Du côté de Kelaât Sraghna, tout un village est dédié à l'emprisonnement des malades mentaux, avec des pratiques esclavagistes indignes. Un documentaire réalisé par Connexion Média et diffusé par la RTM, a suscité un vif émoi, il met à nu les pratiques ayant cours à «Bouya Omar». Ce saint est censé guérir de toutes les maladies mentales. Il fait partie d'une famille de marabouts «fils de bouya Rahal» dont les descendants, ou prétendus tels, sont connus pour leur capacité à boire de l'eau en ébullition. D'ailleurs, la procession dans le sanctuaire de Bouya Omar, commence toujours par le même rituel, à savoir un «Mejdoub» en transe, qui boit de l'eau chaude et asperge les présents de sa «baraka». On savait que ce sanctuaire était un enfer pour les malades mentaux. Mais la réalité dépasse tous les cauchemars. Des centaines de malades vivent avec des chaînes entravant les mains et les pieds. Ils sont réduits en esclavage, font des travaux pénibles, ne mangent pas à leur faim et ne bénéficient d'aucune protection. Ces malades sont pris en charge par les descendants du saint, qui se considèrent héritiers de sa baraka. Cette hallucinante baraka est un véritable fonds de commerce. La famille de chaque pensionnaire paye mensuellement entre 500 et 2000 DH à son gardien. Chaque habitant, descendant de Bouya Omar, a entre 10 et 120 locataires. Ils ne reçoivent que du pain et du thé comme alimentation, et doivent en plus travailler pour le compte de leur geôlier en attendant leur guérison. Certains sont là depuis des années. Dans ce village de la honte, le mercantilisme est la règle. Quand un «client» de passage offre un animal au Saint, celui-ci est remis au boucher une fois égorgé, au lieu d'être distribué aux pauvres, en particulier aux malades enchaînés, comme le voudrait la règle.Ces habitants geôliers, empêchent manu militari les ONG et la presse de faire leur devoir. Ils ont même attenté à la vie de la présidente d'une Association d'handicapés, qui a déposé plainte, sans résultat. Que fait l'Etat ? Dans ce village, il y a une bâtisse différente des autres, c'est celle d'un hôpital qui n'a jamais ouvert ses portes, sans doute par crainte de la concurrence de la baraka des descendants de Bouya Omar ou Bouya Ahmed. Le pire, c'est que le documentaire démontre que les habitants font aussi dans le kidnapping. Pour quelques billets, ils sont prêts à envoyer une équipe « ramener » de force un malade récalcitrant de n'importe quelle ville du Maroc. Ils n'exigent ni certificat médical, ni certitude sur l'état mental. Des histoires circulent, en particulier, sur des enchaînés à Bouya Omar, qui ne sont là que par la volonté de leurs co-héritiers de les posséder. Les maladies de la peau, les maladies organiques, font des ravages chez cette population, mal nourrie, mal logée, et sans aucun suivi médical. Ceux qui sont abandonnés par leur famille doivent mendier pour payer leurs geôliers. Ce Tazmamart civil est combattu par les psychiatres depuis des décennies. S'ils acceptent la transe, ou d'autres rites dérivatifs comme une sorte de thérapie traditionnelle, ils dénoncent le traitement réservé aux malades mentaux et qui se durcit parce que le nombre des pensionnaires augmente. La psychiatrie moderne a depuis longtemps aboli la conception asilaire, même pour les malades les plus instables. Des études sur les malades chroniques qui existaient à Berrechid ont démontré la capacité de nombre d'entre eux à vivre en famille. Un asile, dans un milieu hospitalier, avec un traitement humain est une conception de la thérapie que la science actuelle réprouve, que dire alors du Bagne de Bouya Omar ? La loi prévoit que l'internement ne peut être obtenu que sur instruction médicale ou légale. De quel droit des citoyens enferment d'autres citoyens contre salaire ? Qui autorise l'enlèvement d'un malade ? Qui donne autorité à ces charlatans pour interdire ONG et médecins d'entrer sur leurs territoires ? C'est aux autorités de mettre fin au bagne de la honte et à ses pratiques moyenâgeuses. Aller voir un psy ? Une culture rétrograde ! «Mali, ana oualit hmak!», «Aâlach bghiti t'psychini»... Voici quelques réactions à vif courantes dans nos sociétés où le citoyen Lamda, quand il est interrogé, étale spontanément son horreur à aller consulter un psy. Baratineur, embobineur, séducteur, le psy est vite assimilé, dans notre imagerie populaire, à ces clichés dominants qui font que les cabinets ouverts tardent à connaître de meilleurs jours encore. Pour de multiples raisons dont la première s'accroche au fatalisme incorrigible de la société marocaine. Chevillée aux tripes de notre personnalité soioculturelle ancestrale, cette croyance à la peau dure ratisse large dans les rangs pour dissuader quiconque de confier son destin à des «guérisseurs de cinglés». Ensuite, les Marocains sont des irréductibles adeptes des solutions de facilité en préférant s'adonner aux psychotropes, notamment les calmants et les somnifères, dès que cela semble tourner mal dans leur...tête. Et puis, on n'ose pas affronter les problèmes en face à cause de la Hchouma érigée en tabou inviolable du paraître sociétal où les apparences prévalent et les qu'en dira-t-on tellement redoutés par le subconscient collectif. Pourtant, il ne faut plus se mentir à soi-même, ni se cacher derrière les présupposés socioculturels rétrogrades. Contrairement aux préceptes religieux, les Marocains ne sont plus humains dans leur comportement, devenus très agressifs et se déversant en vulgarités sans limites. Pourtant, la thérapie objective est une bouffée d'oxygène pour assainir un environnement coupable et propice à la floraison des maladies psychiques.