«L'ombre» blanche de Alaoui M'daghri Un ex-ministre est souvent un livre qu'on néglige de lire. Pour deux raisons, au moins : d'une part, la pléiade qui, à compter de l'Indépendance, alourdit les rayons de notre gouverno-thèque. Les livres, c'est-à-dire les ministres, s'y entassent, les titres se succèdent, le genre est souvent le même et on ne sait plus à quel saint se vouer. D'autre part, les ex-ministres sont dans leur majorité, des livres à blanc. Silencieux. Donc, illisibles. S'aventurer à les décrypter, ressemblerait à une lecture avec un bandeau sur les yeux. Même la méthode Braille, n'y sert à rien : au mieux, elle doublera la frustration. Au pire, elle tournera notre science en dérision.Moralité : n'essayez pas de lire un ministre silencieux. Quand il parle, le ministre s'entend, le lecteur n'est pas non plus mieux loti. Un ex-ministre, ça se sent, s'écoute, mais ne se laisse pas lire. C'était le cas avant Mr Alaoui M'daghri. Conscient du pouvoir du verbe, il sait, fqih qu' il est, que les paroles volent et que les écrits restent. “Verba volant, scripta manent”, disaient les anciens. Alors ? Mû par le souci de soi, il remédie à cette carence. Résultat : “L'ombre de Dieu”. Publiée récemment, l'œuvre de l'ex-ministre des Habous, est d'abord imprimée pour rester. Ensuite, M'daghri y règle des comptes -courants- avec la classe politique qu'il ne porte pas dans son cœur. Déjà, le titre est une incitation à la réflexion, à la rêverie et chatouille surtout la curiosité. Mais, à y lire de près, il devient un appât. Savamment choisi, il a ceci de réussi qu'il attire les badauds. Mais, pas seulement eux. Après, le livre, au verbe très virulent, devient un règlement de comptes. Et un plaidoyer : le “Je” narratif, le ministre donc, y est blanc comme neige, les autres, les “politicards à la noix” (sic), des diables. Des poltrons. Pour preuve, l'ex-Habous, remonte aux années de la lutte pour l'indépendance, relate, à sa manière, les événements qui ont marqué cette période de notre histoire. Il a son mot à dire, paraît-il. “Les nationalistes, appartenant à ces formations politiques (ceux que le ministre n'aime plus, c'est-à-dire, issues du mouvement national, n'ont pas eu de cesse de réaffirmer leur attachement et leur fidélité à la France”.Reconnaissant, l'Hexagone “a considéré ces nationalistes comme des soldats et chevaliers, non seulement au Maroc, mais dans l'Afrique aussi”. Traîtres ? Presque : “Poltrons, pusillanimes. Car “ils haranguent les foules et signent des pétitions pour l'indépendance, en totale connivence avec les autorités françaises”. Oui, ce sont là, les écrits d'un ministre qui a siégé 20 ans durant à la tête d'un ministère des Affaires islamiques, dit de souveraineté. Maniant la facilité et les rancunes, Alaoui M'daghri compte riposter à tous ceux qui l'ont montré du doigt, et ils sont nombreux. Le chapelet des griefs est long, trop long. Porte-étendard des conservateurs, soutien moral et administratif du Wahhabisme, parrainage des courants rétrogrades. Et on en passe et des meilleurs. Après deux décennies, et des dégâts, le ministre passe à table. Pas pour faire son mea-culpa, mais pour attaquer. Pour ce faire, il a une certaine idée. En clair : un livre, c'est comme une pendule. Cela se remet au goût du jour, à l'heure. Il a cependant commis l'imprudence d'omettre l'essentiel. Il faut plus qu'un CV ministériel pour être auteur : du courage.Or, M'daghri donne l'impression qu'il en a, du courage. Il en use, gauchement et lamentablement. Il traite la classe politique, surtout les héritiers du mouvement nationaliste, de tous les noms. Tout y est : complicité, fourberie et hypocrisie. “Leur corps politique, écrit-il, est archaïque, leurs membres sclérosés. Leur pensée est celle d'un vieux dégénéré. Vieux canons qui ne servent qu'à l'ornement des remparts historiques, leurs personnes sont des espèces disparues. Dans leurs partis, mausolées du charlatanisme politique, on ne retrouve que tintamarre et fanfaronnade…Hypocrites, artificiels, démagogues. Le fqih donne libre cours à ce qu'il y a de plus purulent dans le langage, la nausée quoi.“L'ombre…” de M'daghri, est certes un extrait du monologue de son auteur, il ne doit pas, on s'en doute, faire sa fierté, non plus. Il n'en demeure pas moins que l'œuvre est rédigée à… “fleur de peau”. En effet, elle se termine en supplique : “laissez-moi parler”. Peut-être qu'il ne supporte pas le fardeau qu'il s'est assigné à porter. Peut-être aussi qu'il doit haïr son livre, car il ne lui apprend à parler que de ce qu'il ne sait pas. Du ne sait plus. Peut-être également que le ministre, déstabilisé confessionnellement, réalise maintenant l'énormité de ses méfaits, il se dédouane tant qu'il peut.Une chose est sûre, néanmoins : voulant émouvoir et enseigner, l'auteur nous a servi le pastiche d'un mélo avec des connotations injurieuses. Ce n'était pas inéluctable, pourtant. Aurait-il choisi le silence, il n'aura pas eu peur de se taire. C'est logique, non ? Pour finir, cette idée lumineuse de Descartes, qui lui, n'a jamais été ministre des Habous : “la lecture de tous bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens qui en ont été les auteurs”. Et même une conversation étudiée. René le cogito, c'est lui, qui répétait sans cesse : “je pense, donc je suis”. Lui, il pensait…