Dans le troisième chapitre de ses mémoires, le président Mohamed M'jid évoque le Maroc du début des années cinquante. Quelques années après la présentation du manifeste de l'indépendance du 11 janvier 1944, et avant l'exil vers Madagascar du Roi libérateur feu Mohammed V en 1953. La décennie cruciale qui mènera vers l'indépendance. La Gazette du Maroc : En 1951 vous êtes à Beni Mellal, quelle a été votre mission dans la capitale du Tadla, considérée comme une zone agitée bien avant le déclenchement de la résistance armée ? Mohamed M'jid : En 1951 j'atterris à Beni Mellal et vous n'êtes pas sans savoir que quelqu'un de très connu pour ses activités dans le domaine du sport et du mouvement associatif, sera particulièrement sous haute surveillance… Mais je peux vous assurer que j'ai continué mes activités à visage découvert. C'était la période durant laquelle j'ai parcouru toutes les montagnes du Tadla de Bin El Ouidane à Afourer, en passant par Ouaouizaght, Zaouiet Ahansal, Ksiba avant d'être de nouveau arrêté puis expulsé encore une fois vers Casablanca. Comment se présentait la situation du mouvement nationaliste à cette époque ? Dans les années cinquante, on ne parlait plus de réforme de l'administration coloniale comme cela se passait dans les années trente et quarante. Nous étions déjà à la phase de la revendication d'indépendance clairement exprimée par le mouvement national. Et c'est aussi la période durant laquelle les rapports entre la résidence et le palais s'étaient particulièrement détériorés. De nombreux français contre l'indépendance évoquaient déjà la perspective d'une abdication forcée sinon d'un exil de Feu le Roi Mohammed V vers une destination inconnue pour mettre un terme à la coordination de l'action nationaliste du Roi avec le mouvement de résistance. On sentait déjà la déstabilisation de l'administration coloniale, surtout lorsque nous avons réussi à établir des relations très étroites avec de nombreux jeunes intellectuels français favorables à l'indépendance marocaine. C'est bien à cette période que vous vous êtes marié avec une femme française, comment cela s'est-il passé ? Vous savez que l'amour n'a pas de logique ni de nationalité. On s'est connu en 1952, au lendemain de son arrivée à Safi. Le plus marrant est que le Cadi Abbadi a refusé de nous marier parce que j'étais un élément subversif. Alors nous nous sommes mariés à la municipalité de Safi et c'est le maire français de l'époque, un certain M Sablerol qui nous a mariés. Durant cette période, vous étiez plusieurs fois en prison ? Oui, mais cela depuis l'adolescence. Une série d'arrestations dans plusieurs villes marocaines notamment à Safi, Chamaâia, Louis-Gentil ( l'actuel Youssoufia), Marrakech, Essaouira et bien sûr, la prison Laâlou à Rabat et celle d'Ali Moumen. Il y a eu aussi des tentatives d'assassinat ? Bien sûr, surtout de la part des français résidents et hostiles à l'indépendance marocaine et qui étaient membres d'un mouvement qui s'appelait à l'époque «présence» française. Je me limiterais aux années cruciales pour rappeler qu'un jour à 3 heures du matin, on savait que j'étais dans une maison à Safi. On avait tenté de me descendre plusieurs fois avant. Puis à 5 heures du matin, l'appartement était cerné de policiers et militaires. Le commissaire de service est entré chez moi pour me dire «M'jid , cette fois c'est fini. On t'arrête pour t'envoyer loin d'ici et pour très longtemps». Il m'a conseillé de prendre de la lecture. J'ai donc pris tous les livres classiques. On m'avait mis à la prison d'El Jadida en attendant l'arrivée d'un contingent de marins pêcheurs dont j'étais responsable de cellule, puis départ à Meknès et enfin transfert au célèbre pénitencier d'Aghbalou n'Kerdous où j'ai retrouvé plusieurs chefs de file du mouvement nationaliste dont notamment, Fquih Serghini, Si Mohamed Bennani, Mohamed Belkhadir et aussi mon frère Si Abdeslem M'jid. Et comment se déroulait à cette époque l'action du mouvement national ? Mon séjour à la prison sera court mais riche en évènements. C'était surtout pour moi l'occasion de connaitre quelques personnalités qui vont marquer la vie politique du Maroc à l'indépendance comme Feu Driss El M'hamdi, Mehdi Benbarka, Ahmed El Yazidi, Mohamed Cherkaoui et aussi quelques chefs de file comme Benaazzouz, Aissaoui, Mestassi à Meknès, Fquih Kettani etc… n