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Comment Marrakech a survécu à la crise?
Publié dans La Gazette du Maroc le 30 - 12 - 2002

La plupart des scenarii prévoyaient des chutes d'activité de 20 à 40 % en fonction des pays et du niveau de risque qui les concernait.
Avec un recul de 18 % et 24 respectivement pour les arrivées globales et internationales durant la période allant de novembre 2001 à octobre 2002, Marrakech a résisté à la crise, mieux que plusieurs destinations comme la Tunisie ou l'Egypte.
Même en période de crise, les projets d'investissement ont continué à se multiplier et les chantiers ne se sont pas arrêtés.
Globalement, la reprise est bien là, cependant elle demeure néanmoins fragile.
Un peu plus d'une année après les événements du 11 septembre 2001 survenus aux Etats-Unis, les différentes destinations touristiques du monde entier font leurs comptes. Elles dégagent également des perspectives au moment où la menace d'une guerre qui couvait depuis contre l'Irak devient de plus en plus imminente. Marrakech, première destination du Royaume n'a pas été en reste. Les professionnels de la ville ocre regroupés autour de leur Conseil régional du tourisme (CRT) s'y sont essayés au courant du week-end du 20 au 22 décembre dernier. Comment la destination, qui accueille chaque année près de la moitié des touristes étrangers, a vécu jusque-là l'après 11 septembre où le tourisme, secteur intimement lié au transport aérien, a été frappé en premier lieu ? Il fallait donc pour Marrakech comme pour plusieurs autres destinations au sud de la Méditerranée compter sur plusieurs facteurs exogènes, notamment la psychose de l'avion, la tension internationale associée à la crise économique, la baisse des revenus des ménages découlant des chutes boursières en Europe, des consommateurs qui changent leur priorité de dépenses, avec un report du budget vacances ou un achat “last minute”… Ainsi, la plupart des scenarii prévoyaient des chutes d'activité de 20 à 40 % en fonction des pays et du niveau de risque qui les concernait.
Au bout du compte, la destination s'en est bien sortie : avec un recul de 18 % seulement en termes d'arrivées globales et 24 % pour ce qui est des arrivées internationales durant la période allant de novembre 2001 à octobre 2002, elle a résisté à la crise, beaucoup mieux que plusieurs destinations comme la Tunisie ou l'Egypte.
Dans le détail, l'activité a enregistré des baisses au niveau de tous les marchés émetteurs après le 11 septembre 2001, sauf pour le marché national qui a connu une hausse de 11 %, représentant ainsi 19 % de la demande globale avec 183.135 arrivées à Marrakech. Le marché français, malgré une baisse de 17 % avec 467.793 arrivées, représente toujours une part de 50,5 % de la demande globale. Ces deux marchés représentent à eux seuls 70 % du portefeuille client du produit Marrakech. Ce qui a amené Abdellatif Kabbaj, premier vice-président du CRT et président de l'Association de l'industrie hôtelière de Marrakech (AIH), à dire que ces deux segments sont à traiter soigneusement et professionnellement.
Gestion de la crise
Pour les opérateurs de la destination, leur activité a certes enregistré un
recul qui, selon eux, reste dans des proportions gérables pour leurs entreprises. En tout cas, tout semble indiquer que les professionnels sont loin des périodes où une petite crise suffisait pour semer la panique. La gestion des crises est une réalité aujourd'hui. “C'est une immunisation peut-être de notre tourisme, un regain de confiance en notre destination, ou cela est bien dû à d'autres facteurs qui échappent à nous tous”, se demande Abdellatif Kabbaj.
Mais s'il y a une catégorie de professionnels qui s'est inscrite dans cette logique, c'est bien évidemment celle des investisseurs marocains. Même en période de crise, les projets d'investissement ont continué à se multiplier et les chantiers ne se sont pas arrêtés. En témoignent les hôtels, Impérial Holiday (4 étoiles), les jardins de la Koutoubia (5 étoiles), Akabar (3 étoiles), Riyad Mogador Marrakech(3 étoiles), Ayoub (3 étoiles), hôtel Club Palmeraie (4 étoiles), le Kenzi Club Oasis (Village de vacances touristiques), les Jardins de la Médina…, qui ont ouvert récemment. En plus d'autres comme par exemple, Diouane (4 étoiles), l'hôtel suite de Es Sâadi, hôtel Atlas Médina (5 étoiles), La Perle du Sud (5 étoiles), le Koudou (4 étoiles), Capucines (4 étoiles), qui sont toujours en chantier. Parallèlement aussi, plusieurs extensions de certains hôtels ont été réalisées. Dans ce lot, on peut citer le Kenzi-Farah (5 étoiles), le Tikida Garden (4 étoiles), Amine (4 étoiles), El Andalous (4 étoiles, rénovation), Sheraton (5 étoiles).
