Enquête sur Masjid Annour Une visite à Masjid Annour nous révèle que le Maroc abrite un islamisme docile, inoffensif et hautement allergique au politique. Une véritable police d'assurance contre l'islamisme politique. Masjid «Annour» (la lumière) est un centre religieux inféodé au mouvement Adaâwa Wa Tabligh, dirigé par Cheikh Al-Bachir, originaire de Ksar-El-Kébir. Fondé à Casablanca en 1972, Masjid «Annour» est considéré, aujourd'hui, comme la véritable plaque tournante du travail de «Daâwa», entrepris par le mouvement et piloté par un haut conseil décisionnel (Ahl Achoura). Fort de son implantation, qui couvre la majorité du territoire national, la mosquée en question jouit d'une réputation internationale puisqu'elle accueille des fidèles de tous les coins du monde. Du soufisme dans l'air Bien que le Coran et la Sounna soient les principales constituantes du référentiel du mouvement Adaâwa Wa Tabligh, il n'en demeure pas moins que Masjid Annour est marqué par une empreinte soufie qui frappe le visiteur dès son entrée à la mosquée et sa rencontre avec ses dirigeants. En fait, le mouvement «Adaâwa Wa Tabligh» parie sur le rôle de la mosquée comme le lieu privilégié pour réaliser quatre objectifs primordiaux : Adaâwa, l'enseignement et l'éducation, Al-Ibada et Al-Khidma. Ces quatre enseignements représentent l'idéal suprême pour tous les membres du mouvement. Ces derniers sont recrutés parmi les catégories défavorisées de la société. L'ancienneté, la maturité et la modestie sont les trois règles d'or qui régissent les activités de Masjid Annour. Pas de place pour la femme dans ce milieu d'isolement (Khaloua) où le but commun des fidèles peut se résumer en ces mots : servir Dieu et ses fidèles (Al-khidma) En pratique, c'est le chef (Al-Amir) qui commande les activités de la mosquée en vertu d'un acte d'allégeance (Baiâ), signés par tous les guides religieux (Morchidines). Ces derniers sont chargés de la gestion de la mosquée et du centre d'accueil. Le programme présenté aux visiteurs (adhérents potentiels) traduit amplement la rigueur qui caractérise le mouvement «Adaâwa Wa Tabligh» : Avant la prière du Sobh, le visiteur est appelé à accomplir “ Qiam A-Lail ” . Ces prières sont relayées par des leçons de la Chariâ (Al-Bayane) et des moments de pauses intermittentes. La concertation (Al-Machoura) constitue un principe fédérateur dans le comportement social des membres du mouvement. Pourtant, c'est le “ Amir ” qui finit toujours par avoir le dernier mot dans les séances de concertation ! Un peu d'ordre dans la maison Masjid Annour dispose d'un centre d'accueil, près de la mosquée, qui prend en charge les adhérents et les sympathisants avec le mouvement. Mais, dernièrement, les responsables de la mosquée avaient imposé une nouvelle réglementation d'abord, l'accès individuel au centre est formellement interdit. Par conséquent, il faut s'y présenter en groupe (6 ou 12 personnes) appartenant au même quartier de résidence. Ensuite, toute personne désirant accéder au centre doit obligatoirement présenter sa carte d'identité nationale. Lors de notre visite sur les lieux, nous avons été témoins d'une scène qui illustre ce durcissement de la politique de la mosquée : au début de l'après-midi, un jeune homme s'est vu refuser l'accès au centre. Justification: il n'avait pas sa carte d'identité nationale et il n'était pas accompagné par un groupe. Enfin, les responsables de la mosquée se refusent à accueillir toute personne n'ayant pas les moyens (argent) pour subvenir à ses besoins. Autrement dit, les personnes désirant profiter de l'hospitalité (Karam) du centre doivent y réfléchir à deux fois avant de frapper à la porte de la mosquée. La restauration et l'hébergement sont, désormais, pris en charge par les visiteurs. Ces derniers doivent cotiser 12 dirhams