Encore une fois, la Tunisie prend l'initiative et aussi le risque d'initier les débats, avancer les approches, afin de permettre aux Occidentaux de découvrir les dimensions cognitives et historiques de l'Islam, notamment dans une conjoncture aussi délicate. En intervenant au moment même où le monde entier ne parle que de guerre, de haine, de contrats de reconstructions, des pillages des civilisations des autres, la Tunisie affiche un choix éthique différent, l'assume, persiste et signe. A la veille de l'inauguration le 15 avril dernier des travaux de la Conférence internationale sur “ L'Islam et la Paix ”, organisée sous le haut patronage du président Zine Al Abidine Ben Ali, une partie des journalistes occidentaux présents se demandaient si la Tunisie n'a pas commis une erreur de timing en s'engageant sur un pareil thème dans la conjoncture actuelle. Le 17 avril, lors de la séance de clôture, la majorité de ces “ douteux ” lui ont finalement donné raison. En effet, les approches et les débats ont, non seulement permis de découvrir les dimensions cognitives et historiques de l'Islam, mais parce que l'avènement de cette religion recèle un très grand nombre de références explicites à la paix. De plus, le Coran, les Hadiths du Prophète Mohammed, avaient créé des tournants significatifs privilégiant la paix, la coexistence au détiment des guerres et des affrontements sanglants. Les conférenciers, venus des quatre coins du monde, ont abordé la question de la diversité culturelle et des différences intellectuelles loin des concepts de la guerre des civilisations. Un sujet devenu à la mode après les attentats du 11 septembre 2001. Dans ce contexte, ils ont développé les notions renvoyant tous les cas de figure de l'humain. Contrairement à ceux qui veulent réduire l'Islam à un stock de slogans et de repères aseptisés, susceptibles de nourrir la haine, la méfiance et le bellicisme, les intervenants, chercheurs, religieux et intellectuels, ont montré et démontré, aussi bien théoriquement que pratiquement, que l'Islam n'a cessé d'asseoir les fondements éthiques, également politiques et philosophiques de la coexistence et de la coopération entre les peuples musulmans eux-mêmes et entre les non-musulmans. Dialogues contre préjugés C'est le professeur Sayyid Ataollah Mouhajerani, conseiller du président iranien, Mohamed Khatami, et président du Centre international du dialogue entre les civilisations, qui s'est attaqué à ce sujet. Considérant le dialogue comme la voie de la paix, il l'a pourtant comparé à l'opposition de deux miroirs, ceux de l'âme et de l'esprit, de la langue et du visage chez deux personnes ou plus. L'échec d'un grand nombre de tentatives de dialogue, notamment dans le domaine politique, a été au cœur des débats. Ce constat, selon certains conférenciers, dont entre autres Chris Doyle, directeur du dialogue arabo-britannique, réside précisément dans le fait que chacune des parties a recours à un procédé différent et un langage qui ne traduit pas les convictions profondes. Metternich, le célèbre politologue allemand, a été lui aussi fort présent de par ses idées. Celles-ci ont été reprises, à l'étonnement des participants, par le représentant de la République islamique d'Iran. Mouhajerani a utilisé les propos de Metternich pour aller plus loin dans sa thèse. Pour souligner que les “politiciens disent le contraire de ce que renferment leurs cœurs ” ; et de conclure : “ qu'ils parlent une langue de bois dénudée de tout contenu, exactement comme le font les négociateurs israéliens qui ne cherchent absolument pas à atteindre un but précis, celui de perdre le temps et se délier des engagements formels qu'ils ont pris ”. En matière de dialogue, les conférenciers s'accordent à dire que l'Islam conçoit un respect et une considération particuliers à l'égard de l'autre. Le grand prophète de l'Islam a, d'après eux, légué un héritage qui honore dans le domaine du dialogue avec les païens. De plus, il est admis que le Saint Coran, lorsqu'il traite de la question des Musulmans, utilise l'expression du “bon exemple” ; alors qu'il emploie l'expression la “meilleure discussion”, lorsqu'il s'adresse aux non-Musulmans tel qu'il apparaît dans la sourate des Abeilles, verset 25. Cette spécificité (la meilleure discussion), apparaît une deuxième fois dans le verset 34 de la sourate de l'Araignée : “et ne discutez que de la meilleure façon avec des gens du livre” (c'est-à-dire les Juifs et les Chrétiens) ; de même que dans l'autre verset plein de compassion : “repousse le mal par ce qui est meilleur”. En dépit de ces éclaircissements émanant des participants à cette conférence internationale, organisée conjointement par le ministère tunisien des Affaires religieuses et l'Organisation de la Conférence islamique (OCI), représentée par son secrétaire général Abdelouahed Belkziz, on estime que, malheureusement, les Musulmans et l'Islam sont qualifiés de suppôts du terrorisme et de la violence. En revanche, ces