Quant aux maisons d'hôtes, leur nombre dépasse les 300 et à intervalle régulier, il y a une ouverture nouvelle.
Aujourd'hui, ce sont 19 projets touristiques qui ont été mis en service durant l'année 2002 : 10 hôtels, 2 villages de vacances touristiques (VVT), 7 maisons d'hôtes totalisant 1.990 chambres (3.980 lits). Quant aux projets en cours, ils ont atteint le nombre de 67 dont 19 hôtels, 6 VVT, 10 résidences touristiques et 32 maisons d'hôtes totalisant un nombre de 2.772 chambres, 189 suites, soit 6.362 lits. Pour les projets à l'étude, ils sont 51 dont 13 hôtels, 10 résidences touristiques, 6 projets intégrés (nouvelle zone touristique, projet nomade…),
5 projets de convention signés avec l'Etat et 17 maisons d'hôtes et hôtels de charme, soit 10.119 chambres, 37 suites (20.120 lits). Ce nombre additionnel de lits (30.462) ajouté aux 20.000 existants ramène la capacité hôtelière de Marrakech à 50.462 lits.
Malgré ces chiffres encourageants, la vigilance doit être de mise : il y a une reprise globale de l'activité touristique à Marrakech mais celle-ci reste encore fragile. Le CRT, qui vient de boucler trois mois depuis sa mise en place, semble en être conscient et c'est ainsi qu'il a mis en œuvre tout un programme de marketing pour vendre la destination. Selon Zhor Fassi Fihri, présidente de la commission “Marketing de destination” du CRT, il s'agit entre autres opérations de dynamiser les marchés à contre-performances (Italie, Espagne, Belgique, Suisse, Grande Bretagne et Canada). “L'objectif est de toucher une clientèle dans des pays où le Maroc est peu connu, et où l'Egypte et la Tunisie sont assez développés”, explique-t-elle.
Sur un front beaucoup plus important par le budget, l'ONMT prévoit encore de privilégier Marrakech dans sa promotion à l'étranger de la destination Maroc. Déjà, selon son directeur général, Fathia Bennis, la quote-part du budget publicitaire consacrée à Marrakech peut-être évaluée à 20 % environ. “Marrakech est devenue aujourd'hui une marque internationale”, a-t-elle ajouté.
Qu'est-ce qui explique le succès de Marrakech? Le directeur de l'ONMT a son idée : “Cela s'explique par le fait que Marrakech est un produit naturellement différencié par des caractéristiques propres, notamment sa situation unique (palmeraie sur fond de neige), le climat, l'ambiance, l'hôtellerie particulièrement identifiante, un arrière-pays exceptionnel par sa diversité...”.
Aérien : facteur limitant de la destination.
Une destination de rêve pour les pays émetteurs de touristes, une capacité conséquente ainsi qu' une bonne promotion de la destination devraient normalement suffire pour que les opérateurs se contentent seulement d'assurer le quotidien. Malheureusement, l'aérien reste encore le facteur limitant de la destination bien que Marrakech soit desservie en régulier par trois compagnies aériennes, notamment Royal Air Maroc, Air France et British Airways. C'est dans ce sens que le CRT de Marrakech a invité tous les intervenants du dossier à une réflexion sérieuse et profonde pour arriver à résoudre ce problème qui a, selon eux, trop duré. D'ailleurs la preuve avancée par Kabbaj est significative : “si avec le nombre actuel de lits (20.000) et pour les fêtes de fin d'année nos hôtels ne sont remplis qu'à 50 % alors que la demande est très intense, nous pouvons dire que notre destination n'est accessible qu'à moitié”. Pour lui, parallèlement aux vols réguliers, il y a nécessité d'ouvrir le ciel marocain à la chartérisation.
