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L'image de la précarité
Publié dans La Gazette du Maroc le 16 - 06 - 2003


Des Etats plus solitaires que solidaires
Etre ou ne pas être, la question qui se pose au Maghreb est dramatiquement shakespearienne. Depuis quarante ans, elle ne cesse d'être d'actualité. Que faire et surtout comment faire ?
Et si l'on abandonnait la règle du consensus, propose Habib Boularès sans grandes chances d'être écouté.
La Mauritanie vient d'échapper à un coup d'Etat qui l'aurait non seulement plongé dans l'illégalité internationale, mais surtout exposée aux déchirements interethniques auxquels aboutissent désormais les putsch en Afrique. Le Maroc est aux prises avec les ondes de choc d'une secousse qui n'a pas encore livré tous ses secrets ni démontré si elle relevait seulement d'une action isolée et ponctuelle. L'Algérie, dans le gouffre depuis bientôt douze ans, a été meurtrie de nouveau par un séisme ravageur. La Tunisie dont la quiétude ne semble assurée que par une main de fer policière, a montré, sous les coups de boutoir de l'extrémisme, que face aux risques de la déstabilisation, la sécurité ne saurait être tout. La Libye, apparemment l'Etat le mieux loti et le plus nanti par son rapport richesse-démographie très favorable, est exposée aux tribulations d'un leader qui balance entre unionisme et isolationnisme.
Le Maghreb existe
On le voit, le tableau maghrébin n'est guère reluisant. Pris dans son ensemble ou chaque pays séparément, le Maghreb offre le spectacle de la précarité et de l'incertitude. Et au moment où l'effort doit porter sur l'action collective et la mise en commun des moyens, nos pays donnent la nette impression de privilégier le quant - à soi, chaque capitale tirant à hue lorsque l'autre opte pour la dia. Dans un tel paysage, le succès du volontarisme et de l'entregent de Habib Boularès, le secrétaire général tunisien de l'UMA, tiendrait plus du miracle que de la conviction des Maghrébins à transcender ce qui les divise pour entretenir ce qui les unit.
Le Maghreb existe. Chacun de ses citoyens, à un moment ou à un autre, l'a rencontré au détour d'un article, au carrefour de deux discours, sur un accord, pendant un voyage dans l'une ou l'autre de ses capitales, ou tout simplement dans une utopie unificatrice qui persiste à dire, malgré l'entêtement de la réalité politique du terrain, que les convergences étaient plus fortes que les divergences. Le Maghreb a les moyens d'un ensemble cohérent, puisqu'il en a les éléments : une langue commune, une même religion, une culture berbéro-arabo-musulmane presque partagée, une histoire aux flux et reflux interactifs, voire, à l'exception de la Libye “italienne”, un même colonialisme pour soubasser la construction d'un espace commun de six millions de kilomètres carrés aux richesses certaines à dédier à l'avenir forcément commun. Dans l'heur comme dans le malheur. Pourtant, les annales du Mahgreb indépendant qui pouvaient être la belle aventure d'une œuvre titanesque mais faisable, n'a été que l'histoire d'un désaccord profond. Pendant quarante ans, pour dater les choses à partir de la décolonisation de l'Algérie, nos pays ont été plus solitaires que solidaires se jouant les uns contre les autres. Le discours était certes à la profession de foi, mais les actes de guerre, (Gafsa en Tunisie, Sahara au Maroc et en Mauritanie…) tandis que la diplomatie était à la petite manœuvre, l'Algérie tentant d'isoler le Maroc en signant avec Tunis et Nouakchott en 1983 l'accord de Concorde et de Fraternité, le Maroc et la Libye ripostant une année plus tard par l'Union arabo-africaine.
On a bien cru à la maturité en 1988, lorsque à Zeralda (Algérie), les cinq leaders du Maghreb se sont rencontrés dans la foulée de la première Intifada en Palestine, pour sceller leur détermination, sinon à construire l'Union, du moins à changer l'arme d'épaule. Quelques mois plus tard, cette volonté s'est traduite à Marrakech (février 1989) par le traité de l'UMA. Naturellement, les vieux réflexes demeuraient puisqu'on a vu au sommet se développer l'appel à un Maghreb sans frontières “ici et maintenant”. Mais c'est bien évidemment le plaidoyer pour la construction progressive qui a prévalu .
“L'œuvre d'unité politique relève du long terme, et même du très long terme” ont dit les Maghrébins à l'unisson, changeant pour une fois de démarche. Ce ton était de bon augure : de la mesure à la place de la harangue habituelle. Aurait-on enfin trouvé la recette ? En tout cas, le Maghreb s'était fixé un objectif de base : procéder à la mise en valeur harmonisée des potentialités collectives pour assurer à la région une force économique et conséquemment politique, afin de devenir un interlocuteur crédible et de poids face aux autres ensembles du monde. La mondialisation n'était pas encore à la mode.
L'intégration économique laissait de côté l'unification politique pour ne retenir que l'harmonisation. Une révolution pour des peuples habitués aux effusions sentimentales. Pour l'événement, feu Hassan II eut cette déclaration : “nous avons fait en sorte que toutes les fées du monde, les plus bénéfiques, soient autour du berceau pour bénir cette naissance et l'aider à croître dans le bonheur et la sagesse”.
En dépit de toutes les prudences, l'UMA n'échappera pas aux maladies infantiles qui lorsqu'elles ne sont pas mortelles, affligent de morbidité. L'explication de cet avortement peut tenir en une phrase : le conflit moroco-algérien autour du Sahara. Mais elle ne suffit pas puisque le principe de diluer le conflit dans une dynamique de construction était acquis. Il devait permettre à tous de transcender les identités étroites.
La règle du consensus bloque
Longtemps on a cru aussi que les différences de régimes ne permettaient pas au système de fonctionner normalement. Ici libéralisme économique, pluralisme et démocratie à l'état expérimental. Ailleurs dirigisme teinté d'ouverture ; là-bas jamahirisme indéfinissable ; plus au Sud volonté d'affirmation dans l'incertitude. Mais, depuis, l'unipolarité du monde et la chute des idéologies ont nivelé les différences sans pour autant se traduire en flux positif pour la construction maghrébine.
Les Maghrébins ont bel et bien adopté une démarche pragmatique : créer l'irréversible dans les relations économiques pour favoriser l'émergence de l'irréversible au plan politique. Mais ce dessein a buté
sur une règle fondamentale dans le fonctionnement de l'UMA : l'impératif consensus des Etats membres pour toute décision d'importance. C'est du moins ce que pense Habib Boularès, convaincu de sa nécessaire abrogation pour permettre à l'UMA d'avancer par l'application de la règle majoritaire. C'est un début de piste, insuffisant sans doute, mais peut-être nécessaire. Il faut cependant bien craindre que nos Etats, même persuadés que le sujet se pose en termes d'être ou de ne pas être, s'en méfieront.


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