Stan O'Neal, le patron de Merrill Lynch, est la plus grande victime de la crise des crédits hypothécaires. Mais ce n'est sûrement qu'un début. En juillet, Merrill Lynch a annoncé un bénéfice net semestriel record de 2,1 milliards de dollars, poussant Stan O'Neal, son président-directeur général, à se vanter de «l'importance des revenus des franchises». Trois mois plus tard, une spectaculaire dépréciation des actifs liés aux titres hypothécaires ont causé au mastodonte de Wall Street une perte de 2,3 milliards de dirhams. Du coup les actions de Merrill Lynch ont piqué du nez, la notation de ses actifs a baissé et un conseil d'administration très mécontent s'est réuni pour élaborer une stratégie face à la crise. Mardi 30 octobre, la décision qui semblait inévitable depuis quelques jours est tombée: O'Neal a pris la porte de l'entreprise qu'il dirigeait depuis 2002, même si sa révocation est camouflée en démission. Il a le triste honneur d'être le premier patron de Wall Street contraint à l'abandon à cause des pertes découlant de la crise des crédits. C'est le premier, mais probablement pas le dernier. O'Neal a eu la malchance de présider Merrill Lynch dans une période de folle ruée vers des affaires qui causent actuellement des dégâts sans fin. Les problèmes de l'entreprise ont pour origine d'une part les CDO (Collaterized-debt obligations) qui sont des actifs sous-jacents représentatifs de portefeuilles de créances bancaires ou d'instruments financiers de nature diverse, et d'autre part, les portefeuilles de créances titrisés en plusieurs «tranches» et liés au crédit hypothécaire à taux variables, les fameux subprimes, ou à d'autres actifs. Considérés comme sans risque, il y a quelques mois seulement, ces actifs sont secoués à mesure que les crédits immobiliers se font irrécouvrables. Sous la présidence d'O'Neal, Merrill a surpassé ses concurrents en devenant le premier initiateur des CDO, une position renforcée par l'acquisition d'établissements de crédit immobilier tel que First Franklin. Mais nul n'a pensé aux difficultés auxquelles feraient face Merrill Lynch si la tendance s'inversait. Jusqu'au milieu de la semaine dernière, il semblait qu'O'Neal se cramponnerait à son poste. Une fois les pertes annoncées, il a licencié quelques cadres supérieurs et fait courir la rumeur d'imminents changements. Mais, il a sans doute précipité sa chute en se rapprochant de Wachovia, une banque commerciale, sans s'en référer d'abord à son conseil d'administration. Cela a exaspéré certains administrateurs, ne serait-ce que parce que, une fois révélé, il s'est montré que Merrill a participé au bradage de l'entreprise. La rumeur a alors fait état du départ d'O'Neal et le cours de l'action a bondi de 8%, même si par rapport au début de l'année, il est en baisse de 30%. Pertes obligataires Le conseil d'administration n'a pas encore annoncé de successeur, et déclare qu'il envisage aussi bien un recrutement en interne qu'à l'extérieur. Alberto Cribiore, un des administrateurs, servira de président intérimaire et dirigera le comité de recherche. L'un des sérieux prétendants, serait, à condition qu'il veuille du poste, Laurence Fink, patron de BlackRock, grande entreprise de gestion d'actifs dans lequel Merrill a pris une participation importante l'année dernière et qui constitue l'une des meilleures acquisitions d'O'Neal. Au sein de Merrill, le peloton de tête est dirigé par Greg Fleming, responsable de la banque d'affaires, et Bob McCann, qui supervise une armada de 16.000 courtiers. Les courtiers n'apprécient guère M. Fleming. Il a participé au rapprochement de Wachovia, qui, s'il aboutissait, conduirait à d'importantes suppressions d'emplois parmi eux. Qui il puisse être, devrait faire face à des défis. Le contrôle des risques de Merrill a laissé à désirer. Ce n'est que tardivement, qu'a été nommé un responsable de la gestion des risques et ce n'est pas suffisant. Il y aura des difficultés à résoudre les problèmes par une fusion. Les éventuels prétendants craindront des squelettes dans le placard. Le nouveau patron aura également à décider s'il faut revenir sur les produits à taux et si oui de combien. Une trop forte réduction, pourrait signifier que Merrill devrait se reconstruire à partir d'un niveau très bas, quand les marchés commenceront à renouer avec la stabilité. La sortie d'O'Neal laisse penser à un nouveau niveau de responsabilité dans les grandes banques. Jusqu'à présent, ce sont les responsables de départements à taux, et non leurs dirigeants, qui ont endossé la responsabilité des pertes obligataires. La seule exception était Peter Wuffli, révoqué de son poste de patron d'UBS, une banque suisse, après que l'un de ses fonds de couverture ait subi des pertes importantes. A présent qu'il existe un précédent, il sera plus difficile pour les autres patrons aux abois, comme Chuck Prince de Citigroup et James Cayne de Bear Stearns, de fuire leurs responsabilités s'il y a d'autres dérapages. Néanmoins, d'aucuns peuvent avoir l'impression que le conseil d'administration de Merrill est allé trop vite en besogne. Après tout, O'Neal avait droit à beaucoup d'égard. Après sa nomination, il a fait baisser les charges et investit dans des entreprises prometteuses. Merrill en a récolté les fruits et s'est étendu vers des secteurs à forte croissance, tels que les produits de base (qui, à la différence des hypothèques, restent sûrs). Il est également devenu moins dépendante des Etats-Unis. Une grande partie de l'entreprise, y compris son gigantesque pôle de la gestion de patrimoine, se porte toujours très bien. Mais O'Neal a également succombé à des vices coûteux. Il était peu disposé à partager le pouvoir, craignant d'embaucher des collaborateurs trop ambitieux. En outre, son manque d'expérience du marché financier signifiait qu'il n'était pas idéalement placé pour diriger Merrill dans un contexte d'expansion et de récession des crédits, dans lequel une compréhension des produits financiers complexes est un énorme avantage. Son successeur devra avoir plus d'emprise sur les pôles de Merrill Lynch qui échappait à son contrôle, tout en évitant des pertes plus importantes. Les analystes pensent qu'elles pourront atteindre 4 autres milliards de dollars ou plus en provisions pour le quatrième trimestre. Merrill ne sera pas le seul à en faire les frais. Les provisions constatées par les entreprises cotées à Wall Street, qui ont déjà atteint plus de 25 milliards de dollars, devraient augmenter. Les agences de notation continuent de faire baisser la note des titres hypothécaires liés. Certains papiers fortement notés font face à la baisse des actifs sous-jacents. Les Grandes banques européennes en ressentent les effets également. Cette semaine, UBS a affiché une perte plus importante que prévue au troisième trimestre, de 830 millions de francs suisses contre 712 millions initialement et a averti que sa banque d'affaires devrait annoncer des nouvelles pires. Les dégâts sont loin de s'arrêter, et maintenant les dirigeants au plus haut niveau sont menacés.