Pourtant Mustapha Benkirane, directeur commercial de la RAM, a affirmé que durant ces dernières années, la compagnie aérienne nationale n'a cessé d'augmenter sa présence sur Marrakech pour accompagner son développement touristique. Pour la seule année 2000, dit-il, la compagnie a augmenté son offre en sièges en vols réguliers de
50,8 % par rapport à 1999. En 2001 l'augmentation a été de 30,2 %, suivie d'une autre augmentation de 14,8 % en 2002. Quant aux vols charters, le directeur commercial de la RAM s'est contenté de ne mentionner que l'augmentation de 28,6 % qui a permis d'atteindre un trafic de 503.641 en 2000, sans pour autant avancer des chiffres concernant le charter pour 2002.
Quoi qu'il en soit, le programme de la RAM pour 2003 reste à tous points de vue ambitieux. Selon Mustapha Benkirane, pour 2003, les prévisions de trafic sur le Maroc sont de 2.826.000 passagers pour les vols réguliers (soit 9 % de hausse) et de 739.000 passagers pour les vols charters (soit 35,5 % d'augmentation). Dès 2003, la compagnie va dédier 8 avions à l'activité charter. Elle attribuera aussi 50 % de la capacité régulière des 37 autres appareils à l'activité charter, fait remarquer M.Benkirane.
Pour accueillir les vols que ça soit en régulier, charter ou supplémentaires, l'ONDA, est en train d'anticiper. L'Office réalise actuellement une extension de l'aéroport Menara de Marrakech, même en prévision du transfert de cet aéroport dès 2007-2008 en dehors de la ville. Des études dans ce sens sont en cours.
Marrakech, ville de circuit ou de séjour?
Aujourd'hui, avec tout ce programme, la première destination toutistique du Royaume est bien partie pour s'inscrire dans la logique de l'objectif des 10 millions de touristes à l'horizon 2010. Seulement, les ambitions touristiques de la ville ocre ne risquent-elles pas d'handicaper les autres destinations touristiques du Royaume? La destination qui reçoit l'essentiel des touristes étrangers qu'elle redistribuait sur les autres villes touristiques du Maroc, jouait bien son rôle de ville de circuit. En effet, Marrakech comblait en quelque sorte le déficit de capacité en lits du Royaume puisqu'elle faisait circuler les visiteurs étrangers, ce qui contribue à l'augmentation des nuitées. Avec son nouveau programme, la destination ne risque-t-elle pas de se transformer du jour au lendemain en ville de séjour qui fixerait les touristes à Marrakech?
Quatre questions à Kamal Bensouda, président du CRT de Marrakech
“Il ne faut surtout pas s'endormir sur la croissance du marché français”
La Gazette du Maroc : comment Marrakech a résisté à la crise ?
Je crois que si Marrakech a résisté à la crise, c'est pour deux raisons essentielles. La première, c'est qu'aujourd'hui ce produit a un positionnement très fort sur les marchés émetteurs. C'est pour ça qu'on parle de cité magique dans la mesure où elle conjugue le dépaysement, l'exotisme et également la culture.
En second lieu, si elle a résisté à la crise, c'est en raison de deux phénomènes économiques : le premier, c'est l'augmentation du marché national avec une croissance de 10,5 % et le marché français qui n'a baissé que de 17 % alors que les autres marchés ont baissé beaucoup plus vite. Vous savez que le marché français pèse plus de 50 % dans le poids général de la destination. Et ces phénomènes ont permis à Marrakech de résister correctement.
Quels sont les axes prioritaires de votre programme ?
Les axes prioritaires sont de deux natures. Il y a le déclenchement d'actions structurantes c'est-à-dire des sujets relativement lourds qui vont nécessiter un à deux ans de mise en place. A côté de cela, il y a aussi des actions plus ponctuelles, plus rapides, plus faciles à mener.
Les actions structurantes se réservent à deux gros sujets : c'est contribuer au niveau du CRT avec les élus, les institutionnels sous la coordination du Wali, à la mise en place d'un plan de développement régional qui englobe l'évolution de la destination de 2003 à 2010.
