Le ministère des Affaires étrangères nous dévoile les dessous de la crise avec l'Iran, les développements de l'affaire du Sahara et les relations avec l'Algérie. La Gazette du Maroc : Comment peut-on justifier la décision de rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l'Iran ? Taïeb Fassi Fihri : L'évolution négative dans les relations bilatérales a une origine. Nous estimons que le minimum qu'on puisse attendre d'un pays dans le cadre des relations diplomatiques, le respect, a fait défaut et nous constatons malheureusement que le Maroc a été volontairement ciblé. A la suite d'une manifestation normale et logique de solidarité avec Bahreïn, le comportement des autorités de Téhéran envers notre Chargé d'Affaires était inadmissible pour nous. Dans un communiqué, le gouvernement iranien a cru devoir porter des jugements inacceptables et inappropriés sur une position, encore une fois, de solidarité avec un Etat arabe membre de la Ligue, menacé dans son intégrité territoriale. Le fait qu'on ait été ciblé, que l'Iran ait décidé de protester uniquement auprès du Maroc, ne peut remettre en cause la souveraineté du Royaume ni porter atteinte à son chef d'Etat. D'ailleurs, dès que la classe politique marocaine a eu vent des tenants et aboutissants de cette affaire, beaucoup d'interrogations et d'hypothèses ont surgi. Nous avons toutefois donné l'occasion à l'Iran de nous apporter leurs explications sur ces attaques ciblant exclusivement le Maroc, mais en vain. Ils n'ont jamais daigné répondre. Nous avons exprimé notre mécontentement avec le rappel du chargé d'affaires marocain à Téhéran en attente des explications officielles, pour une durée volontairement fixée à 7 jours pour éclairer l'opinion publique internationale et marocaine. Mais là encore, nous pensons qu'il y a eu manque de respect par l'absence de toute réaction iranienne avant de passer à la phase suivante consistant à nous interroger sur les véritables motivations de Téhéran à l'égard du Maroc. Quelle que soit la réponse, la motivation, ou l'explication, l'Iran est seul responsable, dans la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. C'est un acte bilatéral d'un Etat souverain qui n'a pas apprécié du tout le comportement cavalier et irrespectueux de l'Iran et son agressivité pathologique en direction du Royaume. Cette situation a été aggravée par les prétentions iraniennes qui s'acharnent à détourner l'attention de l'ensemble des pays musulmans et du monde, en tentant de les convaincre que la position du Maroc serait dictée par d'autres intervenants extérieurs hostiles à la République islamique du Golfe. Comment ont réagi les partis politiques ? Je sais que la majorité des partis politiques marocains sitôt informés de l'état des relations entre les deux pays et mis au courant des véritables tenants et aboutissants de l'état de dégradation des relations bilatérales et de provocation iranienne, ont exprimé leur solidarité avec la position officielle de leur pays. Au même titre que l'ensemble du peuple marocain. Qu'en est-il des relations avec l'Algérie et des perspectives de solution du conflit régional, suite aux contacts à Charm Echeïkh ? Il n'y a pas eu de contacts bilatéraux. La réunion avec Madame Hillary Clinton a concerné les trois pays (Maroc, Algérie, Tunisie). Cette réunion a permis de mettre en exergue l'importance de la région sur le plan sécuritaire particulièrement, mais aussi le potentiel de développement. D'une manière générale, parmi les questions qui freinent la construction maghrébine, c'est la question du Sahara marocain. Je vous rappelle que le Maroc avait, depuis 2005, proposé un nouveau processus de normalisation bilatérale entre l'Algérie et le Maroc en confiant le règlement du Sahara aux instances onusiennes compétentes. Hélas, l'Algérie a adopté la position contraire en subordonnant toute normalisation au règlement préalable du conflit régional. D'ailleurs, nos voisins de l'Est ont une panoplie de positions, qui, toutes, expriment un «non», quoique de manière différenciée. Quant à la réouverture des frontières, c'est toujours l'Algérie qui, après avoir fermé unilatéralement les frontières en 1995, se refuse à leur réouverture. L'Algérie dit aujourd'hui qu'il faut créer des commissions mixtes pour régler l'ensemble des questions. C'est ce que nous avons proposé il y a longtemps, et nous étions prêts, moi-même et le ministre de l'Intérieur, à initier pareille commission. L'Algérie avait refusé. D'ailleurs, le ministre des Affaires étrangères algérien a déclaré que l'ouverture des frontières ne faisait pas partie de l'agenda