Mohamed KARIM* 24 Juillet 2009 Voici enfin un ouvrage qui abandonne hyperboles et superlatifs pour analyser la première décennie du règne de Mohammed VI. Dans cet ouvrage élégamment conçu par les Editions Koutoubia : «Une ambition marocaine : Des experts analysent la décennie (1999-2009)», Une bonne dizaine de chercheurs de talent ont pointé les ruptures et les permanences d'une période marquée par le dynamisme et le volontarisme d'un Roi qui brave les certitudes et les contraintes. Des approches inédites sont déployées. Ainsi en est-il de celle de feue Mary K.Weed, amie du Maroc de longue date, qui s'est emparée d'un concept décidément innovant. Il s'agit de ce que le prix Nobel de Elias Canetti avait appelé les «rythmes cicardiens du maroc». Le terme « cicardien», inventé par Franz Halberg – du latin circa (autour) et diem (jour) signifie «presque une journée». En vérité, il s'agit de «comparer la rapidité des oiseaux dans le ciel avec les rythmes lents de la cadence humaine au-dessous». Que s'est-il passé alors durant la dernière décennie pour le Royaume ? Dix ans, c'est à la fois long et court. Bien court quand on mesure la force de résistance des archaïsmes si enracinés. Long parce que les espérances portées par les nouvelles élites sont accompagnées d'une impatience par ailleurs légitime des couches sociales assoiffées de liberté, d'éducation, d'emploi et de bien-être. Tout au long de l'ouvrage, les analyses inventorient le cinétisme des changements, l'emboîtement des valeurs fondamentales avec les valeurs que souffle `-qu'impose- le vent du «Nord», la pression des contraintes nationales et universelles telles qu'adossée aux aspirations modernitaires. La lutte contre les humiliations de toutes sortes, l'émergence de l'individu, la restructuration du champ religieux, l'émancipation de la femme, la réconciliation avec un passé dont certains aspects furent barbares, le choix de la régionalisation en harmonie avec une mondialisation torrentielle, la pérennisation des libertés…autant de chantiers simultanément engagés par le nouveau règne. Bien sûr, des carences résistent à ce volontarisme qui s'est donné pour ambition d'inscrire le Royaume dans la marche du monde. Des bouleversements profonds Les auteurs sont allés également décortiquer les mouvements profonds qui parcourent la société marocaine ainsi libérée des postulats paralysants. Il n'est que de voir la quantité de films produits annuellement, d'écouter le rap, raï, hip hop et autre fusion à la façon marocaine, de constater l'explosion éditoriale en presse comme en livres pour mesurer le chemin parcouru en matière culturelle. Un puissant facteur d'individualisation du Maroc. Les auteurs ont également identifié la nucléarisation de la famille, l'extinction de la polygamie, l'effondrement du taux de fertilité de la Marocaine…et tant d'autres indicateurs qui, en une décennie, ont bouleversé le rapport du Marocain à la spatiotemporalité du monde. «En me promenant à Casablanca, j'ai perçu la présence d'un pont interculturel invisible comme si cette cité s'était transformée en un petit New York, un coin de Boston, peut-être un quartier de Tokyo», écrit Mary K. Weed. Driss Alaoui Mdaghri, Abdelmalek Alaoui, Ahmed Azirar, André Boyer, Amar Drissi, Driss Guerraoui, Larbi Harti, Ouadih Kassimi, Abdelfattah Rochdi, Hamid Sanhaji et Mary K.Weed se sont attelés à camper la première décennie du Règne actuel sans complaisance, certes. Mais sans chercher les poux à un Royaume qui n'est pas exempté de maladresses et d'hésitations. Les auteurs n'ont pas hésité à souligner les imperfections et les lacunes. Un ouvrage, en somme, pertinent.