minimum pour bénéficier des trois repas du jour. En plus, ils doivent apporter leurs couvertures s'ils comptent s'y installer pour plusieurs jours. Selon un haut responsable du mouvement Adaâwa Wa Tabligh, cette réglementation vise un double objectif : d'une part, garantir la sécurité de l'organisation contre les infiltrations des intrus. Et d'autre part, assurer la transparence de l'organisation, déjà soumise à un contrôle systématique de la part des autorités publiques (moqaddem, services de police...) Musulmans du monde réunissez-vous ! Malgré les évènements du 11 septembre, Masjid Annour demeure un lieu mystique très prisé par les fidèles assoiffés de paix et de sérénité. Lors de notre visite, nous avons constaté une grande convivialité à l'égard des visiteurs de la mosquée. Une accolade chaleureuse entre deux visiteurs, un Américain et un Mauritanien, qui ne se sont d'ailleurs jamais rencontrés auparavant, n'a pas manqué d'attirer notre attention. Sans compter le flux de fidèles venus des quatre coins du royaume. Il faut savoir que le mouvement “ Adaâwa Wa Tabligh ” jouit d'une excellente renommée au niveau international. Un proche de “ Amir Al-Jamaâ ” nous a confié que les membres de son mouvement ne font pas l'objet d'un contrôle rigoureux dans les aéroports internationaux, comme c'est le cas pour les autres organisations islamistes ! En somme, “ Masjid Annour ” est en train de vivre une petite révolution : la mosquée est devenue un vecteur incontournable du tourisme religieux puisque les services présentés par le centre d'accueil sont payants ! Apparemment, les responsables de la mosquée auraient certainement dû réviser leur politique du bénévolat, jugée inappropriée à l'heure de la rentabilité et de l'efficience. Un responsable du Masjid est catégorique à ce sujet : “les bienfaiteurs ne sont plus en mesure d'assurer le financement de la mosquée. Donc, il était grand temps que les fidèles s'y mettent ” Le parcours du combattant... Pour accéder au centre d'accueil de Masjid Annour, il faudra impérativement compter sur ses propres moyens. En plus, chaque visiteur doit passer un test de “ bonne foi” en quatre temps, appelé “ Al-aâmal Al-Makamia ”: dans un premier temps, le fidèle doit faire un apprentissage quotidien des valeurs nobles de l'Islam, en faisant appel à la raison (Machourat Al-fikr) Dans un deuxième temps, il doit effectuer un effort quotidien (Johd Yawmi) : rendre visite aux proches et aux voisins, en moyenne de deux heures et demie par jour. Dans un troisième temps, chaque membre doit faire une tournée hebdomadaire (Jawla Makamia), à raison d'un jour par semaine, pour appeler les gens à l'Islam (Daâwa). Et dans un dernier temps, les membres doivent effectuer une sortie mensuelle (Al-Khourouj A-chahri), qui varie de 3 à 40 jours. La mission est double : d'un côté, faire l'apprentissage de la “ Daâwa ” par la tenue de discussions en groupe (Samaâ Al-Ahwal). D'un autre côté, réussir la cooptation de nouveaux membres, jugés aliénés et désorientés (Hidayates A-rajiînnes) Ceci dit, le mouvement se refuse à s'immiscer dans trois domaines, jugés par un haut responsable de “ Masjid Annour ” comme des deadlines à éviter : la politique (A-siyasiyat), les questions problématiques (Al-khilafiyat) et les maux de la société (Amrad Al-oumma) tels que la délinquance, le chômage... Comme quoi, tous les islamistes ne sont pas nuisibles. Nous avons là un exemple vivant d'un mouvement docile, qui a choisi de se réfugier dans les mosquées pour pouvoir appeler les gens à l'Islam, sans prendre part aux péripéties politiques. Une approche suspecte visant une laïcisation de l'Islam, à en juger par les déclarations de quelques leaders islamistes. Une approche sage et pondérée, vous diront les sécuritaires qui redoutent le raz-de-marée des islamistes.