Picasso, Matisse, Modigliani, Braque… Les toiles de Real Lessard «imitent» à s'y méprendre les œuvres des plus grands maîtres de la peinture. L'homme a défrayé la chronique dans les années 70, lorsque l'escroquerie du siècle éclata au grand jour : un sulfureux marchand d'art s'était accaparé les œuvres de Lessard et les vendait comme des «authentiques» certifiés dans le monde entier. Lessard sera innocenté à l'issue d'un procès qui aura duré des années. Il expose aujourd'hui à Marrakech où il s'est installé pour peindre les couleurs de la ville rouge. A «sa» manière. Drôle de personnage que ce Real Lessard. Il est à la fois Picasso, Dufy, Braque, Matisse ou Delacroix. Il peint à la manière de Derain ou Modigliani. Sa cote ne cesse de monter dans «Akoun», la Bible qui recense et répertorie les peintres du monde entier, toutes époques confondues. Il a exposé partout – actuellement à Marrakech, à la galerie Artes Mundi, où il présente une collection de toiles consacrées au Maroc. Les musées et les collections particulières comptent parmi leurs chefs-d'œuvre d'innombrables «faux» attribués aux plus grands maîtres contemporains. Faux ? Voilà bien toute l'histoire de cet artiste de génie, dont l'innocence le conduira à défrayer la chronique et à faire éclater le plus fantastique scandale dans le monde de l'art des années 70. Le procès du siècle A 18 ans, le jeune homme quitte son Canada natal pour partir à la conquête du monde. Il rêve de voyages et de rencontres. A Miami, son destin va basculer : il croise Fernand Legros, sulfureux marchand d'art qui comprend immédiatement comment utiliser le génie de Lessard. Car le jeune peintre est vraiment doué. Il s'approprie les techniques des grands maîtres jusqu'à parfois les confondre eux-mêmes. Fernand Legros n'hésite pas. Il vendra les œuvres du jeune artiste comme d'authentiques Picasso, Braque ou Van Dongen, met les experts dans sa poche, abuse les veuves et les parents des peintres et inonde le marché international de l'art des œuvres de Real Lessard. Picasso en personne croit reconnaître une de ses œuvres et la signe, comme Van Dangen qui fait la même chose ou encore Jeanne Modigliani qui authentifie une toile de son père. On trouve un tableau de Lessard dans une exposition «Hommage à Dufy», un autre présenté comme un vrai «Derain» acheté par le collectionneur américain Henri Ford III, un faux Modigliani acheté par un musée japonais… Lorsque Lessard découvre l'énormité de l'escroquerie, il n'ose pas parler. Le scandale éclate au grand jour quand l'association des marchands d'art américains se mêle de l'affaire qui se termine par le procès du siècle. Lessard est innocenté, mais il lui faudra 27 ans avant de parler. En 1988, il écrit «L'amour du faux», le livre qui raconte toute l'histoire et qui devient en quelques jours un best-seller. Les media du monde entier l'invitent, il est sur tous les plateaux de télévision, exécute même un «Modigliani», un «Matisse» ou un «Van Dongen» devant les caméras, en direct. Si les confessions médiatiques de l'artiste ressemblent à une libération, elles auront l'avantage de mettre en avant son talent. Jacques Attali dira dans la célèbre émission de Bernard Pivot, «Apostrophes» : «Real Lessard apporte à la peinture du XXème siècle une troisième dimension inconnue : l'interprétation». «L'œuvre inachevée de mes prédécesseurs…» Une nouvelle carrière s'offre à lui. On ne parle plus de «faussaire». La cote de l'artiste grimpe. Ses toiles s'arrachent à prix d'or, mais cette fois il les signe de son nom, non sans faire ce commentaire plein d'humour : «je complète d'une certaine façon l'œuvre inachevée de mes prédécesseurs…» Aujourd'hui, Real Lessard partage son temps entre Bruxelles et Marrakech où il a installé un atelier inondé de lumière. Il peint encore et encore, le rouge Marrakech, les souks du Haut Atlas, les bacs des teinturiers, les casbahs. Certes, on y repère un peu de Chagall, de Léger ou de Vlaminck. Mais surtout, ces toiles «marocaines» consacrent le génie d'un artiste dont la sensibilité s'inspire du talent des autres. L'exposition de Marrakech, «Au cœur du Maroc», dissipe les doutes : il s'agit bien là de «vrais» Real Lessard.