Le prince héritier d'Arabie Saoudite, Abdellah ben Abdelaziz, vient d'effectuer une tournée dans trois pays arabes : la Syrie, l'Egypte et le Maroc. Si le but annoncé consiste à réaliser la solidarité arabe, le véritable objectif porte essentiellement sur le retour à la politique des axes. Les pressions américaines sur Ryad, la crainte d'une politique hostile au voisinage pouvant émaner du Conseil du gouvernement provisoire en Irak, sont apparemment à l'origine de la dernière initiative saoudienne. “Si les 22 pays arabes vont hésiter à prendre une position claire à l'égard de l'avenir de l'Irak et de la Palestine, ce serait alors du ressort, voire du devoir des grands de cette nation de le faire ”, soulignait Farouk al Chareh, ministre syrien des Affaires étrangères, quelques heures avant l'atterrissage de l'avion du prince Abdellah à l'aéroport international de Damas. De plus, le responsable syrien a tenu à rappeler à ses proches collaborateurs que si Riyad et le Caire avaient réagi, il y a quelques mois à l'appel conjoint du roi du Maroc, Mohammed VI et le président Bachar Al Assad, quant à la réactivation de la solidarité arabe, nous ne serions pas dans cette situation aujourd'hui. En tout état de cause, force est d'indiquer que l'initiative saoudienne d'aujourd'hui, se croisant avec les stratégies et les intérêts régionaux aussi bien de l'Egypte que de la Syrie, est le résultat d'une conviction. Si l'Irak s'éloigne du monde arabe, devient un Etat dominé par une pensée isolationniste ou bien s'il tombe dans le piège du démantèlement confessionnel et ethnique, cette dangereuse donne pourra se répercuter rapidement sur son entourage direct, l'Arabie Saoudite et la Syrie en tête. Autre facteur inquiétant : les pressions exercées sans relâche par les Etats-Unis, administration et congrès confondus, auxquelles se sont ajoutées la semaine dernière celles des Britanniques avec l'annulation des liaisons aériennes de British Airways. Retour aux constantes A chaque fois qu'un réel danger se profile à l'horizon, les quatre pays pesant le plus sur l'échiquier politique arabe, se concertaient pour mettre en place un mécanisme capable d'y faire face ou d'amortir les chocs. Ils l'ont prouvé lors de la guerre du Ramadan en 1973, également avec l'invasion de l'Irak de Saddam Hussein au Koweït en août 1990. Durant moins de deux décennies l'axe Egypte, Syrie, Arabie Saoudite a fonctionné à la perfection. La coordination a touché tous les domaines, du sécuritaire au militaire, au financier, même au sauvetage de régimes. Dans ce cadre, force est de souligner que l'Arabie Saoudite a soutenu sans faille durant des années, une économie syrienne en grande difficulté, assurant l'équilibre de la majorité de ses balances. Avec le Caire, cette dernière s'est rangée aux côtés du président Hafez Al Assad, dans sa bataille sanglante contre les Frères musulmans. La recherche aujourd'hui par Riyad de cet axe tripartite moyen-oriental perdu, devait remplacer un autre mort-né il y a environ treize ans juste après la libération du Koweït. Il s'agit des Etats d'Al-Taouk ” (ceinture) baptisé alors “ Déclaration de Damas ”. Ce dernier rassemblant en plus de l'Egypte, de la Syrie et du Liban, les six pays membres du C.C.G (Conseil de Coopération du Golfe). Cet axe avait pour principal objectif d'anticiper les éventuelles crises inter-arabes, d'identifier les foyers de tension afin de les maîtriser à temps. Cependant, vu les divergences et les conflits d'intérêts existant entre ses diverses composantes, cet “ axe élargi ” n'a pu à aucun moment jouer son rôle, finissant par disparaître de la circulation laissant derrière lui des querelles et des interrogations. La dernière guerre d'Irak, son occupation et ses répercussions néfastes, ne tardant pas à surgir et constituer un