Enregistrée en même temps avec «Al kamar Al Ahmar» de Abdelhadi Belkhiat, «Molhimati» d'Ahmed Gharbaoui reste l'un des tubes indémodables de la chanson marocaine. Genèse. Qui ne se souvient et fredonne, avec plaisir et nostalgie, ce refrain de «Molhimati», chanson à la trajectoire pleine d'anecdotes croustillantes. Ahmed Gharbaoui n'a jamais rencontré l'auteur des paroles, Ahmed Nadim, poète égyptien et directeur de l'école du conservatoire égyptien à Rabat dans les années 60. C'est Ahmed Rami, directeur alors de la station régionale de la radio à Tanger, qui les lui a fournis avec la bénédiction de leur géniteur. Du long poème initial, il ne retient que le tiers. A la composition, qui a duré des mois, il ne manquait que l'accroche. Un après midi de la fin des années cinquante, notre artiste invite une copine au cinéma de l'Opéra de Casablanca à voir un film. Et c'est ce jour là, grâce à la musique du Géant de la steppe, film russe qu'Alexandre Ptouchko a tourné en 1956, que «Molhimati» a fini par trouver son ouverture instrumentale. Le compositeur entama alors les répétitions avec Abdelouahed Tetouanais qui devait en être l'heureux interprète. Le jour de l'enregistrement, ce dernier manque le rendez-vous et préfère se produire au cours d'une soirée à Marrakech. C'est ainsi que, par le pur des hasards, Gharbaoui finit par chanter le morceau en compagnie de l'orchestre national. A sa première diffusion à la radio en 1961, le public enchanté et conquis. Le 45 tours ne tarda pas à sortir chez Boussiphone et on se l'arrachait comme des petits pains. Après un premier enregistrement en noir et blanc à la télévision, qui commença à diffuser ses émissions en 1962, le chanteur ne cessa de l'interpréter en toutes occasions en lui intégrant ses fameux «Mawawil» dont il est l'un des grands spécialistes. Une carrière féconde «Molhimati», qui éclipsa les «Ommah», «Abd Zine» et autre «Gharib», finit par lui coller à la peau. Et le nom de Gharbaoui devient synonyme de sa muse. Le chanteur et compositeur a pourtant une carrière qui remonte à 1957. Malgré les réticences d'un père qui lui fracassa une fois le luth du directeur de conservatoire de musique sur la tête, il s'engagea à 15 ans, comme instrumentiste, dans l'orchestre Al Moutanawaat que dirigeait alors Ahmed Chajai. En l'entendant fredonner des airs, notamment «Awal hamsa» de Farid Al Atrache, qu'il imite avec maestria, le journaliste Ahmed Rayan lui conseille d'embrasser une carrière d'interprète. Salim Halali l'engage au Coq d'Or où il rencontre Hajja Hamdaouia, fait la connaissance des grands musiciens marocains et maghrébins et chante «Elli kalbou safi» du maître. En 1961, il fonde avec Ahmed Benmoussa, un groupe comprenant, entre autres, Larbi El Ouali, Moulay Elghali, Abdelmajid Dinia et les chanteuses Aicha Hassan et Khadija Ziati. Ensemble, ils se produisaient en compagnie du judéo-marocain Lionel Elmaghribi aux cinémas Achaâb du quartier de l'Océan à Rabat et au Malaki de Salé. Après plus de cinquante ans de production, l'un des derniers grands représentants de l'époque glorieuse de la chanson marocaine, à l'instar des Abdelkader Rachedi, Ismail Ahmed, Abdenbi Jirari, Mohamed Fouiteh, Maati Belkacem et autre Brahim Alami, est en train de passer des moments pénibles. Nous ne pouvons que lui souhaiter bon rétablissement. ■