Les conclusions du dernier rapport de la CNUCED «Examen de la politique de l'investissement au Maroc» sont mitigées. Il salue les résultats obtenus, mais pointe les insuffisances : corruption et justice. Le Maroc attire des flux d'Investissements étrangers directs (IED) importants. Ces flux constituent «un phénomène relativement nouveau qui a pris de l'importance au début des années 90». Selon le rapport, il est indéniable que le programme des privatisations a été le catalyseur de ce phénomène. Néanmoins, il serait inexact de penser que les flux d'investissements au Maroc sont entièrement dûs au processus de privatisation. «D'importantes entreprises étrangères ont investi au Maroc et ont réalisé des transferts de Technologies et de connaissances en dehors de toute opération de privatisation», soulignent les experts. Mais cette confiance des investisseurs est tempérée dès que l'on examine un critère objectif, celui du réinvestissement des revenus d'un premier investissement, il est très faible. Ce qui fait dire au rapport «cette attitude de la part d'investisseurs qui sont déjà installés dans le pays pourrait être révélatrice de l'existence d'obstacles à l'investissement et de l'absence d'une réelle stratégie de suivi des investissements». Les performances sont pourtant notables. Le stock en IED par habitant a quadruplé entre 1995 et 2005 classant le Maroc en 4ème position sur le Continent derrière l'Afrique du sud, l'Egypte et le Nigéria qui ont connu des investissements lourds dans le secteur pétrolier. Ces performances sont insuffisantes pour «supporter la croissance et la diversification de l'Economie». Les Télécoms en vedette Les secteurs qui ont le plus profité des flux IED sont dans l'ordre les télécoms avec 44 %, l'industrie 27 %, l'immobilier 9 % et enfin le tourisme avec 5,5 %. En fait, les télécoms sont en vedette grâce à la privatisation de Maroc Telecom. D'ailleurs, le secteur de l'énergie et des mines qui apparaissait comme fort attractif pour les IED au temps des privatisations ne représentait plus qu'un faible pourcentage de 1,8 % et la tendance est à la baisse de sa part dans les IED. Cette volatilité par rapport au processus de privatisations inquiétait les rédacteurs du rapport. Il y a une très forte réserve à apporter. Les experts ont limité leur étude aux statistiques à fin 2005. L'on sait que ces deux dernières années, des investissements très importants ont eu lieu dans l'immobilier avec les Emiratis, l'automobile avec Renault Tanger et le secteur touristique. La corrélation-privatisation-stock IED s'affaiblit donc sans que le flux soit réellement en diminution. Cette réserve n'affaiblit pas les autres conclusions du rapport. En particulier, les effets des IED sur l'emploi, le transfert de technologies et le savoir faire. La part du flux d'investissements étrangers directs dans la formation brute de capital fixe est fluctuante, elle se situait à 8,6 % en 2004 et à 22,1 % en 2005. En moyenne le Maroc est dans une position simillaire aux autres pays Méditerranéens sur la durée. L'impact sur l'emploi est avéré, la stabilisation, puis la décrue du taux de chômage en 2006 doit beaucoup à ce flux de capitaux étrangers. Le rapport note d'ailleurs une curiosité Marocaine : le secteur des textiles. «Contrairement à la tendance internationale qui prévaut aujourd'hui en Afrique, le textile figure parmi les plus importants employeurs du Maroc». Le rapport note l'intérêt des sociétés leaders dans le domaine pour l'investissement au Maroc. Ce gisement d'emplois a donc atténué les effets de la suppression des quotas. Le rapport conclut sur ce chapitre : «Malgré la difficulté d'en quantifier l'impact, des résultats probants sont enregistrés en terme de créations d'emplois, le transfert de technologie et de savoir et de formation de main d'œuvre. Les progrès accomplis pour essayer d'assainir l'environnement de l'investissement se sont révélés essentiels mais non suffisants pour permettre au Maroc de pérenniser et diversifier les flux d'IED». Les bons et les mauvais points La Charte de l'investissement, présentée en son temps comme la panacée en prend pour son grade. «L'effet bénéfique des nouvelles mesures relatives au droit des affaires en général et à l'investissement en particulier est entravé par un corpus juridique épais et complexe, entraînant un sentiment d'insécurité et d'instabilité juridiques». On pensait que la Charte de l'investissement était prévue pour pallier à cela. Pas aux yeux des rédacteurs : «La charte a apporté une unification et harmonisation de la législation en remplaçant les codes sectoriels. L'unification n'est qu'apparente car les dispositions législatives intéressant les IED sont toujours dispersées». On peut lire aussi : «Force est de constater que les améliorations apportées par la charte