Nous sommes les oubliés de la région. Vous voyez à quel degré la ville est devenue une décharge à ciel ouvert. Personne ne lève le petit doigt pour faire quoi que ce soit. Nous sommes livrés à nous-mêmes alors qu'il y a lieu de faire de ce patelin l'un des plus beaux de la côte atlantique”, laisse éclater un artiste, natif de la ville, et qui se bat pour qu'on réhabilite son patelin. On rencontre un professeur qui nous invite à faire un tour avec lui au-delà des remparts de la ville. Les ruelles sont éventrées et laissent voir beaucoup de crevasses. Les enfants jouent dans l'eau dormante, dégageant une odeur nauséabonde. “Il y a ici des maisons d'une grande beauté qu'il faut restaurer pour en faire des demeures luxueuses. On pourrait même les transformer en maisons d'hôtes. Ce n'est que de cette façon que l'on pourrait drainer les touristes et faire en sorte que la ville retrouve un peu de son lustre d'antan”. L'appel de ce monsieur n'est pas vain puisque des étrangers ont déjà acheté des maisons qu'ils sont en train de restaurer. “Si on arrive à notre échelle à faire en sorte que d'autres étrangers achètent d'autres maisons, Azemmour sera sauvée et pourrait même devenir un nouveau pôle d'attraction touristique comme Marrakech ou Essaouira, toutes deux réhabilitées par des étrangers. C'est triste à dire, mais il est vrai qu'il nous faut attendre que les autres viennent nous montrer l'étendue de nos richesses”. Les travaux en cours dans la ville semblent faire le bonheur de tous : “cela fait du travail pour nous tous. C'est tant mieux si toutes les vieilles maisons sont vendues. Parce qu'en dehors de la pêche, il n'y a strictement rien à faire ici. On pourrait mourir de faim si ce fleuve n'était pas là quoi qu'il arrive”. Mais l'Oued ne tiendrait pas longtemps face aux assauts de la pollution. De l'autre côté des remparts, derrière la ville, à flanc de montagne, c'est une décharge publique qui a pris place. Des immondices de partout qui sont en train de polluer le fleuve, tuer sa faune et façonner son cours initial. La manne tombée du ciel risque de devenir le pire cauchemar des Zemmouris qui ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de tuer leur ville. L'appel de Mazagan C'est Lyautey qui a dit d'El Jadida qu'elle était le Deauville du Maroc. Il avait pour elle des visées stratégiques que Casablanca et son port construit au début du siècle ont très vite fait avorter. Ce mot semble être collé au corps de la région et chevillé aux cuisses de tous les Jupiter doukkalis qui ont laissé de côté leurs rêves de grandeur. Il y a aussi la fatalité qui frappe de plein fouet les cœurs haletants des natifs de la région livrés aujourd'hui à un défaitisme des plus forcenés. “La Chaouia nous a tout pris. Vous souvenez-vous de l'époque de l'application du programme d'ajustement structurel ? C'était dans les années 80. Nous espérions beaucoup de ce Programme qui allait restructurer les données politiques et économiques du pays. C'est finalement la Chaouia qui a tout raflé laissant les Doukkalis face au désastre du vide”. Le vide se ressent partout : la jeunesse doukkalie a fui le pays. Elle se réfugie aujourd'hui dans la métropole de Casablanca. “De nos jours les natifs de la région n'ont même pas le bac. A l'époque du protectorat, il n'y avait qu'un seul lycée au Maroc, doté d'une classe terminale. C'était El Jadida. Aujourd'hui, elle compte plus de chômeurs que n'importe quelle autre ville du pays”. De nombreux jeunes se sont convertis en vendeurs ambulants. Demandez au premier vendeur que vous rencontrerez d'où il vient, il vous répondra de Doukkala et il ajoutera qu'il sait s'y prendre tant il est vrai que les Doukkalis sont de grands marchands. L''autre grande débâcle de la ville reste son club de football, le Difaa Hassani El Jadidi, jadis fleuron du foot national, aujourd'hui vieille relique qui ne sert même plus d'épouvantail aux autres petits clubs du pays. Hosni Benslimane, général de division et Commandant la Gendarmerie royale, qui a tant tenu à ce que le club de sa ville natale reste parmi l'élite, a dû laisser le destin dicter sa loi. Le club est depuis l'ombre de lui-même. Restent les plus de 80 mille agriculteurs de la région qui souffrent le martyre. Sur une population de plus d'1 million d'habitants, ils sont plus de 25% à payer un lourd tribut à la marginalisation, l'oubli et la négligence, sans oublier les années folles de la sécheresse qui a tout emporté dans son sillage. “Que nous reste-t-il ? La plage, les moussems et la cité portugaise ? On ne fait pas l'avenir avec si peu” confesse ce Jdidi très touché par le sort de sa ville. Reste que la ville a d'autres atouts qui vont au-delà de ses belles plages et de son infrastructure touristique certes mal exploitée (Voir encadré). L'escale à Oualidia A 80 kilomètres d'El Jadida, s'élève l'un des joyaux de l'Atlantique : Oualidia. Une station balnéaire réputée mondialement. Une belle lagune avec des bassins ostréicoles qui en font l'un des seuls endroits au Maroc où les huîtres régulent les saisons. La ville ne peut même plus répondre au flux de touristes qui limite de ce fait son développement en l'absence d'une