véritable danger en cas de débordement et de dérapage, ont obligé les dirigeants saoudiens à bouger. Le retour au rassemblement de la famille arabe malgré ses contradictions internes, les adversités, pourrait diminuer les dégâts. D'autant plus que ces derniers sont conscients qu'ils sont de plus en plus visés par leur allié stratégique les Etats-Unis. Les Saoudiens estiment que les Américains tentent aujourd'hui de jouer des cartes arabes dans la multiplication de leurs pressions, voire la déstabilisation de leur régime. “ Les récentes déclarations du colonel Kadhafi à l'égard de l'Arabie Saoudite qui ont divulgué le Wahhabisme et de là le terrorisme religieux ne sont pas innocentes. Elles font le jeu du lobby anti-saoudien à Washington”, disait le prince Saoud al Fayçal, ministre des Affaires étrangères, lors de sa rencontre avec des journalistes égyptiens. Sortir de l'impasse Les trois pays arabes concernés par cet axe sont, à l'heure actuelle “sujets à des pressions américaines”, certes différentes de par leur ampleur ou leur nature. Une raison suffisante pour engendrer leur rapprochement tout en prenant en compte le fait de ne guère provoquer Washington. Car l'essentiel, c'est de sortir de la situation d'immobilisme arabe qui est devenu avec les échecs successifs une impasse. Imaginer l'Irak s'éloigner de sa nation arabe, commence d'ores et déjà à faire paniquer ces trois pays. La réticence quant à l'acceptation de recevoir des représentants du Conseil de gouvernement provisoire en Irak le confirme. Ce, alors que les Emirats Arabes Unis, petit pays du Golfe, ont tranché dans ce sens. Une délégation de ce groupement se rendra à Abou-Dhabi dans les prochains jours. On s'interroge si cette visite a été coordonnée avec le nouvel axe afin de dévoiler les intentions du Conseil irakien en place, ou bien si elle est le fruit des déclarations du secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, qui a fait clairement savoir que les Etats-Unis exerceront de nouvelles pressions sur les pays arabes afin d'apporter un soutien plus important au Conseil de gouvernement provisoire, formé le 13 juillet dernier. Parallèlement, le ministre égyptien Ahmed Maher, a déclaré à la fin de la réunion avec ses homologues, syrien et saoudien au Caire, que le Conseil mis en place par Washington “ ne représente pas le pouvoir légitime en Irak ”. Néanmoins, il ajouta que l'Egypte est prête à recevoir des membres de ce conseil “ à titre individuel” et non en tant que représentant du peuple irakien. En tout état de cause, les pays formant cet éventuel axe ne peuvent agir autrement. Car un régime fort en Irak exécute les ordres des Américains à la lettre, optant pour un système fédéral, chose confirmée à La Gazette du Maroc par Mahdi Al Hafez, un des proches d'un membre du Conseil, le sunnite Adnan al Bajdiji, pourrait non seulement fausser le jeu à tous les niveaux (allant de l'Opec jusqu'au retrait de l'Irak de la Ligue arabe), mais devenir une source d'instabilité de la région. Ce que craignent le plus les pays ayant des frontières avec la Syrie, comme l'Arabie Saoudite, puisque la Jordanie mise sur les Américains pour l'aider non seulement à éviter le déraillement des Haouzales chiites, mais aussi à développer les échanges commerciaux avec le grand voisin. Pour ce qui est de l'Iran, malgré les anticipations de la République Islamique qui a dépêché une délégation officielle à Baghdad pour rencontrer les membres du Conseil, tout dépendra de l'issue des négociations en cours, sous la table, entre Washington et Téhéran. Reste à savoir si l'axe en vue a de fortes chances de devenir opérationnel dans un proche avenir. Les analystes les plus avertis se demandent même si les éléments qui rapprochent ces pays sont beaucoup plus nombreux que ceux qui les éloignent.