se sont estompées avec le temps. Un délai de dix ans était mis en place pour encadrer la mise en œuvre des dispositions de la charte. Au bout de ces dix années, la charte n'a pas été mise en œuvre dans sa totalité. Ceci est de nature à faire douter de la crédibilité des engagements prévus. Il n'était pas nécessaire de s'enfermer dans des délais impératifs dont le respect est source de difficultés». Plus important, le rapport pointe du doigt le caractère «bicéphale» de la Charte qui réunit à la fois des dispositions de droit commun et d'autres à caractère dérogatoires. Source aux yeux des rédacteurs «d'ambiguïté». De manière générale, le dispositif régissant les IED est jugé sévèrement, il constituerait, ni plus ni moins, qu'«un obstacle à l'investissement». Le rapport préconise «la création d'un code unique en mesure de mettre fin à l'éparpillement de textes et au manque de transparence». Fiscalité excessive Le système fiscal est bien évidemment attaqué lui aussi, cependant pas pour les mêmes raisons que celles invoquées par le patronat marocain, il est jugé «très compliqué». Au passage, le rapport signale que les exonérations ne jouent qu'un rôle marginal dans les décisions des investisseurs. Les patrons trouvent la charge fiscale trop forte, le rapport, lui, note : «en réalité, ce qui semble certain c'est la segmentation forte et inégalitaire de la population fiscale caractérisée par l'existence d'une économie informelle non soumise à la fiscalité, une économie exportatrice encouragée fiscalement, une économie non exportatrice pénalisée qui subit la pression du secteur informel». Par rapport aux taux d'imposition, le rapport cite le cas de l'Egypte et de la Slovaquie qui ont amélioré leur attractivité par une baisse très significative de la charge fiscale. L'IS en Egypte est à 20 % pour tout le monde. Le rapport note aussi au passage que le poids de l'impôt «pèse surtout sur les catégories moyennes, ce qui ne favorise pas l'extension de la classe moyenne qui constitue le pilier de la consommation, de la croissance et du développement des IED». L'autre aspect épinglé concerne les relations de travail. Le code du travail est jugé satisfaisant sauf sur deux points?: l'ambiguïté concernant le licenciement pour faute grave, qui laisse un trop grand pouvoir au juge et le flou artistique concernant la grève. Celle-ci est souvent utilisée de manière abusive, alors que les décisions de justice sont quasi invariablement du côté du salarié. Le recrutement des étrangers qui connaît des restrictions «entraînant des subterfuges et des détournements de la loi», pose problème pour certains investissements. Le plus inquiétant pourtant, c'est la difficulté à l'embauche, la rigidité où le Maroc est le dernier de la classe. La justice dans son ensemble constitue le point noir. Les Tribunaux de commerce d'abord. «Outre de nombreuses insuffisances constatées par les pouvoirs publics et objets d'un important processus de réformes, les magistrats des tribunaux de commerce connaissent des lacunes en droit commercial». C'est clair et net ...! Le reste est encore plus critique : «les autorités marocaines sont pleinement conscientes des insuffisances du système judiciaire… La justice est très souvent lente, incertaine (difficultés à obtenir l'exécution des jugements) peu prévisible (corruption) ou insuffisamment transparente». La charge est aggravée en soulignant «le manque de formation des magistrats et des auxiliaires de justice». D'ailleurs, dans la partie «recommandations» c'est par le développement de la formation que commencent les experts commis. Ils préconisent en outre la spécialisation des magistrats et surtout le règlement définitif de la question linguistique qu'ils voient comme «un renseignement juridique à deux vitesses», laissant supposer plus de compétences du côté des francophones. La douane Exemple d'une réforme réussie Une fois n'est pas coutume, les experts de la CNUCED ont tressé des louanges inattendues aux douanes marocaines. Ainsi, on apprend que tout au long de ces dernières années, les douanes marocaines ont conçu et mis en place progressivement un certain nombre de réformes, lesquelles ont clairement permis à l'administration douanière de devenir moderne, efficace, mais surtout adaptée à son environnement économique. Les opérateurs du commerce extérieur considérèrent aujourd'hui que cette administration est devenue crédible, appliquée et ouverte. Le changement dans le fonctionnement de la douane est d'ampleur puisque les professionnels du commerce extérieur, lesquels étaient plus souvent enclins à la critique, témoignent aujourd'hui d'une adhésion et approbation forte et unanime. Les grands objectifs que la douane s'était fixés ont pratiquement tous été atteints. La réduction des délais de dédouanement a été tellement