véritable stratégie touristique. Oualidia est d'abord une casbah qui remonte au règne de Moulay El Oualid vers l'année 1510/1511. Comme toute la région, elle a vu le passage des Phéniciens, des Romains et des Portugais. A l'époque, des noms comme Karikon, Gytte, Akra, Mellita et Arambys étaient très connus et correspondaient forcément à des villes comme Azemmour, Mogador, El Jadida et Oualidia. Il fallait attendre la fin du protectorat et le règne de Sa Majesté Mohammed V pour voir Oualidia renaître de ses cendres. Le palais royal de feu Mohammed V est un témoignage de cette faste période. Oualidia offre des charmes autres. C'est un mélange exquis de terre, de sable et d'eau bleue d'azur qui offre au visiteur un site unique au Maroc. Eté comme hiver, la ville est une véritable mecque pour les touristes. On y apprécie les huîtres, mais aussi le dépaysement et le calme. Elle est depuis quelque temps, un refuge pour de nombreux artistes internationaux qui y ont élu domicile. Le plus renommé d'entre eux reste le peintre anglais, Bill West. Un grand artiste dont la célébrité fait honneur à Oualidia où il vit depuis quatre ans. Il est tellement connu dans la ville et sa région, qu'on l'appelle aujourd'hui Bill le vrai Doukkali. Outre son art qui est l'une des expressions artistiques les plus riches et les plus fortes de ces quinze dernières années, l'homme a su pénétrer le cœur même du centre balnéaire et en devenir presque sa mascotte. Il lutte pour que la ville garde son cachet naturel et qu'elle ne soit pas sacrifiée à l'air du temps… comme d'autres villes du pays. El Jadida : les efforts de l'Etat El Jadida, c'est d'abord une position géostratégique de grande importance dans le pays. Plusieurs tribus forment le tissu de la région : Oulad Bouaziz, Al Aounate, Chtouka, Oulad Frej, Oulad Bouzrara, Oulad Amrane et Oulad Ameur. Ils sont aujourd'hui au centre de la grande transformation de la région qui gravite autour du port de la ville. Jadis phare dans le trafic intérieur et extérieur de l'Atlantique, le port de Jorf Lasfar, véritable plate-forme de l'industrie portuaire du pays, est en train de changer le visage de la région. Prévu pour répondre à un trafic maritime allant jusqu'à 25 millions de tonnes par an, il est le premier port minéralier d'Afrique. Les complexes phosphatiers et thermiques qui s'y déploient grâce à une infrastructure des plus performantes, le parc industriel prévu sur une superficie de 500 hectares donnera une autre allure à la ville et sa région. L'énergie est donc l'un des atouts majeurs de la ville. La centrale thermique de Jorf Lasfar, le premier producteur indépendant d'électricité au Maroc, est née suite à un contrat de concession en 1997, entre l'Office national d'électricité, ancien propriétaire de la centrale et le groupe Consortium international composé des sociétés helvético-suédoises Asea Brown Boveri (ABB), et américaine, Consumers Michigan Service, (CMS) pour une durée de 30 ans. Les unités existantes U1 et U2, d'une capacité de 330 mégawatts chacune et les deux autres unités U3 et U4 ont coûté la bagatelle de 1,5 milliard de dollars, un investissement colossal qui va doter la région de l'un des plus grands vecteurs de prospérité. Ceci pourrait faire fructifier les efforts et les avancées réalisées déjà avec la création de Maroc phosphore III et IV en 1986. C'est d'ailleurs à partir de cette date et jusqu'en 1990 que la région a connu le plus grand nombre d'investissements. On s'en souvient, en 1987, l'investissement industriel réalisé par le secteur avait atteint un chiffre d'affaires de plus de 408 millions de dirhams sans compter les investissements de Maroc Phosphore et de Jorf Lasfar. Les unités en fonction ont pu réaliser plus de 3,5 milliards de dirhams et une valeur ajoutée de 476 millions de dirhams, ce qui est un véritable levier pour une région tombée dans l'oubli et qu'il faut réhabiliter. Le plus gros des investissements revient donc à l'industrie chimique et para-chimique et l'industrie agroalimentaire alors que le domaine du textile est relégué au troisième plan. Il faut noter que pour l'année 1990, les investissements ont pu atteindre 960 millions de dirhams avec la création de 21 unités supplémentaires, contre 2 unités en 1983. Entre 1991 et 1996, l'économie de la région a connu un bond spectaculaire : le nombre d'établissements industriels est passé de 77 en 1991 à 142 en 1996 et la production, de ce fait, a connu une croissance de 43%. Durant la période allant de 1997 à 2000, la production a atteint 9213 millions de dirhams, soit 6% de la production industrielle nationale marquant ainsi une augmentation de 13% par rapport à l'année 1996. Reste le secteur touristique qui regorge de potentialités. La région enregistre chaque année une affluence record de touristes nationaux qui affectionnent particulièrement les plages de Oualidia et de Haouzia, deux des plus belles stations balnéaires du pays. La côte est une succession de plages vierges encore inexploitées et qui pourraient donner naissance à des complexes touristiques de très haut niveau surtout que le Maroc compte faire venir plus de 10 millions de touristes d'ici l'année 2010.