Annoncée en grandes pompes lors d'une édition du Festival international du film de Marrakech, valeur actuelle, la Cité du Film relève plutôt du virtuel. L'investissement, d'un montant de 15 milliards de DH, dans la banlieue de la ville ocre a déjà fait couler beaucoup d'encre. Aujourd'hui, l'histoire de ce projet sent l'arnaque à mille lieues. Retour sur un dossier explosif. La Cité du film d'horreur ? Ou plutôt celle du suspense. Un suspense qui dure depuis trois ans exactement. Trois longues années utilisées avec habileté par les partenaires de la fameuse Cité du Film de Marrakech, pour tenter de faire avaler une grosse couleuvre aux autorités du royaume. Les promoteurs de la Cité du film, agissant au nom de la tristement célèbre «Tritel management Group», ont ainsi fait feu de tout bois pour faire passer leur projet. Ils sont plusieurs à se partager le dossier, Castro Khatib, Simon Denton, Joe Endoso, Roland Diterle, Bernd Engelhardt, Mel Morris, David Lowe et même un Sebastian Bach. Aux dernières nouvelles, le projet piétine encore et c'est tant mieux pour le pays. Pourtant, pour l'actionnaire minoritaire, Ahmed Benkirane, il n'y a aucun problème, l'affaire est entendue : «Cela fait trois ans que nous négocions, le premier obstacle que l'on a rencontré, c'est la question du champ de tir. Dernièrement, SM le roi a donné ses instructions pour que ce champ de tir soit transféré du côté de Benguérir. Depuis, la Wilaya et le CRI de Marrakech planchent sur ce dossier et le 27 juillet, le CRI devrait le transférer devant la commission d'investissement de la primature. Et on espère que l'accord définitif sera donné au plus tard avant septembre 2008». L'histoire a démarré en 2006, avec l'annonce de la création d'une cité des films, Morocco Film City, portée par la société Tritel, lancée officiellement, lors de la deuxième édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM). Auparavant, le 26 juillet 2005, la bande avait rendu public un contrat confectionné sur mesure et préparé d'avance par l'entreprise Tritel. On apprend d'abord que le capital de la société est de 50 millions de dollars US et qu'elle est en possession de nombreuses sociétés situées pour la plupart dans des paradis fiscaux : Les Bahamas, Monaco, les Iles Vierges britanniques et Tortola. Ce contrat qui devait être signé avec « le gouvernement marocain» pousse l'audace jusqu'à citer les ministres qui vont apposer leur griffe sur cette merveille. Toutes les grosses pointures du gouvernement y passent Fathallah Oualalou, pour la partie finances, El Mostapha Sahel, pour l'Intérieur, son collègue de l'Equipement et du Transport Karim Ghellab, Adil Douiri chargé du Tourisme, de l'Artisanat et de l'Economie sociale, Salaheddine Mezouar, ministre de l'Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau de l'économie et même Talbi Alami ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Affaires économiques et générales! Dans ce contrat ubuesque, l'article 1 s'attarde longuement sur la question des « assiettes foncières support du projet» où l'on découvre notamment, que le « gouvernement s'engage à céder pour un dirham symbolique au profit de la société, à Marrakech, une assiette foncière d'une superficie de 200 ha relevant du terrain Guich Harbil, situé à Ouled Belaaguid dans la commune rurale de Ouahat Sidi Brahim. Et à Essaouira, une assiette foncière de 80 ha relevant du domaine forestier, situé à Sidi Ahmed Saih. N'ayant décidément pas froid aux yeux, les promoteurs n'exigent pas moins que le gouvernement s'engage à mettre en place tous les équipements hors site, nécessaires et appropriés (routes, électrification, assainissement, télécommunication, transports...). De plus, le gouvernement marocain doit réaliser une autoroute (quatre voies en double sens) entre Marrakech et Essaouira avant le 30 juin 2007. Cerise sur le gâteau, il y a également quelques exonérations d'impôts, de tous les impôts, exceptée la TVA, sur une durée de 12 ans ! Une exonération qui devra être étendue aussi à l'ensemble des droits de douane et autres taxes pour l'importation des biens et matériels d'équipement nécessaires à la réalisation du projet. Mais bien entendu, l'article 2 aura tôt fait de rassurer les plus sceptiques, puisque le promoteur s'engageait à réaliser sur ces deux terrains, un investissement de 600 millions de dollars US en guise de «fonds de promotion et de production des films au Maroc ayant le label made in Morocco». Sans compter les 400 millions de dollars US consacrés aux travaux d'aménagement et de construction du projet... En plus des immeubles, hôtels, bars, restaurants et autres centres commerciaux. Mais apparemment, bien «briefés» sur le caractère loufoque et extravagant de ce montage surréaliste, au cours de la réunion avec la commission marocaine chargée de la coordination du projet, les compères vont revenir à de meilleurs sentiments pour concocter une seconde version de ce contrat, datée, cette fois-ci du 1er septembre 2005. Dans cette nouvelle version, le dirham symbolique pour le foncier n'est plus de mise, les autoroutes à quatre voies, et les exonérations fiscales ont disparu. Quant aux infrastructures hors site, le gouvernement est juste sollicité pour «une contribution partielle». Que s'est-t-il passé depuis ? Où sont passés les 160 millions de dollars qui allaient inonder les banques marocaines ? Une note du CCM qui exprimait ses doutes, quant à la viabilité de nouveaux studios au Maroc, alors que ceux qui existent sur Ouarzazate tournaient à moins de 