Ils s'appellent marchands ambulants, mais ils ne courent plus les rues. Ils louent un espace au coin d'une rue ou devant le seuil d'une maison. Au centre-ville, comme dans les quartiers périphériques, ils pullulent et ne veulent pas être démasqués. « Allez écrire sur des voleurs et des arnaqueurs ! Vous allez nous tomber dessus et ils vont nous priver de notre activité. Nous serons chômeurs et deviendrons agresseurs ou «Chemkara-s». C'est en ces termes qu'un marchand ambulant à « poste fixe » a répondu à l'une de nos questions concernant le prix du loyer de l'espace qu'il occupe. Une poutre sous les arcades du boulevard Mohammed V de Casablanca. Un peu plus loin, un autre marchand de foulards, CD. Roms, casquettes, ceinturons et autres petites bricoles, loue chez un boutiquier l'espace de trois fois 50 cm autour d'une poutre à 1.000 DH le mois. Dans la rue Clemenceau, perpendiculaire à la rue piétonne du Prince Moulay Abdellah, un marchand de portables loue chaque volet des portières d'une téléboutique à 4.000 DH le mois. Dans la rue Driss Lahrizi, une boutique de prêt à porter s'est à moitié subitement transformée en téléboutique et en étalage de portables. Dans presque chaque coin de rue à Casablanca, particulièrement, l'espace de 50 cm coûte 50 DH par jour pour les marchands de cigarettes au détail. A Derb Soltane, Hay Hassani ou autres quartiers dits périphériques, les seuils des maisons sont loués à des prix variant entre 1.000 et 2.000 DH par mois. Certains commerçants, voyant l'envahissement des marchands ambulants arriver, ont pris l'habitude de sortir leur marchandise devant leur local qui, initialement, ne mesure que 20 m2, l'étalage occupe une autre vingtaine. L'informel dans l'informel L'arrondissement Derb Soltane-El Fida, situé sur une superficie de 43.000 km2 où logent 332.682 âmes doit supporter une activité des plus fébriles de Casablanca. Certes, ce n'est pas Derb Omar, mais Kissariat El Haffarine draine un argent fou. Les Habouss, avec leurs marchands de tenues traditionnelles attirent des milliers de visiteurs. Enregistrant un taux d'analphabétisme de 24,5% par rapport à la population casablancaise, les habitants de cet arrondissement se voient obligés de cohabiter avec le phénomène des marchands informels qui commercialisent des produits allant de la banane jusqu'au portables sur des étalages dits « Ferracha-s ». Quant aux trafics de barbituriques et de stupéfiants, Derb El Kabir, Sahat Essraghna, Derb El Foukara…sont légendes. C'est-à-dire que les commerces y sont informels dans l'informel. Pourtant, l'arrondissement, avec ses analphabètes et son taux de chômage s'élevant à 13,4%, compte 20 unités d'éditions et d'impression. 48.999 artisans s'y activent dans 40 Kissariat-s. Seulement 20.000 en sont patentés. Une véritable fourmilière qui asphyxie un espace déjà étroit pour les 11 millions d'âmes qui circulent quotidiennement à Casablanca et qui viennent de toutes les villes du royaume. Certes encore, empêcher ces marchands ambulants de s'adonner à leurs activités, exception faite du trafic de drogues, accentuerait le chômage et la délinquance dans toutes ses formes, parce que déjà Derb Soltane a la mauvaise réputation de produire des criminels. D'ailleurs, il faut les écouter s'en vanter et dire : « Ana Ould Derb Soltane » (Je suis un enfant de Derb Soltane). Une connotation qui renvoie directement à l'agression, à l'arme blanche, aux coups de rasoirs et à la débauche extrême. Cependant, que gagne l'Etat en préservant l'informel ? Empêcher les éventuels chômeurs de devenir de potentiels agresseurs ? Minimiser les conséquences de la prostitution et parer au crime ? Donner l'impression à une couche sociale de son utilité dans la société et conserver certaines valeurs nobles ? Certes. Mais que dire de celui qui loue un local à 60 DH et qui sous loue son seuil à 2.000 DH ? Que dire aussi de celui qui sous-loue des portières à 8.000 DH alors que la trésorerie n'en encaisse pas un sous ? ■