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Eric Reinhardt au salon du livre de Casablanca : Cendrillon, c'est lui
Publié dans La Gazette du Maroc le 07 - 03 - 2008

Dans un roman drôle, cruel et intelligent, il se raconte à travers quatre personnages : l'auteur et ses trois avatars que n'a sauvés aucun Prince charmant prénommé Margot. Et nous livre ses réflexions sur un monde qu'il juge brutal et vulgaire, mais aussi des pistes pour en guérir : les rousses aux pieds cambrés, la danse, les jardins du Palais-Royal, Brigadoon ou encore la tentation de Gênes.
La Gazette du Maroc : Quelle est l'idée directrice de votre livre ?
Eric Reinhardt : Avant de commencer Cendrillon, j'avais deux désirs antagonistes. D'une part, celui d'écrire un livre personnel, très intime. J'avais besoin, à 40 ans, d'un livre qui récapitule les livres que j'ai écrits et qui me récapitule, moi. Je voulais faire un autoportrait pour dire les choses qui sont importantes pour moi depuis toujours : l'automne, l'importance du présent et de la sensation, la danse… J'avais envie d'y mettre des choses n'ayant que peu de rapports les unes avec les autres mais qui constituent, rassemblées, ce que je suis. D'autre part, j'avais envie de rendre compte du monde dans lequel on vit. J'ai hésité, pendant des mois, sur la forme à donner à ce livre. J'ai eu le flash au Maroc, à Fès, et je pense que l'idée forte du livre est là. Il y a quatre personnages : moi, avec mon nom, et trois personnages qui sont – on le découvre peu à peu – ce que j'aurais pu devenir si un certain nombre d'événements qui m'ont été plutôt favorables ne s'étaient produits. Donc, ce sont des hypothèses.
C'est une déclaration d'amour, aussi.
Oui. L'événement majeur, c'est la rencontre avec celle que j'appelle Margot dans le livre. Je ne serais sans doute pas ce que je suis devenu si je ne l'avais pas rencontrée. C'est elle qui m'a donné la force de vivre la vie que je voulais vivre et d'y croire. J'étais assez complexé et j'avais très peur.
Vous avez eu une adolescence difficile, si l'on en croit votre livre…
Mon père était dans l'échec et il en souffrait. Je suis donc entré dans l'âge adulte avec la peur du monde extérieur puisque je l'avais vécu, enfant et adolescent, comme quelque chose d'hostile, menaçant et qui fait souffrir. Ma femme m'a rassuré, d'une certaine manière. Le simple fait qu'elle m'ait choisi m'a donné plus confiance. Et puis, elle m'a accompagné. En même temps, mon livre est un hymne à la vie sensible, au rêve, à l'enchantement, à la grâce, à la liberté… Et puis, l'existence de mes avatars me permet de parler du monde : du capitalisme financier, de l'obscénité de la télévision, de la peopolisation, de la peur de la précarité, de la révolte, de la soumission, de l'asservissement, de l'entreprise… de toutes ces choses difficiles auxquelles on est confronté. Enfin, ces avatars me permettent de compléter mon autoportrait : on est ce qu'on est, mais aussi ce qu'on serait dans d'autres circonstances. Le fait de me mettre en scène en trader me permet de parler de moi presque mieux qu'en me mettant moi-même en scène.
Ce n'est pas difficile de se déshabiller à ce point ?
Ce sont la mise en danger, l'exposition et la prise de risques qui me donnent envie d'aller dans mon bureau le matin pour écrire. Je ne pourrais pas écrire un livre d'aventures. La mise en danger est une nécessité profonde. Dans l'écriture de ce livre, il y a eu des moments d'exaltation et d'autres d'angoisse atroce. J'ai failli, à deux reprises, tout arrêter parce que ça me paraissait trop lourd : c'est déjà très compliqué d'écrire un roman, et là, j'en écrivais quatre ! J'avais tous les thèmes dans ma tête et il fallait que je trouve une façon de les articuler : Preljocaj et Médée, Margot et Médée, Brigadoon et Le Trou, l'enchantement, la Reine… Je ne savais pas dans quel ordre le faire.
