Après Marseille, Paris, Londres et Berlin, Essaouira accueille, en invité d'honneur, l'orchestre El Gusto. L 'histoire les a séparés, la musique les réunit.», titre le dépliant présentatif du projet El Gusto ou la bonne humeur d'après le parler algérois. C'est en méditant le succès phénoménal des papys du Buena Vista Social Club, exhumés des bas-fonds de la Havane par Nick Gold et popularisés par l'excellent documentaire de Wim Wenders, que l'idée de réunir les maîtres du Chaâbi est venue à Safinez Bousbia. Les reprises du genre, fondé au début du XXéme siècle et qui a connu ses heures de gloire dans les années trente, quarante et cinquante, telle Ya Arrayh par Rachid Taha sont aujourd'hui sur toutes les lèvres. Safinez Bousbia avait un an quand ses parents quittèrent l'Algérie. Elle vint deux ans quand, au cours d'une ballade dans la kasbah en compagnie d'une copine irlandaise, elle fait la connaissance de Mohamed Ferkioui dont l'échoppe et l'un des derniers lieux de mémoire de la musique Chaâbi. «Je suis rentrée dans son magasin de miroirs et nous avons commencé à discuter. Il m'a parlé du Chaâbi et m'a montré une photo noir et blanc datant des années cinquante: Une classe de musique au conservatoire municipal d'Alger. Il m'a raconté comment tous ses amis ont été éparpillés». A la recherche du Chaâbi perdu… Pour gâter le petit vieux bonhomme de 83 ans, elle part à leur recherche. «Je devais quitter Alger deux jours plus tard. Je suis restée trois mois pour les retrouver et les remettre en contact». De cette quête/enquête est né le premier documentaire, réalisé par cette architecte designer de formation qui manie l'arabe, l'anglais, le français, l'italien et l'espagnol et qui a vécu entre Paris, Monaco, Genève, Dubaï et Dublin. C'est après que l'idée de monter un orchestre s'est imposée. Il a fallu pas moins d'un an et demi de travail pour y arriver. Les papys n'ont plus touché à un instrument depuis belle lurette. Les répétitions sont supervisées par Abdel Hadi Halo, fils de Haj El Anka, qui a intégré au groupe la jeune génération, question de tenir la mesure. Le 6 septembre 2007, le théâtre du Gymnase de Marseille accueille le premier grand concert. Des retrouvailles plus qu'émouvantes entre les musiciens juifs et musulmans. René Pérez, Ahmed Bernaoui, Maurice El Medioni, la nostalgie personnifiée, Abdelkader Charcham, Joseph Hagége, un jeune de 88 ans, l'acteur Robert Castel, fils de Lili Labbassi, l'un des grands noms du Chaabi, Rachid Berkani, Mustapha Tahmi et Luc Cherki. Ce dernier déclara à la presse, «retrouver après tant d'années ces musiciens même si je ne les connaissais pas tous, est un bonheur rare…C'est un des plus beaux cadeaux du ciel que j'ai reçu». Blues et mélancolie d'un coté, nostalgie de l'autre, après les larmes et les embrassades, place à la musique. Et ils ont joué comme s'ils ne s'étaient pas séparés pendant 45 ans! Le concert qui devait durer deux heures a dépassé quatre heures ! «Maintenant je peux mourir», lance l'un des vieux de la Kasbah. Le show de Bercy Invitée par Frédéric Taddéï sur France 3 dans «ce soir ou jamais», Safinez Bousbia annonce le méga concert de Paris. Bertrand Delannoy, le fils de Tunis, a vu grand pour cette nuit du Ramadan, organisée par la mairie de la capitale sous le thème «la paix, l'échange des cultures et des mémoires partagées». Pas moins de 10.000 personnes ont assisté à un spectacle inoubliable. 36 musiciens et chanteurs sont sur scène. Une armada d'instruments entre pianos, banjos, percussions, accordéon, contrebasses, luths, guitares et violons, tenus par des vieux et dignes messieurs verticalement sur leurs cuisses. Le spectacle est lancé par les chants entrecroisés d'un imam et d'un rabbin. Tout un symbole. Et les morceaux du répertoire chaâbi qui se suivent, sont aussi nostalgiques les uns que les autres. «Win Saadi», «Subhan allah» d'El Anka, «Mchat alia» de Lili Boniche, «Je suis un pied noir» de Luc Cherki, «Kid jet daltek» de Bernaoui, «Dzaie ya assima», mythique tube de Abdelkrim Meskoud, sans oublier d'anciens refrains populaires. Le spectacle, qui prend des airs de musique andalouse, francarabe, tango, rumba et autre paso-doble, est clôturé par une interprétation, à l'unisson, d' Arrayh de Dahman El Harrachi. «Il faut voir les pieds noirs chanter en arabe pour comprendre ce que c'était cette époque», lança une blonde à l'accent chantant et ensoleillé. Le public est comblé et la presse (Le Monde, le Figaro, Libération, l'Humanité) ne tarit pas d'éloges sur la soirée. Si le tout premier concert d'El Gusto a eu lieu à l'Opéra d'Alger sans les juifs, c'est la première fois qu'un pays arabo-musulman réunit les musiciens des deux confessions sur son sol et sur une même scène. Le concert est programmé pour le samedi 1er novembre 2008 dans le cadre de la 5éme édition du Festival des Andalousies Atlantiques qu'abrite la cité des alizés, Essaouira, la ville ouverte.