L'espace d'un week-end, la médina fassie a vibré aux sons du saxophone, piano, percussion et contrebasse du festival Jazz in Riads disséminé dans les anciens palais de la capitale spirituelle. On peut aimer ou ne pas apprécier le jazz, mais on ne peut rester insensible aux mélopées plaintives du pianiste et compositeur Randy Weston. Le cadre féérique du riad Menebhi de la vieille médina de Fès se prêtait parfaitement à la prestation de cette légende vivante de l'histoire du Jazz. « Viva Obama ! » Le profane se demandera bien que vient faire le nouveau président américain dans une soirée de jazz, mais le clin d'œil de Randy Weston avait une signification clair quand on sait que l'histoire de cette musique est justement liée à l'esclavage comme elle reste porteuse d'une grande part d'espérance. Ponctuel et fidèle à son fameux costume gris, il a démarré la soirée par une partition en solo sur son piano laissant l'ensemble de l'«African Rythms Quintet», son groupe faire l'apprentissage des planches avant d'entrer en scène. Les notes qui sortaient de ses mains dotées d'une agilité remarquable malgré les années, célébraient la rencontre entre la culture noire américaine et les sources ancestrales des musiques et des rythmes du continent noir, rencontre qui est l'une des clés essentielles du jazz. Juste le temps que ses compagnons de route ne règlent leurs instruments avant de démarrer une partition endiablée. En totale osmose avec son contrebassiste et son percussionniste, Randy Weston a subjugué un vaste auditoire sur une note émotionnelle où l'on décelait nettement le style de Duke Ellington, marié à des touches de musiques gnawie. A quatre-vingt-quatre ans, l'homme paraît étonnement alerte. D'où tient-il ce petit zeste de musique gnawie qui transparaît souvent dans ses partitions ? L'homme qui ne cache pas son amour pour le royaume explique qu'il a une longue histoire avec le Maroc ou plus précisément avec Tanger. «Je suis retourné en Afrique en 1967. De passage à Tanger, alors que je voulais juste découvrir la ville, je suis finalement resté six ans dans cette ville, où j'ai fondé le centre culturel African Rhythm Club» explique-t-il. Histoire avec le Maroc A Tanger, le maître du jazz qui a reçu les enseignements de l'Art Blakey, Kenny Dorham et bien d'autres, va faire une rencontre qui va changer le cours de sa vie professionnelle et même sa vie tout court. Abdellah El Gourd, un maître gnawi qui l'initie au guenbri avant de lui faire découvrir au cours d'une soirée de transe, ses origines africaines spirituelles. De cette rencontre de troisième type naîtra le véritable style Randy Weston, le syncrétisme des gnawas, synthèse plutôt réussie des éléments du continent noir avec des composantes berbères, arabo -musulmanes et juives s'accordant dans un parallélisme étonnant avec la «great black music»- blues, jazz, gospel, rythmes africains... C'est cette combinaison exceptionnelle qui confère au Jazz de Weston son caractère unique. La suite, tout le monde la connaît : à la tête de son African Rhythms Quintet, il va enregistrer un album qui va faire un tabac, «Spirit! the Power of Music», lors d'un concert dans une église new-yorkaise avec deux maîtres groupes respectifs: M'Barek Ben Othman ( Maâlem de Marrakech) et Abdellah El Gourd ( Maâlem de Tanger). La magie du lieu aura fait le reste : le Palais Menebhi, qui est l'un des plus beaux et des plus anciens monuments de la ville impériale de Fès. A la fin du XIXème siècle, les meilleurs artisans et artistes marocains ont passé quinze ans à construire l'intérieur marocain typique de ce magnifique édifice. Finalement, s'il n'y avait pas grand monde pour apprécier ce festival Jazz in Riads qui a ouvert les portes des anciens palais de la médina de Fès sur des sons de saxophone, piano, percussion et contrebasse, il faut néanmoins reconnaître que les mélomanes qui ont fait le déplacement ne l'ont pas regretté. ■