L'autre sujet structurant a trait à la mise en place d'un observatoire local qui va nous permettre de piloter économiquement le sujet du tourisme notamment par la mise en place d'un tableau de bord quantitatif et de bornes de qualité.
Ce sont des sujets qui vont nécessiter des études, un plan de déploiement d'action, et qu'on va réaliser entre l'année 2003 et début 2004. C'est des sujets qui vont permettre de construire l'encadrement touristique d'une destination. Quand je dis construire, c'est construire scientifiquement.
Maintenant, par rapport à cela, il y a des actions plus ponctuelles et plus rapides, qui touchent essentiellement bien entendu le marketing de destination et la promotion. Parce qu'il faut aller vendre Marrakech, il faut doter Marrakech d'outils, il faut permettre à Marrakech de devenir un cœur d'événements et cela peut se faire facilement durant l'année 2003. C'est pourquoi, je dis que nous marchons sur deux jambes, l'une étant beaucoup plus lourde que l'autre. Mais évidemment quand nous parlons d'actions plus ponctuelles, c'est surtout pour faire face à la baisse des arrivées et permettre à Marrakech de continuer à résister s'il s'avère que 2003 est une année un peu difficile en raison des événements qui risquent de survenir en Irak.
Pensez-vous que votre budget qui est de 3,8 millions de dirhams est suffisant pour la réalisation de vos objectifs ? D'ailleurs, comment l'avez-vous mis en place ?
Le budget est un budget de déclenchement, c'est-à-dire que c'est un budget qui est destiné à initier des actions sur lesquelles vont se greffer d'autres partenaires. Quand on parle du plan de développement régional, il est clair que Marrakech avec toutes ses composantes va financer une partie de ce plan. Mais le ministère du tourisme m'a déjà confirmé qu'il nous réservait une enveloppe importante pour financer en grande partie cette démarche. Ce n'est pas parce que le CRT arrive ou s'installe que Rabat ne va plus rien faire, bien au contraire. Nous sommes là pour pousser Rabat à travailler avec nous dans la cohésion et on va pousser Rabat à travailler un peu plus avec Marrakech. C'est un peu l'objectif.
D'un autre côté, le budget va permettre de faire face à la mise en place d'outils. Vous savez qu'aujourd'hui Marrakech n'a pas d'outils. En dehors, je crois, d'une brochure qui existe mais qui est très réduite, nous n'avons aucun autre outil. Or, nous voudrions disposer d'outils pour permettre aux forces commerciales de la ville (hôteliers, agents de voyages… et même les élus quand ils reçoivent des personnalités politiques étrangères). Les outils, c'est des brochures, des CD-ROM, sur
tous les produits de la destination : Marrakech, ville de congrès, de remise en forme, de farniente, de résidences secondaires, de l'écologie.
Comment grouper le budget ? Tout simplement, en le répartissant en fait entre les trois partenaires : les élus qui devront mettre la main à la poche
(1 million), les professionnels marocains et internationaux basés à Marrakech (1,8 million) et les institutionnels (1 million) qui ont également des intérêts dans la ville de Marrakech.
Marrakech est surtout fréquentée par les touristes français. Est-ce que vous comptez mener des actions pour diversifier la clientèle ?
La question est excellente. Dans la stratégie de marketing de destination, il faut surtout ne pas s'endormir sur la croissance du marché français. Parce que si un jour, j'espère que ça n'arrivera pas, le marché français rencontre un problème avec la destination Marrakech, on risque de souffrir énormément. Donc, l'objectif de nos actions à moyen terme, c'est de travailler sur les marchés à contre performance. Autrement dit, tous les marchés en dehors de la France situés en Europe du Sud ou du Nord qui viendraient améliorer le mix nationalité qui visite Marrakech. C'est une nécessité économique aujourd'hui de réduire les risques. La deuxième chose, c'est que le marché français offre toujours de la croissance, c'est un marché extraordinaire. Mais si l'on veut atteindre notre quote-part dans les 10 millions de touristes, il faudrait que les marchés italien, espagnol, anglais et suisse, notamment, puissent contribuer beaucoup plus massivement dans le flux des arrivées sur Marrakech.


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