Ce n'est pas encore la fin de l'histoire prônée par Fukuyama ou l'horreur économique de Viviane Forester mais bel et bien l'échec constaté dans les puissances économiques de la triade occidentale (USA, Europe, Japon) du manager providentiel. Deux grands professeurs universitaires américains, Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton pourfendent les «survivants coriaces» de l'espèce des «surpuissants» aux croyances incontestables qu'ils traduisent en «foutaises». Robert Sutton, avait déjà fait un tabac sur le marché de la littérature managériale avec sa théorie sur les «sales cons» dans l'entreprise qui s'acharnent à faire le «vide» autour d'eux par leur attitude foncièrement négative dans leurs rapports humains et leur valeur ajoutée dans le travail d'équipe. Cette fois-ci en duo avec son collègue de l'université de Stanford, Jeffrey Pfeffer, ils démolissent carrément tous ceux des dirigeants qui versent systématiquement dans le culte de la personnalité pour continuer à briller seuls au-dessus de la mêlée. En effet, les co-auteurs du livre «Faits et foutaises dans le management», paru aux éditions Vuibert, est une sévère mise en garde contre les dérapages nombrilistes et les penchants narcissiques des dirigeants qui se croient encore les «meilleurs stratèges, leaders et artisans du changement». C'est un peu ce que les experts du coaching moderne osent qualifier de «dirigeants qui se prennent trop au sérieux», pour ne pas citer Patrick Barreau de Maroc Devenir. Le management par la preuve Selon nos auteurs, tout dirigeant d'entreprise digne de ce nom doit montrer ses aptitudes à changer en appliquant le feed-back à 360 degrés et ses capacités à diriger par l'efficacité collective et la valeur ajoutée d'équipe. Autrement dit, il doit faire étalage de son potentiel à administrer le «management par la preuve» qui doit obéir aux dix règles d'or prononcées par Pfeffer et Sutton. En premier, le manager doit considérer son entreprise comme un prototype constamment perfectible «qu'il est toujours possible d'améliorer sans cesse. Ensuite, il se doit de faire preuve d'objectivité et de pragmatisme en se disciplinant à «observer les faits, rien que les faits». Hélas, sur ce point, combien de décisions ont été prises sans se fonder sur les faits mais uniquement sur des rapports hiérarchiques écrits ou verbaux qui, à n'en point douter, ont jalonné des «massacres» de carrières rangées et de règlements de comptes à n'en plus finir. Ce qui nous conduit à la troisième règle édictant que tout manager qui se respecte se doit de privilégier l'art du bon sens et de la preuve et de couper court aux rumeurs et aux comptes-rendus orientés. Ce qui permet d'ouvrir une fenêtre, au besoin, sur des compétences externes en faisant appel à des conseillers ou consultants. Dans tous les cas de figure, manager par la preuve devra se traduire par une rupture radicale avec «l'autoroute de la pensée» si chère au psychanalyste Freud en prenant conscience que «les certitudes absolues sont destructrices». Et qu'il faudra s'astreindre, pour enchaîner sur la règle suivante, à décliner le «management factuel» à tous les paliers de la pyramide de l'organisation en impliquant tous les niveaux hiérarchiques et, surtout, ajoutent les auteurs américains, il faudra s'attacher à bien «le vendre en interne». C'est primordial pour stopper la diffusion des mauvaises pratiques de commandement en cas d'échec, ce dernier devant servir comme «révélateur» des faiblesses à redresser et des erreurs à ne plus répéter. Il reste que toutes ces règles énoncées ne sauraient voir le jour, si le principe basique préalable nourrissant la nouvelle culture d'entreprise n'est pas établi : «Ne pas tout miser sur un homme providentiel». En fait, et les théories les plus récentes en matière de management participatif et de qualité totale insistent, dans les préalables à toute action organisationnelle ou fonctionnelle, sur l'exemplarité des dirigeants d'entreprise partant de l'axiome que «Rien ne vaut la force de l'exemple». Le Maroc sur la même longueur d'onde Au chapitre de la stratégie, les auteurs épinglent la crainte des managers qui sont obnubilés par un conformisme de pensée qui leur fait prendre les «décisions qui reposent fréquemment sur l'espoir ou la peur, sur ce que les autres font, sur les idéologies chères aux dirigeants, sur ce qu'ils ont déjà fait ou sur ce qu'ils croient avoir été efficace dans le passé… Bref, sur autre chose que les faits avérés». Pfeffer et Sutton sont rejoints par un grand nombre de PDG soucieux de faire mieux que leurs concurrents en expliquant que «toute stratégie doit se libérer de la conformité de pensée et se doit de jouer sur le terrain de la différenciation». S'agissant du changement, la seule alternative possible, consiste à «Changer ou mourir», ce que le gourou du management Peter Drucker présentait dans les challenges de l'avenir du management comme un implacable dilemme : «Changer ou disparaître». Au chapitre du leadership, nos spécialistes mettent en garde contre le mythe du «manager providentiel» tandis que les dirigeants des plus grandes entreprises conviennent de plus en plus que «le dirigeant surpuissant est une vision passéiste». Leadership ou autorité ? Là encore, les avis sont partagés par les observateurs et praticiens selon leurs résultats ou expériences tentées. Il reste que la perception des chefs par leurs collaborateurs, diffère selon le temps et l'espace. Si les salariés français sont d'avis à considérer comme une qualité ceux de leurs managers qui font preuve de «peu d'autorité», en revanche, la donne change aux Etats-Unis et au Maroc, selon le témoignage des études des cabinets BPI et BVA, spécialisés en conseils en GRH à travers une enquête auprès de 5500 salariés dans une dizaine de pays, qui soulignent que «Les pays dont les supérieurs hiérarchiques sont jugés les plus autoritaires, sont aussi ceux où leurs subordonnés les trouvent les plus sympathiques. Ce qui est le cas aux Etats-Unis et au Maroc».