A quel personnage attribuer ces thèmes ?
C'est ça. Après ces périodes de doute, ça repartait, je ne sais pas pourquoi. Et puis, la dernière phase d'écriture du livre, qui a duré de septembre 2006 à fin mars 2007, a été très intense. Ma femme est tombée malade : elle a eu un cancer à évolution rapide. Et comme ce livre est aussi un livre d'amour, ça a coïncidé. Quand elle m'a appelé pour me dire qu'elle était malade, j'étais précisément en train d'écrire sur elle. Et j'ai continué à l'écrire dans un état… voilà. C'était effrayant parce que j'avais l'impression d'écrire un éloge posthume. Elle m'a demandé de finir le livre en me disant que c'était très important pour elle. On s'est battus tous les deux dans un truc très fort, très fusionnel, où elle luttait contre le cancer et moi, j'étais dans mon livre. Elle a arrêté de travailler, donc elle était à la maison, et mon bureau est juste au-dessus de l'appartement. On a vécu en autarcie pendant plusieurs mois. Elle m'a aidé à écrire, moi je l'ai aidée à guérir et on a fait ça ensemble.
Ce livre est aussi une critique sociale très forte. Politiquement, vous vouliez dire quoi ?
J'incite les gens à ne pas accepter la servitude qu'on tente de leur imposer de multiples façons. A se retrouver soi, à reprendre le pouvoir sur leur vie et sur leur vie intérieure et à se soustraire le plus possible à l'avilissement. Ceci à travers la vie poétique et sensible : éprouver le plus de choses possible, en essayant de trouver la magie, et se vivre le plus possible comme singulier. C'est comme ça que j'essaie de vivre. C'est vrai que notre société, la télévision essaient de tout tirer vers la laideur. J'ai l'impression que tout est fait par le marketing pour qu'on pense tous la même chose, pour qu'on ait envie des mêmes choses, qu'on lise tous les mêmes livres, qu'on voie les mêmes films, qu'on parte tous au même endroit en vacances. Et puis je pense que la société française est complètement cimentée.
L'ascenseur social ne fonctionne plus ?
C'est ça. Et je pense que tout ce qu'on prétend, que « n'importe qui peut y arriver », est faux. Il y a un déterminisme social qui est extrêmement puissant, la ségrégation sociale existe toujours. Moi j'en ai souffert. Venant des classes moyennes, ayant été élevé dans un lotissement de banlieue, on m'a fait sentir souvent, quand je suis arrivé à Paris dans le milieu littéraire, que je ne faisais pas partie de leur monde. Donc, il faut se battre davantage pour faire sa place et être reconnu quand on vient d'un milieu défavorisé. Et on n'est pas accueilli à bras ouvert. Je voulais dire ça aussi. J'ai grandi à Clichy-sous-Bois, alors je sais de quoi je parle.
Qu'avez-vous pensé des émeutes qui se sont déroulées là-bas ?
A l'époque où j'y ai grandi, ce n'était pas du tout la même chose qu'aujourd'hui. Il y avait la laideur, la tristesse de la banlieue.
Mais la différence c'est que les classes moyennes étaient mélangées aux classes ouvrières et à l'immigration. Dans l'immeuble où j'habitais vivaient des dentistes, des kinésithérapeutes, des généralistes… Alors qu'aujourd'hui, toutes les classes moyennes sont parties, comme l'ont fait mes parents. Il ne reste plus que les pauvres et les immigrés. Je crois que c'est beaucoup, beaucoup plus dur aujourd'hui. Mes enfants, je les élève à Paris, dans un cadre merveilleux. Donc, je ne peux pas parler des émeutes, parce que ce n'est pas la réalité que j'ai connue.
Les critiques de Cendrillon sont très bonnes. Et vous, vous en êtes content ?
C'est le livre que j'ai toujours rêvé d'écrire.


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