En tant qu'enseignant de second cycle (lycée), j'ai commencé au début des années 80 dans un petit patelin : Ben Ahmed, délégation de Settat. Là, les élèves étaient -disons-studieux et les futurs bacheliers prenaient leur bac au sérieux. Bien qu'en moi-même, je les croyais moins «intelligents» que les élèves citadins ; maintenant, je suis convaincu que mon opinion était fausse. Après avoir obtenu ma mutation pour Casablanca en 1987, j'étais content de regagner le bercail. Les élèves préparant le bac étaient plutôt sérieux pour ne pas dire studieux et savaient ce qu'ils voulaient faire de leur bac. Et ils respectaient leurs professeurs… malgré quelques dérapages. Actuellement, les élèves arrivent du collège avec un niveau impossible à corriger au lycée vu le programme imposé. Les nullards, on les « jette » en lettres modernes, alors qu'ils ne savent même pas faire une phrase correctement. Les autres, au-dessus de la moyenne -qu'on appelle brillants- sont envoyés en sections scientifiques. Et en tant que prof, on sent la différence. Le bac, maintenant, commence dès la première année du lycée (tronc commun) et c'est surtout les notes de la 2ème année (ou 1ère année selon l'appellation actuelle) + l'examen régional + l'examen national -bac- qui déterminent la réussite ou l'échec des bacheliers. Les bacheliers ? La plupart d'entre eux et surtout les littéraires n'assistent que rarement aux cours. Ils n'apparaissent que les jours des tests et vers la fin de l'année scolaire pour mendier les notes sous des prétextes banals qui n'ont rien à voir avec les devoirs des élèves. Même les responsables du corps enseignant, de l'administration et du rectorat (ou inspection) demandent -implicitement ou directement - d'être généreux avec les élèves et d'éviter la note éliminatoire (0). Dans ces cas-là, on doit corriger avec 4 stylos : le rouge, le bleu, le noir et le vert ou une autre couleur selon les caprices des candidats. Avant les examens, au lieu d'apprendre, de réviser et de préparer leur bac, la plupart des candidats au bac se ruent vers les photocopieuses pour préparer les minuscules, accordéons, tactiques et codes de communication par portable, avec des astuces si ingénieuses qu'on peut rarement les prévenir ou les détecter. Le jour de l'épreuve, à part quelques élèves qui sont bien préparés pour l'examen, la majorité compte sur la triche et réclame à qui veut l'entendre que c'est leur droit en prétendant – et là je donne quelques exemples qui ne sont pas toujours vrais – que les profs s'absentent régulièrement, ou qu'on n'a pas terminé le programme ou qu'on n'a pas fait telle ou telle leçon. Pourquoi dans telle ou telle classe… et ici : « Ecoutez, c'est ma dernière année, ou vous me laissez tricher sinon je vous attends dehors. Moi de toute façon, je n'en ai rien à foutre du bac. Tout ce que je veux c'est le niveau, ou le bac si c'est possible, pour passer tel ou tel concours… Mon frère, ma sœur, mes amis ont la licence et ils chôment… » Et même quand on prend un tricheur en flagrant délit, la commission de surveillance nous demande d'être indulgent et de fermer les yeux, la première et même la seconde fois… Comment, la première et la deuxième fois ? Où est l'égalité des chances dans ce cas-là ? A notre époque où il y avait les coopérants, si seulement on vous soupçonnait de tricherie, c'était l'élimination directe et une suspension de cinq ans si je ne me trompe pas. On ne nous accordait même pas le bénéfice du doute. Le prof avait toujours raison. En tant que surveillant pendant l'épreuve du bac, j'ai surpris pas mal de tricheurs et j'ai traité les choses à ma façon -vu mon expérience acquise dans ce domaine- pour éviter « l'karbala » et les conséquences qui s'ensuivent. Une fois, j'ai surpris une fille candidate au bac qui portait le hidjab sur le haut des cuisses et j'étais seul dans la classe… Vous imaginez cette situation ? Dieu merci, j'ai pu m'en sortir avec un peu d'humour et de sagesse, sans toucher à la féminité de la fille ! * enseignant au lycée Mustapha Al Maani de Hay Mohammedi à Casablanca.