En 1992 Francis Fukuyama avait publié son traité prophétique sur la fin de l'histoire où il prétendait que la fin de la guerre froide marqua la faillite des idéologies et consacra la victoire de la démocratie occidentale et de l'économie de marché ou (market democracy) sur les autres modèles politiques et idéologiques. Et Fukuyama de conclure que ce référentiel de valeurs s'installera pour durer comme étant le seul mode de gouvernement des hommes et du «business doing». Or il s'avère que l'histoire ne s'est non seulement pas arrêtée de tourner, mais qu'elle continue à le faire en plus rapide et au détriment d'un Occident en panne, de plus en plus désemparé, montrant ainsi l'inanité des prémisses de Fukuyama. En effet et loin des prédictions -aventureuses s'il en est- de leur ascendance prêchée il y a deux décennies, les valeurs occidentales sont aujourd'hui soit menacées soit purement et simplement battues en brèche dans plusieurs pays. Et pour causes, la montée en puissance de la Chine ; le scepticisme grandissant vis-à-vis du libre marché accentué par la dernière crise financière qui perdure et enfin, un penchant si ce n'est la ferme volonté de millions de personnes de par le monde à troquer, à sacrifier leurs droits et libertés individuels sur l'autel du manger à sa faim et du boire à sa soif. Surtout, qu'aujourd'hui, le citoyen Occidental moyen (the man of the street ) assiste désabusé que ses droits et ses libertés sont en train de s'éroder tout autant que son pouvoir d'achat et son standing. Une perte double et pour causes, d'un côté les répercussions de la crise qui touchent de plein fouet les plus démunis et de l'autre, des Etats occidentaux qui, de plus en plus, empiètent subtilement mais pernicieusement sur les libertés individuelles de leurs populations. Nous n'en voudrons pour preuve que le dispositif du «War on terror» ou le «Patriot act» aux USA -porte-étendard du monde libre-, en vertu duquel la surveillance policière s'est raffermie, le pouvoir légal de détention et de garde à vue élargi et les jugements de justice sur bases présomptives multipliés. C'est ce recul des valeurs de liberté conjugué à une paupérisation des masses de plus en plus prononcée qui résume le dilemme de l'Occident aujourd'hui. Son modèle de développement -le capitalisme libéral- ne parvient plus ni à préserver les valeurs de liberté historiquement chèrement acquises, ni à maintenir la croissance économique. En revanche la «success story» économique de la Chine apporte la preuve que la croissance durable peut être le fait de l'Etat-Entrepreneur ou plus précisément du capitalisme monopoliste d'Etat. Ce modèle de développement peut servir de valeur d'exemple aux pays en développement. D'autant que le «Beijing Consensus» (1) proposé par la Chine populaire notamment aux pays d'Afrique offre une alternative de développement bien meilleure que le «Washington Consensus» (2). Preuve en est que la Chine accorde, dans le cadre de l'aide au développement des prêts à long terme aux pays qui demandent de l'aide, y entreprend des investissements dans l'infrastructure sans arrogance ni immixtion dans leurs affaires intérieures, contrairement au «Washington consensus» qui subordonne son aide, aux pays en difficulté, au libre-échange, à la démocratisation, ainsi qu'à la défense des droits de l'Homme, entre autres. En termes de comparatifs qualitatifs, la Chine est de loin meilleure en terme de délais pour signer les contrats de prêts et débloquer les fonds ; de loin plus compétitive pour facturer le service de la dette aux emprunteurs. Il est évident qu'aujourd'hui les valeurs qui constituent le noyau dur du capitalisme occidental, la sacralité du marché et le credo de la démocratie, ne sont plus perçus comme étant des certitudes inamovibles que dans l'esprit des Occidentaux. Il est à craindre que le capitalisme monopoliste d'Etat ne représente à l'avenir une menace sérieuse au capitalisme occidental, dès lors que le premier est principalement mu par des raisons de gain politique de l'Etat et de son leadership, alors que le deuxième est motivé par la maximisation du profit des firmes transnationales. La recette chinoise consiste à exploiter au maximum les dispositions de l'OMC pour ce qui est du commerce extérieur, tout en optant pour la frugalité en terme de niveau de vie et de consommation domestique. Et c'est l'alchimie que tentent vainement les Occidentaux aujourd'hui. A bon entendeur… (1) Le Consensus de Pékin (Beijing Consensus) est une idée émise par Joshua Cooper Ramo en 2004. Il est fondé sur deux principes fondamentaux sous-tendant l'aide au développement à savoir la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, l'amitié des peuples et le respect mutuel. (2) Washington Consensus : un ensemble de mesures en faveur des pays en difficulté mis en place par les institutions financières internationales siégeant à Washington, en l'occurrence la Banque Mondiale et le FMI et soutenues par la Fed. Le dispositif a été théorisé en 1989 par l'économiste John Williamson de l'école de Chicago sous forme de dix propositions. Il est synonyme d'un pacte de néolibéralisme et de Globalization qui ont conduit à la misère des populations et aux crises financières.