Militant résolument tourné vers le monde rural, Rachid Beddaoui est à créditer d'une initiative méritoire en la matière pour être le premier à entreprendre des actions structurées et des études et investigations sur la jeunesse rurale au Maroc La Gazette du Maroc : Quel état des lieux pouvez-vous dresser en tant que spécialiste des problèmes de la jeunesse rurale au Maroc? Rachid Beddaoui : les jeunes représentent 38% de l'ensemble des Marocains, soit 11 millions dont près de 5.000.000 à la campagne. Malheureusement, les jeunes ruraux sont marginalisés en matière d'apprentissage, de formation professionnelle, d'éducation, de travail, de santé … Le taux de chômage atteint 10% au terme du premier trimestre 2007 contre 9,6% à la même période de l'année 2006. Cette aggravation a touché essentiellement les jeunes âgés de 15 à 24 ans dans une proportion de 15,9%. Pire encore, 61,6% de ces jeunes, notamment dans le monde rural, occupent des emplois non rémunérés. Près de 24% sont de sexe féminin classées «femmes au foyer». A ce problème, se greffe l'analphabétisme dont le niveau est encore élevé. Quelles sont les priorités des jeunes dans nos campagnes? Je vais les résumer: acquérir une éducation, trouver un emploi, se soigner, fonder une famille et remplir ses obligations civiques. Malheureusement, plusieurs campagnes sont dépourvues d'infrastructures scolaires. Celles qui en disposent se trouvent dans l'incapacité de réunir les conditions nécessaires (d'internats, vulnérabilité des familles…), ce qui provoque la déperdition scolaire. Les jeunes ruraux ont besoin d'un emploi stable. Les équipements sanitaires sont une priorité non négligeable. Le nombre de dispensaires est estimé à 682 unités en 2007, un nombre dérisoire sans compter leur sous-équipement. Pourquoi les jeunes fuient-ils le monde rural vers la périphérie des grandes villes? L'exode rural des jeunes renvoie à deux interrogations principales : les motivations sont d'abord d'ordre économique, politique, social et culturel. Si un jeune quitte sa région natale, sa famille, ses proches, sa culture, ce n'est souvent pas uniquement pour une seule et unique raison. Les principaux facteurs encourageant l'exode des jeunes, se traduisent par des taux élevés de chômage, de faibles revenus mal répartis, la pauvreté et l'exclusion, le tout aggravé par une gouvernance défaillante et un encadrement défectueux. Ce phénomène exprime fondamentalement les disparités économiques et la répartition inégale des revenus à l'intérieur du pays, le chômage élevé entretient une forte propension à émigrer vers la périphérie des grandes villes. A coté du chômage, le différentiel des salaires entre le monde rural et urbain continue à inciter les jeunes pour s'expatrier. Pour la plupart, le projet migratoire constitue un moyen d'échapper à l'extrême pauvreté dont le taux reste encore élevé ( 14, 2 % lors du recensement général de 2004), avec une proportion plus grande pour le monde rural en valeur absolue, englobant plus de 4.000.000 de Marocains. Sont-ils aussi, et dans quelles proportions, candidats à l'émigration clandestine à l'étranger? Tout d'abord, je dois signaler que l'émigration clandestine à l'étranger ne distingue pas entre les jeunes citadins ou bien ceux issus du monde rural. L'incubation du projet d'émigrer clandestinement chez le jeune campagnard, est souvent enclenchée sous la pression d'autres facteurs à savoir, l'impact de l'audiovisuel, l'image de la réussite qu'affichent les jeunes de la ville. A cela s'ajoute le revenu insuffisant qui ne permet pas de couvrir les charges aussi bien du jeune que celles de sa famille, chose qui le pousse à chercher d'autres solutions qui lui permettront d'améliorer ses conditions de vie. Quelles sont les actions que vous avez menées en faveur des jeunes ruraux ? Nous mettons en œuvre un plan d'action mobilisant nos modestes moyens. Ainsi, nous avons organisé tout récemment un certain nombre d'événements, notamment la participation à la formation de 45 coopératives membres du réseau Seguia Al Hamra pour l'environnement et le développement durable dans la région de Laâyoune. Nous avons contribué en matière d'ingénierie sociale en ce qui concerne les techniques d'identification et de formulation de projets, l'analyse des contraintes et critères de viabilité d'un projet, la mobilisation et la gestion de partenariats, la pertinence et l'efficience des initiatives... Comment est structurée la société civile dans le monde rural? Il faut signaler que si le nombre d'associations créées dans le monde rural ne cesse d'augmenter, leur contribution au développement du Maroc reste très modeste. Le mouvement associatif reste insuffisamment développé et faiblement structuré tout en étant handicapé dans son évolution par des contraintes liées à la professionnalisation, au bénévolat, à l'encadrement, la formation continue, le défaut de transparence dans la gestion des ressources des ONG. On peut ajouter un statut institutionnel fragile, l'exercice de l'activité subordonnée à l'aval des autorités locales et le manque d'appui des pouvoirs publics. Comment expliquez-vous le peu d'intérêt accordé à cette jeunesse dans les études et les recherches? Ce qui est frappant, c'est qu'à chaque fois qu'on parle de la jeunesse, on pense plus souvent aux jeunes des quartiers urbains qu'à ceux de la campagne. Les sociologues eux-mêmes se sont peu intéressés à cette catégorie de population, pourtant nombreuse. Au Maroc jusqu'à présent, aucune étude de fond ni enquête pointue n'ont été réalisées sur cette catégorie de population, ce qui rend plus ardue l'analyse des caractéristiques socioéconomiques de la jeunesse rurale, très difficiles. Concernant les pouvoirs publics, le Maroc malheureusement ne dispose aujourd'hui d'aucune politique publique en matière de production d'outils visant à faciliter le traitement systématique des questions propres à la jeunesse, et les actions mises en place par le ministère chargé de la jeunesse ne permettent pas de relever l'ensemble des défis auxquels se trouvent confrontés les jeunes.