L'USFP préfère mettre un point d'arrêt à la polémique sur la monarchie constitutionnelle. Ce débat est biaisé parce qu'il hérite les schémas du passé. Le bureau politique du Tihad a décidé de ne pas présenter de mémorandum sur la réforme constitutionnelle. «Pour ne pas subir un isolement mortel» selon l'un de ses membres, cité par un confrère. Il s'agissait pourtant là de l'une des résolutions les plus importantes du dernier congrès du parti. C'est aussi, ce choix qui a rallumé la guerre entre l'USFP et l'Istiqlal. Abbas El Fassi, et l'histoire s'en souviendra, a eu des mots très sévères à l'encontre de l'USFP. Mustapha Ramid, tout en plaidant pour une réforme constitutionnelle qui renforcerait le Parlement a déclaré «La monarchie parlementaire aujourd'hui, cela serait une véritable catastrophe». L'USFP a subi les quolibets de toutes parts, une vive incompréhension des cercles de pouvoir, et un traitement médiatique tendancieux. Ses dirigeants ont préféré reculer. Le débat sur la réforme constitutionnelle au Maroc est victime de la politique politicienne une nouvelle fois. Par le passé, durant le règne de Hassan II, il cachait, très mal une véritable lutte de légitimité, voire de pouvoir. Il n'était rien d'autre qu'un moyen de contestation du monarque, de ses pouvoirs, de sa gestion. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans ce contexte dual. Mustapha Ramid a raison quand il dit que «la monarchie est au- dessus de tous». Mais l'instrumentalisation est toujours là, les structures partisanes avancent le slogan pour conjurer la nécessaire et inévitable remise en cause de la classe politique, de ses structures, de ses méthodes. D'ailleurs, on peut faire le catalogue des propositions, il est souvent risible, en majorité il ne comporte que des mesures relevant du réglementaire, c'est-à-dire des pouvoirs de gestion du Premier ministre. L'erreur originelle Le débat est biaisé, parce que la réforme constitutionnelle n'est plus qu'un cache-misère d'une classe politique, subissant le désaveu de l'opinion publique et étant dans l'incapacité de réimaginer un discours, un projet, un nouveau contrat social. On est de plus en plus devant un discours vicié et vicieux, selon lequel, la désaffection des citoyens, pour non pas la chose publique, mais les institutions élues, trouverait son origine dans un prétendu déséquilibre institutionnel. En clair, les Marocains ne voteraient pas parce qu'ils savent que les élus n'ont pas de pouvoir réel. Plus spécieux, tu meurs ! Car enfin, combien de marocains connaissent les articles 19 et 24 de la constitution ? Et si c'était vrai, pourquoi est-ce que les politiques ne les mobilisent pas sur ce thème ? Enfin aucun Premier ministre n'a assumé pleinement les pouvoirs conférés à cette institution par la constitution, ils se laissent déposséder gentiment de leurs prérogatives, inscrites dans une loi fondamentale votée à l'unanimité ou presque. Ce discours est ubuesque, d'autant plus que comme décrit plus haut, les propositions des partis, sont souvent très éloignées de toute volonté de rééquilibrage institutionnel. Galvaudé, ce slogan ne vaut plus rien aux yeux de l'opinion publique. Le vrai débat L'USFP, malheureusement, n'est pas sorti de cette logique, malgré tout le mal que se sont donnés ses dirigeants. La réforme constitutionnelle a été brandie après une défaite cuisante et un déchirement interne qui a fait naître des craintes sur la survie du parti. Ce contexte l'a marqué du sceau conjoncturel, du «coup politique» et a suscité les réactions qu'on connaît. Pourtant, le texte voté par le congrès est une bonne base de discussion. En fixant un horizon, celui de la monarchie parlementaire, il fixait un cap à la transition démocratique Marocaine. C'est le sens même du vrai débat. Encore faut-il faire le diagnostic qui va avec. La démocratie aujourd'hui ne va pas dans le bon sens, non pas parce que les textes sont inaptes à encadrer une vie démocratique, une construction démocratique, mais parce que la praxis est purement infantilisante. Le champ politique, atomisé, est surtout handicapé par sa faible utilité sociale. Incapable de représenter de réelles mouvances sociales, de s'accrocher à une doctrine, de la décliner en programmes, la classe politique ne peut plus dégager des lignes de fracture. Le consensus sur toutes les questions n'est pas le résultat de l'article 19, ou du désir du palais. Il est la conséquence de la stérilité absolue des politiques. Même les termes n'ont plus de sens, tout le monde est moderniste, y compris ceux dont l'électorat est conservateur, tout le monde défend l'authenticité, y compris la gauche, même Aherdane serait démocrate. Sur le plan économique, ils prônent la même chose. Alors que le rôle de l'Etat est au centre des débats internationaux. Tous les partis affichent leur libéralisme. Aucune idée, aucune initiative ne tranche. Tout se passe, comme si au Maroc patrons, ouvriers et chômeurs avaient les mêmes intérêts et les mêmes aspirations. Les partis politiques n'ont d'utilité sociale que quand ils représentent des intérêts de couches sociales définies, que leurs programmes en sont le reflet. Ce n'est pas le cas, alors la population les perçoit comme de simples écuries pour intérêts individuels. C'est ce qu'ils sont, et c'est pour cela qu'ils sont interchangeables ! Cette médiocrité biaise tous les débats. Celui sur la constitution n'a de sens que s'il s'attaque à la question identitaire, Amazigh en particulier, au rôle de la religion dans l'espace public, et à l'équilibre institutionnel et donc la monarchie parlementaire. Il est impossible de mener ces débats sereinement avec une classe politique délabrée, des dirigeants qui lient 50 ans d'histoire à la Mercedes avec chauffeur et l'invitation aux fêtes officielles. Ce n'est qu'une fois le champ politique rationalisé, les partis ayant une utilité sociale, les différenciations claires et accentuées, que ce débat s'imposera. Non pas dans le consensus, mais dans la mobilisation démocratique. Parce qu'il faudra créer un rapport de forces en faveur du changement. La réforme constitutionnelle n'a de sens que si elle correspond à un moment de transformation sociale, de niveau de la construction démocratique, les deux étant liées. Sinon ce n'est qu'un gadget pour calmer quelques récalcitrants dans le paysage partisan. ■