20 pour cent de leur capacité, allait freiner les ardeurs des promoteurs, sans toutefois, les faire abdiquer. En effet, malgré l'absence d'une convention d'investissements, en décembre 2006 à Marrakech, le groupe présentait à la presse les différents aspects de cet investissement de 15 milliards de dirhams dont le montage financier, serait bien avancé. Ainsi, 500 millions de dollars auraient déjà été levés auprès des banques marocaines et étrangères. On cite ainsi le cas de la BMCE-Bank, Corral Bank entre autres. Tritel Management s'était engagé à mettre en place une société marocaine au capital de 20 millions de DH qui suivrait ce fabuleux complexe. En fait de société, la bande se contentera de mettre quelques misérables 300 000 DH pour créer la fameuse Morroco Film City. Pour le coût d'une laiterie située dans le Hay Mohammadi, Castro Khatib, sa femme Subhiya, David Lowe et les autres se retrouveront au cabinet Saïdi le 07 septembre 2006, pour fêter la naissance officielle du groupe ! Fonds suspects Tout ce cinéma qui sent la magouille à plein nez, n'empêchera pas la direction des investissements de convoquer le 17 avril 2007, le comité technique de la direction d'Investissement pour annoncer en grande pompe la validation de 6 conventions d'investissements, dont le fameux projet de Marrakech. «Le projet de convention proposé par Morocco Film City, arrive en deuxième position en termes d'importance des fonds à investir. Il concerne l'aménagement de studios cinématographiques, près de Marrakech pour un montant de 3,28 milliards de DH (250 emplois)», annonce avec une fierté inhabituelle, le département de Hassan Bernoussi. Entretemps, alors que le dossier commence à susciter des interrogations sérieuses au niveau du gotha politico-financier du royaume, Castro et quelques uns de ses associés étaient l'objet d'enquêtes de diverses polices et l'objet d'une attention particulière de nombreux agents du fisc aussi bien danois que suédois ou encore suisses. Délits d'initiés, fausses déclarations, trafic de films porno, tout y passe. Tritel, Intellogica LTD, Alladin, Michael Östlund & Co, pratiquement toutes les sociétés écrans appartenant au clan Castro sont passées au peigne fin par les auditeurs de plusieurs pays européens. Avec toujours la même conclusion : opacité et difficulté de remonter jusqu'aux origines des fonds. Le quotidien suédois Affärsvärldens du 17 août 2007 s'étendait longuement sur les arnaques du groupe appartenant au clan Castro. Dans le collimateur notamment, Europe Vision et Tritel Media. On apprend ainsi, que les auditeurs se plaignent notamment du flou et d'un manque d'informations sur la fameuse société créée au Maroc et qui servait de faire valoir à Castro et à ses complices. Tritel médias avait été introduite en Bourse en décembre 2005, avec la mention explicite du projet Maroc Film City, appelé à être construit dans les années à venir. Dans la récente publication des états financiers de la société pour l'exercice 2006, on retrouve la valeur à 86 millions de livres. En seulement six mois, la valeur a ainsi baissé de 20 pour cent. Trop louche ! Les inspecteurs du fisc flairent l'arnaque, ils convoquent, Johan Isbrand Set, comptable en Suède, qui est en même temps l'auditeur de Tritel médias, l'homme n'a pas non plus réussi à fournir la moindre explication sur de nombreuses irrégularités. Arnaques Pire encore, en 2006, alors que la fameuse Morroco Film City n'avait pas encore vu le jour, Europe Vision PLC, la filiale de Tritel se lançait dans une affaire similaire sur Ho Chi Minh-Ville Film. Dans un communiqué triomphal, Europe Vision annonce qu'il a été nommé consultant exclusif de l'industrie cinématographique et, à terme, gestionnaire d'un nouveau complexe de studios qui devra être réalisé dans le cadre d'un mini-développement en dehors de la ville Ho Chi Minh Ville au Vietnam. Pour faire craquer les vietnamiens et obtenir un accord rapide, Tritel Management Group, insinue «qu'il est propriétaire de la franchise de studios de films et d'une Ville de loisirs actuellement en construction à Marrakech. Europe Vision gère déjà tous les films et les questions relatives au cinéma au Maroc». Tritel se félicite que dans cette opération, Siam LTDZM, un consortium thaïlandais, chinois et vietnamien, s'était engagé à payer une contrepartie de 15 millions de dollars à Tritel pour l'utilisation du concept de ville du film, et une majoration de 2 millions de dollars par an qui seront versés à Europe Vision pour couvrir des services de conseil sur le développement de Ho Chi Minh-Ville du film. Europe Vision aura également le droit de préemption pour la distribution de produits en provenance des nouveaux studios, par le biais de ses réseaux multimédias. Une affaire qui a un air de déjà vu. Pour qui roule le sulfureux milliardaire ? On n'en sait pas grand-chose. Castro, ce palestinien, patron de Alladin Ltd, traite «des affaires» non seulement pour le compte de l'Etat israélien, mais également pour des intérêts douteux à Cuba, l'Angleterre ou les Etats-Unis, entre autres. Ce qui est certain, c'est que malgré une réputation particulièrement sulfureuse, l'homme a réussi à embobiner un bon paquet de décideurs au Maroc et qu'il a failli faire passer une grosse supercherie pour « le projet du siècle». Un dossier où des copains et des coquins ont échafaudé un système mafieux où non seulement l'appétit du gain est carrément scandaleux, mais de plus, l'affaire s'apparente aujourd'hui à une prédation financière et immobilière préméditée.