derniers n'ont pas fait le nécessaire à travers le dialogue pour faire face à ceux qui cherchent à les discréditer. Les débats ont fait remonter à la surface plusieurs interrogations du genre : la question est de savoir ce qui a pu arriver à cette civilisation florissante édifiée par les Musulmans, source de la grande gloire, durant les treizième et quatorzième siècles ? Ou pourquoi les Musulmans sont devenus de simples consommateurs de tout ce qui vient de l'étranger après avoir été eux-mêmes producteurs de culture, de sciences et d'idées ? La réponse est presque la même pour les deux questions. Elle réside dans l'absence d'opportunités de dialogue et le déficit du respect mutuel. Le courage est apparu lors des discussions au point de reconnaître les erreurs en insistant sur le fait que le dialogue qui se profile à l'horizon est l'unique moyen pour l'instauration de la paix, pour combattre les préjugés et retrouver le chemin de la modernité. Mettre fin à l'incompréhension La conférence “ Islam et Paix ” de Tunis a consacré une demi-journée à la réhabilitation de l'image de l'Islam dans l'Occident, notamment après les événements du 11 septembre 2001. Les conférenciers participant à ce volet ont tenté de discuter la mise en place d'une stratégie du discours médiatique. C'est Khalil Jahshan, président exécutif de la Commission arabo-américaine de lutte contre les discriminations, qui a analysé le phénomène concernant cette image, ses dimensions et ses effets sur la société américaine. Ce connaisseur des subtils arcanes de la politique et des centres de pouvoir essentiels aux Etats-Unis, a passé en revue les contenus, les sources et les objectifs des campagnes menées contre l'Islam en tant que religion, patrimoine, civilisation et peuples. Pour Jahshan, il n'existe pas de campagne centralisée, mais plutôt des campagnes diverses livrées par plusieurs lobbies médiatiques et religieux extrémistes ainsi que par des centres de recherche et des établissements de relations publiques. De son côté, Ali Belarbi, directeur de l'information de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI) a analysé les origines historiques de l'attitude occidentale qui rejette, aujourd'hui, l'Islam et les Musulmans. Des constats, imposant la nécessité de se pencher sur l'identification des causes et des formes de ce rejet, ont été mis en évidence afin de trouver les solutions adéquates pour le changement de ce comportement. Face à cette “ agressivité médiatique ”, les conférenciers ont estimé qu'il est temps que les sociétés islamiques prennent des initiatives pour réformer leur situation à travers l'établissement des conditions du développement à tous les niveaux politique, économique et culturel, sur la base du renforcement des libertés et du pluralisme. Cela dit, il ne faut pas s'attendre à ce que ces principes soient proposés voire imposés de l'extérieur. “ La réhabilitation de l'image déformée de l'Islam chez les Occidentaux demeure du ressort des Musulmans eux-mêmes” souligne Oussama Romdhani, directeur général de l'Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE). Cet expérimenté, qui a passé de longues années aux Etats-Unis, approché les milieux des médias et de la communication américains, estime que les Musulmans doivent déployer plus d'efforts en vue de favoriser leur intégration positive et active dans les sociétés occidentales. Evoquant l'expérience tunisienne en la matière, Romdhani a rappelé que son pays a réussi son défi médiatique face à un extrémisme religieux souvent aidé par certains médias en Occident. Force est de rappeler que la Tunisie mène toujours de front sa bataille visant non seulement à montrer, mais aussi à prouver que l'Islam est une religion de dialogue, de progrès et de respect de la dignité humaine. Encore une fois, la Tunisie prend l'initiative pour expliquer son choix éthique, ce malgré une mauvaise conjoncture internationale et les tensions existantes. Le débat et les approches ont été à la hauteur des attentes au point de dire ouvertement que certains préjugés à l'encontre de l'Islam y sont devenus plus forts et plus grands, notamment après l'occupation de l'Irak. Mais cela pourrait inciter les Musulmans à tirer profit du mal et remettre en cause l'incompréhension, surtout lorsqu'il y a un intérêt grandissant pour l'Islam en Europe, même si c'est de prime abord mal pesé. C'est ce qu'affirme Abdellatif Conti, secrétaire général de la communauté religieuse islamique italienne en précisant que les “Européens se posent quand même des questions fondamentales sur l'Islam”. Vision qui se recoupe avec celle d'un autre conférencier, Monseigneur William Kerr, président du Collège Laroche de Pittsburg (USA). Ce dernier estime que l'image de l'Islam a été profondément remise en cause aux Etats-Unis au lendemain des événements du 11 septembre 2001 : “ l'Islam reste malgré tout la religion la plus croissante au moment où il y a un fanatisme chrétien grandissant, à divers niveaux ”.