Cannabis. Le débat sur la légalisation de la culture du kif au Maroc vient d'être lancé. Le pavé dans la mare a été jeté par une poignée d'acteurs associatifs dans le Nord. Faut-il légaliser la culture du kif dans le Rif ? La question n'a jamais vraiment été posée. Aujourd'hui, elle fait l'objet d'une plate forme signée par les universitaires Tahar Toufali, Mohamed Chami, Nacer Hamou Azday et Boubker Khamlichi, Khaled Belkaidi, Hicham Benichi, Chakib Khiari de la société civile et Lahbib Hajji, avocat au barreau de Tétouan et co-auteur de la lettre à l'histoire qui dénonçait la corruption dans le milieu de la justice dans le Nord. Le timing de la publication de la plate-forme pour la légalisation du cannabis, n'est pas fortuit. Dans quelques semaines, la saison de la récolte du cannabis dans le Rif va commencer. La plate-forme qui vient d'être soumise à débat, sera suivie d'une pétition ouverte à « toutes les potentialités ». L'initiative veut orienter le débat sur une question qui a toujours été politisée à tort ou à raison, qui a même servi pour le règlement de compte entre divers acteurs politiques au Maroc. Loin de cette vision, les initiateurs de ce débat proposent une série de rencontres avec des partis politiques et des ONG qui militent pour une utilisation du cannabis à des fins médicales et industrielles dans le monde. L'idée même de l'initiative, est de faire sortir le débat au grand jour et impliquer divers acteurs, loin de l'approche qui a été faite jusqu'à présent et qui s'est limitée à l'état, l'ONUDC et qui n'a enregistré que des résultats insatisfaisants. La plate-forme donne comme exemple des pays qui ont ouvert depuis belle lurette le débat sur cette question au niveau mondial. «La légalisation de la culture du cannabis dans le Rif et son orientation vers des utilisations « propres », sont à même de participer au développement humain dans cette région enclavée, surtout avec le début de l'utilisation du cannabis dans le domaine médical et industriel» rappellent les auteurs. Toute une histoire Les habitants de Kétama avancent que Hassan 1er avait instauré des Dahirs pour cultiver le cannabis à cinq douars de Kétama et Beni Khaled. Le Kif était produit pour la consommation locale, car à l'époque, le tabac ne faisait pas encore rage. À partir de 1912, le Maroc fut séparé en deux zones, française et espagnole. Dans le Nord, l'Espagne avait permis à certaines tribus de continuer sa culture pour contrer l'hégémonie d'Abdelkrim Kattabi, qui considérait que la consommation de cannabis était contraire à la charia. Après la défaite d'AbdelKrim, les Espagnols légalisent la culture du cannabis autour du noyau de Kétama. La conférence d'Algésiras de 1906 avait même concédé le monopole des achats et ventes du tabac et du cannabis à la Régie Marocaine des Kifs et Tabacs, une compagnie multinationale à capitaux français. Ce n'est qu'en 1932, que le Protectorat français a commencé la prohibition de la production de cannabis par le biais du dahir du 22 décembre 1932, qui exclut celui cultivé, sous le contrôle de la Régie, dans le Haouz de Marrakech et le Gharb. Finalement, le dahir de 1954 étendit l'interdiction de sa culture et sa consommation à tout le Maroc, sous protectorat français. Polémique Après l'indépendance du Maroc, cette prohibition fut étendue à tout le territoire national. Cette décision fut très mal accueillie. Le gouvernement décida alors d'autoriser la culture dans un périmètre restreint, situé exclusivement autour du village d'Azilal, au pied du Mont Tiddighine. Depuis la fin des années soixante dix, la forte demande européenne, a fait multiplier les surfaces cultivées. Quelle est la réponse des autorités? Mystère et boule de gomme, mais d'ores et déjà, le niet est palpable. Hasard du calendrier, les autorités de Taounate ont décidé cette année d'avancer d'un mois l'opération de destruction des champs de cannabis. L'opération, au titre de l'année 2008, sera lancée plus tôt que d'habitude, avant le 15 mai. Elle concerne les cercles de Taounate et Rhafsai. Elle vise la réduction des superficies emblavées, notamment par l'éradication des superficies cultivées, la poursuite judiciaire des agriculteurs recherchés et la mise en place d'activités alternatives. Selon une source officielle, cette opération concernera dans sa première phase, les cultures empiétant sur les domaines forestiers et hydrauliques qui se trouvent dans un stade avancé de tallage et de floraison. Une autre opération généralisée se déroulera en deux phases séparées. La première commence en juin prochain, et va concerner les superficies emblavées en bour, alors que la seconde phase prévue en août, sera axée sur les superficies irriguées au niveau des oueds Aoudour et Aoulay, relevant des caïdats de Tafrant et Bni Zéroual, cercle de Rhafsai et caïdat Bouhouda, cercle de Taounate. Chaque année, depuis 2004, les autorités mènent une opération médiatique dans la région de Taounate, où des centaines de champs de cannabis sont détruits. A plusieurs reprises, cette opération a donné lieu à des heurts avec les paysans et à des arrestations musclées. Calendrier des cultures Les semis de cannabis en bour s'échelonnent de la première quinzaine de février à la dernière quinzaine d'avril, sauf dans la province d'Al Hoceima où ils peuvent se poursuivre jusqu'à la mi-mai. Le cannabis en irrigué est semé à partir de début février, sauf dans les provinces de Larache et Taounate où il est semé à partir de début mars. Le gros de la récolte pour le cannabis en bour se faisant de mi-juin à août. La récolte pour le cannabis en irrigué, commence sensiblement plus tard, début juillet à Larache, voire plus tard sur les autres provinces et peut se prolonger jusqu'à fin septembre, voire début octobre dans la province d'Al Hoceima pour certaines parcelles tardives. On constate donc que le cannabis, selon qu'il est cultivé en bour ou en irrigué, et en fonction de la zone agro-climatique, a un cycle de culture de 5 à 6 mois. Les habitants des villages qui se trouvent aux abords des terres de Kétama, voient les agriculteurs qui possèdent des terres de la même superficie, circuler dans des voitures de luxe, grâce aux revenus dégagés par la culture du cannabis! Difficile de les convaincre du contraire.