Mustapha Benkirane, directeur commercial de Royal Air Maroc Le transport aérien connaît une nette baisse depuis le début du conflit en Irak. Royal Air Maroc (RAM), comme la plupart des compagnies aériennes, enregistre aussi un net ralentissement de son activité. Mustapha Benkirane, directeur commercial de la RAM, explique dans cet entretien comment la compagnie aérienne nationale gère cette situation largement liée à la conjoncture. La Gazette du Maroc : depuis le déclenchement de la guerre en Irak, l'une après l'autre, les compagnies aériennes annoncent des annulations de vols, des réductions de capacité et, pour certaines compagnies, des suppressions d'effectifs importantes. Qu'en est-il aujourd'hui pour la RAM ? Mustapha Benkirane : à l'instar des autres compagnies aériennes, Royal Air Maroc continue d'enregistrer, depuis le début du conflit en Irak, une baisse de la demande sur ses vols. Des annulations de réservations sont enregistrées chaque jour. Ainsi, les résultats de trafic enregistrés lors de la troisième décade de mars 2003 ont confirmé le ralentissement de l'activité prévue par la compagnie depuis le début de ce conflit. Quel est le segment du trafic qui est aujourd'hui le plus touché par cette crise ? Contrairement à la crise du 11 septembre 2001 dont les effets étaient particulièrement ressentis sur le trafic charter, le conflit actuel a touché aussi le trafic régulier et notamment les lignes régulières du secteur Moyen-Orient. Quelle comparaison faites-vous justement de cette crise avec celle du 11 septembre ou celle de la première guerre du Golfe ? Il est prématuré de faire une comparaison pour le moment, car la guerre vient de commencer et nous n'avons pas encore une visibilité sur l'aboutissement des événements que connaît le Moyen-Orient. L'avenir reste très incertain pour l'industrie du transport aérien. Ce qui est certain, c'est que les conséquences de l'actuel conflit en Irak sur l'industrie du transport aérien et le tourisme risquent d'être très dures surtout pour les compagnies aériennes qui sont déjà fragilisées par la crise du 11 septembre. Selon l'Association internationale du transport aérien, le trafic international pourrait diminuer de 15 à 20 % pendant cette guerre, ce qui entraînerait de lourdes pertes dans ce secteur déjà très mal en point. À combien avez-vous estimé la baisse de trafic au niveau de la compagnie nationale. Qu'en est-il en termes de pertes ou de manque à gagner ? Le trafic global de Royal Air Maroc, toutes destinations confondues, a enregistré une baisse de l'ordre de 30 % durant la quatrième semaine de mars 2003 par rapport à la même période de mars 2001 (année normale). D'ailleurs, nos prévisions de trafic pour le mois d'avril s'inscrivent dans la même tendance. Royal Air Maroc a-t-il déjà arrêté un plan anti-crise ? Si oui, quelles sont ses grandes lignes ? Suite à la baisse du trafic enregistrée depuis le début de la guerre de l'Irak, notre compagnie a mis en place un comité de crise pour assurer un suivi régulier de l'évolution de la situation et entreprendre les actions qui s'imposent. Parmi ces mesures, notre compagnie a procédé à l'adaptation de l'offre en fonction des engagements des réservations sur chaque ligne. Ainsi, nous procédons aux ajustements de nos programmes de vols par l'utilisation des modules avions appropriés, le délestage ou l'amalgame des vols, en essayant d'optimiser en permanence l'offre par rapport à la demande. Pour la troisième décade de mars 2003, notre compagnie a procédé à des régulations avec une réduction de capacité de l'ordre de 12 %. Pour le mois d'avril 2003, la réduction de capacité est estimée à 20 %. Les régulations ont touché particulièrement des vols à destination du Moyen-Orient qui a été très affecté par la guerre de l'Irak. La politique tarifaire de la compagnie est globalement maintenue. Une révision des tarifs IATA à la hausse a été appliquée à l'instar des autres compagnies aériennes internationales pour compenser en partie les augmentations des primes d'assurances et des taxes de sûreté. Notre compagnie assure une veille-concurrence par rapport aux actions entreprises par les autres compagnies aériennes. Une importante campagne de communication est en cours sur les principaux marchés générateurs de tourisme pour sensibiliser les autorités gouvernementales et les différents prescripteurs de l'intérêt de programmer le Maroc en tant que destination touristique sûre. À cet effet, nos représentants en Europe organisent, en collaboration avec l'ONMT, des voyages de presse en faveur des journalistes et des séjours au Maroc en faveur des Tours Opérateurs pour s'enquérir de la sécurité et de la stabilité qu'offre notre pays aux touristes. Toutes ces actions sont coordonnées au sein du comité de crise qui assure la mise en œuvre de toutes les mesures nécessaires pour gérer la situation au mieux des intérêts de l'Entreprise. Je précise par ailleurs que le Maroc est l'une des destinations les plus sûres pour la clientèle touristique, et de ce fait, il présente une alternative pour les touristes qui cherchent à éviter les zones à risque de guerre au Moyen-Orient ou de maladie en Asie. Les compagnies aériennes dans la tourmente Réduction des capacités, augmentation des tarifs, aides gouvernementales, suppressions d'emplois : toutes les pistes sont et seront explorées par les compagnies aériennes mondiales pour tenter de survivre à la plus importante crise que le transport aérien ait jamais connue. Le conflit en Irak ajouté à la pneumonie atypique a plongé le secteur aérien mondial dans une crise profonde. Selon l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), la guerre en Irak pourrait coûter 10 milliards de dollars supplémentaires aux compagnies aériennes, qui ont déjà accumulé des pertes de 30 milliards de dollars depuis le 11 septembre 2001. Les transporteurs américains, particulièrement touchés par la crise, se tournent à nouveau vers l'Etat fédéral. A l'automne 2001, après les attentats du 11 septembre, le gouvernement américain avait débloqué 5 milliards de dollars d'aides directes et prévu des garanties de quelque 10 milliards supplémentaires pour des prêts susceptibles de les aider à sortir des difficultés financières. Aujourd'hui, elles réclament un nouveau plan d'aide mais sans véritablement en connaître la forme. Les compagnies aériennes espèrent obtenir environ 13 milliards de dollars du gouvernement, dont 4 milliards pour la sécurité, alors que la chute des réservations sur la plupart des destinations les oblige à réduire vols et personnels. A Washington, les commissions budgétaires de la Chambre des Représentants et du Sénat viennent d'approuver une aide financière fédérale de plus de trois milliards de dollars au profit des compagnies aériennes américaines. Cette assistance fédérale est destinée à aider les transporteurs aériens à faire face aux contrecoups de la guerre en Irak qui a entraîné une chute du trafic et des réservations. En Europe, la compagnie aérienne néerlandaise KLM est entrée la semaine dernière dans une phase de fortes turbulences, annonçant la suppression de plusieurs milliers d'emplois, en raison notamment de la double pression de la guerre en Irak et de la pneumonie atypique (SARS) en Asie. Il y a deux semaines, la compagnie aérienne britannique British Airways (BA) avait, elle aussi, annoncé une accélération de son plan de restructuration, en raison des répercussions de la guerre en Irak. Selon l'Association européenne des compagnies aériennes (AEA), la guerre menée par la coalition américano-britannique en Irak a fait plonger de 12,3 % le trafic des compagnies européennes durant la première semaine des hostilités.