Le ministre de l'Intérieur et son collègue des finances réfléchissent à un moyen efficace pour avoir l'œil sur les finances des partis. Pour l'instant, ces derniers font toujours de la résistance. Le décret portant sur le «plan comptable normalisé» devrait les inciter à mettre de l'eau dans leur vin. Benmoussa tient-il vraiment à ouvrir la boîte à Pandore du financement des partis politiques ? A voir la récurrence du thème chez le patron du ministère de l'Intérieur, on est bien tenté de le croire. Son idée de «plan comptable normalisé» pour voir plus clair dans les caisses noires de nos partis politiques, est bien partie. La séance du conseil de gouvernement du 19 novembre en a fait son plat de résistance. La mouture pensée par les services de Benmoussa et couchée sur papier par Driss Dahak, le secrétaire général du gouvernement, est particulièrement bien ciblée. « Il s'agit de doter les partis politiques d'un cadre de référence à même de clarifier leurs règles de gestion, tout en garantissant la transparence des informations financières. Ce qui permettra de mieux renseigner sur l'utilisation des fonds publics mis à leur disposition » précise la note de présentation du décret 2-08-625 qui a pour ambition d'obliger les partis politiques à plus de transparence puisqu'ils seront désormais contraints de tenir leur comptabilité à jour par le biais d'un commissaire aux comptes. Cette disposition ne fait que conforter les dispositions déjà bien claires de la loi des partis politiques, qui impose déjà aux partis de rendre leur bilan comptable le 30 mars de chaque année à la Cour des comptes. L'article 33 (titre IV) relatif au financement des partis, rappelle aux partis qu'ils doivent tenir une comptabilité transparente autant sur les fonds dont ils disposent, qu'à propos de leurs dépenses. La précision «utilisation des fonds publics» n'est pas fortuite, puisque près d'une année après les élections législatives du 7 septembre dernier, la majorité des partis comme leurs candidats, n'ont pas déposé les pièces justificatives qui explicitent leurs dépenses électorales. Deux semaines après l'annonce des résultats du scrutin, Chakib Benmoussa avait relancé par le biais d'une correspondance dont la courtoisie tranchait avec la fermeté du ton, les candidats aux législatives, pour les inciter à présenter à la Cour des comptes toutes les pièces qui justifient les dépenses liées à leur campagne. Le budget débloqué aux partis pour financer la campagne électorale du 7 septembre 2007 a dépassé de loin les 200 millions de DH. Tous les candidats en course avaient reçu une avance forfaitaire de 500.000 dirhams, en plus d'un montant calculé sur la base du nombre de voix et de sièges remportés lors des élections législatives de 2002. Les deux ténors de la politique nationale, l'USFP et l'Istiqlal ont bénéficié, à eux seuls une cagnotte de 2 milliards de centimes. En 2006, l'Etat a été moins généreux puisqu'il a versé aux partis à peine 50 millions de DH. 7,5 millions de DH ont été versés à l'USFP ; 6,8 au RNI et 4,8 au PJD. L'Etat accordant ses largesses financières aux partis politiques ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés lors des élections générales législatives. Comment sont financés réellement les partis ? La question taboue n'a pas de réponse auprès des intéressés, pas un cadre dirigeant d'un parti, un leader qui accepte de vendre la mèche «trop compliqué, on a laissé exprès les partis s'empêtrer dans des crises financières sans appel, forcément, chacun a essayé de trouver une issue qui n'est pas des plus recommandables», confie ce membre du bureau politique d'un parti de gauche. Epée de Damoclès Le moins qu'on puisse dire, c'est que les dons destinés aux partis n'obéissent guère à une réglementation stricte afin d'éviter tout dérapage. Nous vivons encore dans un environnement politique où tout est permis. Des partis qui reçoivent des dons d'entreprise, des sommes très élevées venant de particuliers, des barons de la drogue qui tiennent des chefs de partis par la barbichette. Jusqu'à une date récente, les partis politiques se cachaient derrière le Dahir du 15 novembre 1958, présenté comme une épée de Damoclès qui interdisait aux partis d'avoir des biens ou des comptes bancaires enregistrés au nom du parti. Résultat : Le patrimoine de chaque parti dépendait du bon vouloir de son leader, puisque enregistré en son nom. On se rappelle du chantage odieux exercé par Osman qui refusait d'abandonner le siège du RNI comme il a exigé d'avoir un quitus avant de lâcher les finances du parti. L'Etat a-t-il vraiment les moyens de mettre de l'ordre dans les finances des partis ?Rien n'est moins sûr. En effet, si la loi 36-04 relative aux partis politiques prévoit des sanctions comme le gel de la subvention, les textes d'application font toujours défaut. Et la Cour des comptes qui est notamment chargée du contrôle des dépenses des partis politiques qui bénéficient du soutien financier de l'Etat n'a pas de caractère répressif qui pourrait faire la différence. En 2002, l'arrestation de certains dignitaires, véritables chefs d'orchestre de réussites électorales raflées avec espèces sonnantes et trébuchantes avait soulevé un tollé général des partis les plus progressistes du pays. La mise à l'ombre de ces barons électoraux, présentés, à tort ou à raison, comme des financiers des partis, avait mis en lumière l'opacité qui entoure le financement des partis, et la nécessité d'y mettre bon ordre. Le ministère de l'Intérieur ( sous Fouad Ali Himma) ayant été obligé de faire marche arrière avant de céder aux pressions des partis, avait fini par relaxer les mis en cause qui ont quand même fait, auparavant un petit passage devant les juges! ■ Comment font les autres ? En France, depuis la loi organique de 1988, chaque année, tous les partis doivent rendre compte de leur bilan à la Cour des comptes avec une comptabilité qui précise autant que les fonds dont ils disposent que leurs dépenses, soient précisés. Dans un souci de garantir que les ressources des partis et des candidats soient entourées d'un certain nombre de garanties de transparence, de manière à éviter les financements occultes et les pressions des puissances financières , les pouvoirs publics de l'hexagone ont coupé le pont entre l'argent des entreprises et les caisses politiques, en interdisant définitivement aux personnes morales -quelles qu'elles soient- de prendre part au financement de la vie politique, comme ils ont plafonné les dépenses électorales pour assurer notamment plus d'égalité entre les candidats, indépendamment de leur fortune personnelle. Cependant, face à l'insuffisance du financement militant, de plus en plus rare, l'Etat propose un dispositif très avancé d'aide financière aux partis politiques et de prise en charge des dépenses de campagne, en contrepartie du strict respect de la législation. Pour les ripoux, une panoplie de sanctions très dissuasives (sanctions pénales, sanctions financières et, surtout, des peines d'inéligibilité) mettent au ban de la vie politique ceux qui prennent le risque de la fraude. La mise en œuvre des règles de financement des partis et des campagnes électorales est confiée à une commission indépendante (la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques), sous le contrôle des juridictions administratives ; Enfin, le patrimoine des élus est contrôlé par la commission pour la transparence financière de la vie politique en début puis en fin de mandat, de manière à s'assurer qu'ils n'ont pas profité de leurs fonctions pour s'enrichir malhonnêtement.