substantielle que les mesures de facilitation comme le dédouanement à domicile n'ont pas rencontré le succès immédiat espéré. Les procédures douanières ont été facilitées. Grâce à une déclaration simplifiée qui a remplacé la grande quantité de formulaires exigés précédemment. L'informatisation des procédures de routine a été achevée à la fin de l'année 2000. La gestion des régimes douaniers spéciaux a été améliorée. La mise en place des grandes procédures indispensables à la facilitation du commerce est maintenant achevée. Les conditions de passage en douane sont devenues claires, transparentes et prévisibles. A cette occasion, la douane a démontré que la libéralisation du commerce international ne doit pas mener à une réduction des recettes fiscales. Cependant, ces réformes doivent impérativement être accompagnées par un renforcement des capacités de mobilisation de la fiscalité interne. Quand la contrebande tue Le cas Goodyear La Cnuced s'est intéressée au secteur informel avec un zoom sur le secteur des pneumatiques. A partir de ce constat, se dégagent trois types de produits qui sont concernés par la contrebande : • les pneumatiques neufs; activité en forte croissance, notamment dans le domaine des pneus pour poids lourds. • les pneumatiques rechapés : fabriqués en Espagne, ces pneumatiques représentent une portion non négligeable de la contrebande via les enclaves espagnoles. • les pneumatiques usagés : le plus gros flux. Classés « hors service» dans les pays où ils sont démontés et d'où ils sont exportés, leur prix fait leur intérêt. • les prix de vente : contournement de droits de douanes élevés 45%, de la TVA 20% et le niveau de qualité médiocre des produits de contrebande explique des écarts de prix spectaculaires. Les conséquences : • Un impact immédiat sur l'emploi : arrêt de Général Tire en 2001 (700 salariés) et réduction d'effectifs chez Goodyear Maroc. Un impact fiscal pour le Maroc : droits de douanes, TVA et impôt sur les société non perçus. Un impact sur la sécurité routière : les pneus d'occasion en mauvais état tuent tous les mois au Maroc. • Un impact sur l'environnement : le Maroc accepte, de fait, d'être «la décharge» de l'Europe. En vue de lutter contre la contrebande qui handicape considérablement son activité, Goodyear Maroc préconise les actions suivantes : • Donner les moyens à l'Administration des douanes de détruire les pneumatiques de contrebande saisis pour lui permettre de dégager de l'espèce dans ses entrepôts et réaliser ainsi de nouvelles saisies ; • Etablir des normes obligatoires en matière d'état du véhicule en général et du pneumatique en particulier et donner les moyens aux services concernés d'effectuer des contrôles sur les produits entrant au Maroc (investissement en équipements de contrôle) ; • Rétablir un contrôle technique effectif; • Assigner aux forces de l'ordre une mission de contrôle sur l'état du véhicule après mise en place des réglementations, notamment par le biais de contraventions; Enfin, exiger des standards professionnels qui assainissent le secteur de la réparation automobile. Le retour des migrants Le Maroc a apporté sa contribution la plus importante à la R&D dans le monde grâce à ses chercheurs qui ont émigré. Les enseignements de pays émergents tels que la Chine, l'Inde et le Brésil montrent les bénéfices qu'un pays peut tirer de sa capacité à attirer les immigrants qualifiés et expérimentés de pays avancé. Le réseau actuel des immigrants marocains en Europe constitue une source potentiellement importante de contacts commerciaux, de relais financiers, etc. pour les sociétés nationales. Le Maroc a mis en place une initiative politique spéciale, le programme FINCOME (Forum International des Compétences des Marocains résidents à l'étranger) pour faire appel à la diaspora. Néanmoins, à l'instar d'autres pays de la région MENA, le Maroc ne dispose pas en ce moment d'une politique cohérente et générale lui permettent de tirer avantage de sa diaspora dans les pays plus avancés. Le retour des migrants peut également servir de message et de mesure d'incitation en vue d'attirer les IED. Le Maroc, par rapport à ses pays voisins, dispose de moyens raisonnables lui permettent de faire revenir la main-d'œuvre qualifiée. De manière plus générale, les enseignements des autres pays montrent que les mesures financières d'incitation visant à attirer les étrangers qualifiés, à retenir la main-d'œuvre nationale qualifiée et à faire revenir les migrants qualifiés doivent s'inscrire dans le cadre d'une stratégie concertée en matière de migrations, de ressources humains, d'IED et d'innovation. Les systèmes d'innovation peuvent tirer de nombreux avantages du retour de la main-d'œuvre nationale qualifiée, mais ces migrations sont aussi tributaires des perspectives au sein du pays.