de son gouvernement. Certains disent que si les frontières rouvrent, c'est l'Algérie qui sera lésée au profit du Maroc? C'est faux. Le souhait est présent de normaliser les relations bilatérales. De toutes manières, il n'est pas question de prendre des mesures d'ouverture au détriment des intérêts de la population des deux côtés. Compte-tenu des intérêts des populations, l'ouverture des frontières est une opération normale et logique et c'est le maintien du statu-quo qui est anormal. Et sur la question du recensement par le HCR ? C'est une vieille question et je voudrais souligner que le HCR a une mission originale en tant qu'institution qualifiée pour apporter assistance à toute personne réfugiée. Malheureusement, l'Algérie a toujours refusé de s'y conformer en ne distinguant volontairement pas entre processus politique de règlement, sous prétexte que celui-ci ne peut favoriser l'organisation d'un référendum, et processus humanitaire des populations réfugiées. C'est une obligation. Nous sommes devant une affaire récurrente qui a connu des générations différentes. Comment voyez-vous la mission du nouvel envoyé spécial Christopher Ross sachant que l'Algérie cherche à faire table rase du passé récent favorable à l'offre marocaine d'autonomie pour la région du Sahara, et notamment à la résolution 1813 du Conseil de sécurité ? Lors de sa récente tournée dans la région, le nouvel envoyé spécial du secrétaire général Ban Ki-Moon, a bien souligné que sa priorité était la mise en œuvre de la résolution 1813 du Conseil de Sécurité et a précisé que son action s'inscrivait dans la continuation des efforts déployés avant lui par son prédécesseur, Peter Van Walsum. A partir de ces deux éléments, nous sommes en train de préparer les conditions les meilleures et les propositions les plus favorables aptes à satisfaire cette double exigence. La plate-forme marocaine contient aussi des propositions pour développer les efforts en vue de la reprise du 5ème round des négociations directes de Manhasset en évitant de revenir à la case-départ. Nous demeurons confiants pour convaincre nos frères algériens et les autres parties de la pertinence de l'offre marocaine et de l'intérêt qu'elle représente pour la réconciliation entre tous les frères et sœurs maghrébins. Réconciliation que le Maroc peut porter en termes de démocratie, de respect de l'autre et de bien-être pour tous. Et le prochain round des négociations directes? Il nous faut absolument préparer le 5ème round des négociations directes de Manhasset et faire le nécessaire pour qu'il puisse être plus productif et plus efficace… Mais si l'Algérie ne répond pas positivement, le statu-quo risque-t-il de perdurer ? Bien entendu, il faut être au moins deux pour un dialogue constructif et responsable. En tout cas, il y a deux choses que le Maroc et que les Marocains ne peuvent jamais accepter. Un, l'idée que le polisario est le représentant légitime et exclusif d'un peuple. Ceci n'est vraiment pas sérieux. Mais le polisario est un protagoniste, et c'est avec ce protagoniste que nous devons nous appliquer à réaliser cette réconciliation pour édifier le grand Maghreb Arabe Uni. La seconde chose, c'est comment réaliser cette autonomie dans le respect des règles et engagements souscrits par toutes les parties au conflit… Mais Ross va-t-il prendre en compte les résultats des 4 rounds passés et la proposition marocaine de règlement ? Ce qui est sûr, c'est que Ross s'engage dans la mise en œuvre des deux options déjà citées concernant la 1813 et la prise en compte des efforts de son prédécesseur, ce qui, par voie de conséquence, est favorable à la voie marocaine de règlement. Ce que le Conseil de Sécurité réclame, c'est une solution de compromis réaliste, c'est-à-dire que l'option d'intégration pure et simple et l'option séparatiste sont exclues. Par conséquent, la troisième voie, celle de l'autonomie, est la base de tout règlement. Et les manœuvres sur les droits de l'homme, où en sont-elles ? Hélas, certains milieux hostiles s'acharnent à bloquer tout processus de paix dans la région alors que tout le monde sait parfaitement que la solidarité nationale est beaucoup plus importante qu'un soi-disant «pillage», pour les deux principales richesses locales, que sont la pêche maritime et le phosphate de Bou Craâ. Et l'excitation observée autour de quelques cas isolés inféodés aux algéro-séparatistes et dont s'occupe la justice marocaine, ne cherche qu'à instrumentaliser ces cas pour créer une diversion sur la question principale, au lieu de répondre aux exigences de la communauté internationale. ■