Dans cette cinquième partie de ses mémoires, le président Mohammed M'jid revient aux premiers mois de l'indépendance juste après le retour triomphal du Roi libérateur feu S.M Mohammed V, après trois années d'exil de la famille royale à Madagascar. La Gazette du Maroc : Vous êtes à Casablanca en ce novembre 1955, marqué par le retour triomphal de feu Mohammed V et l'enclenchement du processus devant conduire à la proclamation de l'indépendance. Pouvez-vous nous décrire l'ambiance régnante durant ces premiers mois d'indépendance, notamment, dans les foyers de la résistance nationale, comme par exemple les Carrières Centrales, appelées aujourd'hui Hay Mohammadi ? Mohamed M'jid : Voilà un quartier qui aura joué un rôle décisif dans l'action de la résistance nationale, comme dans le retour de Feu Sa Majesté Mohammed V à la mère patrie, après trois années d'exil à Madagascar. C'était un retour organisé et conduit par les cellules du parti de l'Istiqlal, dont le chef de file n'était autre que Bachir Belabbes Taârji. Que je ne connaissais que trop bien, puisque je l'ai cotôyé avec ses frères durant plusieurs années à Marrakech. Quels sont les faits qui vous ont le plus marqué ? Ils sont nombreux ceux qui ont marqué le Maroc des premières années de l'indépendance. Je retiendrais particulièrement qu'au lendemain de l'indépendance et avec la complicité des surveillants de la prison, la fameuse Ghoubiela, ce sont en effet près de 300 prisonniers en majorité de droit commun, qui ont décidé de fuir le pénitencier avec quelques figures du nationalisme. Ils ont emporté les armes. Ce qui représentait le premier test de vérité pour le mouvement nationaliste qui venait de conquérir l'indépendance. Je me rappelle qu'à cette époque, feu Abderrahmane Baddou, le père de l'actuelle ministre de la Santé Yasmina Baddou, m'a téléphoné pour me demander de me rendre le lendemain chez Abdelkrim Benjelloun, alors ministre de la Justice. On m'a informé de ce qui s'est passé en prison. On m'a demandé alors d'aller voir Mehdi Benbarka chez lui à Rabat. Et compte tenu de l'aspect dangereux de cette opération, celui-ci m'a donné l'ordre d'aller à la prison civile de Casablanca et de me présenter comme étant le nouveau directeur. L'objectif était bien évidemment de retrouver les fuyards et de récupérer coûte que coûte les armes dérobées. J'ai bien évidemment accepté, voyant dans cette proposition une nouvelle aventure. Et comment les choses se sont-elles passées ? La surprise était grande à Casablanca, mais je peux vous assurer que je me suis imposé. A l'intérieur de la prison, il y avait encore des éléments qui me connaissaient déjà en tant que résistant. Ils pouvaient donc m'aider à localiser certains fuyards. Ma première action consista donc à effectuer une tournée des grandes prisons du Maroc pour inviter ces personnes à venir à la prison civile de Casablanca. Mes camarades de chambre, tous des prisonniers de droit commun, ont tout fait pour m'aider à retrouver ces fuyards qui étaient capables de tout. Je leur ai clairement signifié qu'en cas de succès, je les libèrerais sans condition. Les prisonniers évadés étaient agés de 25 à 30 ans. Ils se sont rendus finalement sans grande résistance. Ces premiers mois de l'indépendance étaient aussi marqués par la création des premières fédérations royales sportives marocaines et la participation aux premières compétitions internationales, dont notamment les jeux panarabes de Beyrouth en 1957 Oui, mais avant d'en arriver là, il fallait d'abord commencer par encadrer les jeunes, promouvoir l'action associative et bien évidemment chasser les étrangers de la gestion directe de nos fédérations, avant de les proclamer marocaines. Je regrette qu'on n'ait pas accordé toute l'importance qu'ils méritaient à ces figures de proue de la résistance dans le domaine du sport, à l'image de Sittail El Aissaoui à Rabat, Larbi Zaouli et Abdeslem Bennani et Hadj Mohammed Benjelloun à Casablanca, Hadj M'jid à Marrakech, Mustapha Belhachemi à Oujda, Hadj Driss Benzakour à Fès, Mokhtar Boudraa à Settat etc…