La visite d'Etat de Nicolas Sarkozy vient sceller une alliance qui a résisté à tous les clashs, tous les soubresauts et à toutes les alternances d'ici et de là-bas. Inventée pour sortir la France du «bourbier marocain» par Edgar Faure, la fameuse formule d'«indépendance dans l'interdépendance» s'avère plus que jamais pertinente. L'histoire des rapports franco-marocains peut la valider sans la moindre retenue. Considérée sous la quatrième république comme un baroud d'honneur, une espèce de formule vaseuse, l' «interdépendance» franco-marocaine est devenue une réalité politique, économique, démographique et culturelle. Entre la France et le Maroc, les relations remontent au Moyen-âge. Ces relations s'institutionnaliseront au XVIème siècle. La représentation consulaire française auprès de l' «Empire Chérifien» est ancienne : sa correspondance est conservée depuis 1577. Il est d'ailleurs curieux que les relations diplomatiques aient connu leur apogée au XVIIIème siècle. Un siècle des Lumières dont le Maroc ne bénéficiera guère alors que pas moins de quatre consuls de France et un «Gérant» se succèderont au Maroc. Selon les époques, le Consulat de France au Maroc a eu son siège à Salé, à Tétouan ou à Tanger et l'on peut même le trouver dans plusieurs sièges à une époque donnée. Au XIXème siècle, les appétits coloniaux de la France conduiront les deux pays à la confrontation sanglante lors de la bataille d'Isly qui se déroula le 16 août 1844 à la frontière algéro-marocaine et vit la victoire du Maréchal Bugeaud sur Moulay Abderrahmane. Plus tard, les visées coloniales françaises s'intensifieront pour aboutir au Traité de Fès et à la mainmise protectorale en 1912. Le 20 août 1953, le Sultan Mohamed Ben Youssef fut détrôné, kidnappé et exilé. Moins de trois ans plus tard, l'indépendance du Maroc fut proclamée. Depuis 1956, deux clashs traverseront les relations privilégiées entre la cinquième République et le Royaume : à la fin de l'année 1965, consécutivement à l'affaire Ben Barka et au début de la décennie 90 au lendemain de la parution du pamphlet de Gilles Perrault et de l'escapade tindoufienne de l'épouse du Président Mitterrand. Humainement, culturellement, sociologiquement et économiquement imbriquées, les relations entre les deux nations ont pu résister à ces clashs. Aujourd'hui, sous le règne de Mohammed VI, ces relations ont accédé au stade stratégique. La France est présente à tous les strates du renouveau marocain: aide publique au développement (200 millions d'euros par an), investissements étrangers (première place), éducation (27.000 élèves dans les écoles françaises du Maroc et des dizaines de milliers d'étudiants marocains du supérieur en France), échanges commerciaux (70 milliards de DH en 2006), présence entrepreneuriale française (plus de 500 entreprises). Cette ampleur partenariale est assise, en vérité, sur un socle civilisationnel très fort où les hommes des deux côtés de la Méditerranée ont fait immersion chacun dans l'histoire de l'autre. Au moins 60.000 Français (dont 32.000 dûment immatriculés dans les Consulats généraux) vivent au Maroc; Ils sont plus de 800.000 Marocains à vivre en France. La quasi-totalité des élites marocaines a été formée en France (Sciences Po, ENA, Polytechnique, Ponts-et-Chaussées, Ecole centrale, HEC…etc.). D'ailleurs, les élites des deux pays se connaissent parfaitement. Elles font partie des mêmes associations d'anciens élèves et de lauréats des plus prestigieuses écoles et universités hexagonales. Par ailleurs, les centres français de décision privés et publics, ministères compris, regorgent de compétences marocaines dans des domaines allant de la haute finance au nucléaire. Il s'agit donc d'une interpénétration socioéconomique, démographique, culturelle et financière. Des flux impressionnants de savoir-faire, de capitaux et de transferts de revenus circulent entre les deux pays. Sur le million et demi de Français naturalisés sous la présidence de Jacques Chirac, les Marocains arrivent en tête. Avec les mariages mixtes, ce saut «transcivilisationnel» contribue à la consolidation de la trame démographique conjointe. Des binationaux sont aujourd'hui massivement recrutés par les grandes entreprises françaises qui les affecte à la conquête des parts de marchés sur toute l'étendue de la zone Afrique-Moyen-Orient. C'est ainsi que des Marocains se sont illustrés dans de grandes directions ou ont carrément conquis des vice-présidences au sein d'Airbus, de Cisco, d'Alstom ou d'EADS. Tout cela fait que les Marocains et les Français n'ont plus de secrets les uns pour les autres. Et ce n'est donc pas un hasard si la France se situe au rhizome du combat marocain pour le développement. Elle est notre premier client et premier fournisseur. Elle est aussi le principal investisseur étranger. De plus, elle connaît parfaitement notre histoire bien avant que le vicomte Charles de Foucauld de Ponbriand n'ait écrit son fameux «Reconnaissance au Maroc» en 1888. Elle est même certainement mieux placée que l'Espagne elle-même pour témoigner des dépeçages successifs subis par notre territoire, notamment au profit de ses anciens Départements d'Algérie. Il n'est que plus logique qu'elle soutienne aujourd'hui le projet d'autonomie saharienne validé par l'ONU. Aussitôt lancé par le Roi, l'INDH a été vite compris et soutenu par la France. L'Agence française du développement (AFD) s'est impliquée fortement dans notre combat contre le sous-développement, dernièrement encore au bénéfice de la province de Nador. Notre défense doit beaucoup à l'expertise Hexagonale, tant en équipements qu'en formation, en hard comme en soft. Le nouveau président va jusqu'à exprimer le souhait français d'aller plus loin dans la coopération militaire avec le Maroc : «Notre ambition est de construire avec le Maroc une coopération de défense et d'armement qui soit à la hauteur de notre partenariat politique». D'ailleurs, sur une foultitude de zones de tensions, les armées française et marocaine se côtoient intimement et collaborent depuis longtemps à la réduction de ces tensions. Ceux qui avaient rêvé d'un revirement pro-algérien de la France sarkozienne peuvent se rhabiller. L'Algérie demeure trop marquée par le centralisme «démocratique et populaire» de ses dirigeants. Elle est clouée au sol par ses fausses fiertés et ses années de gloire tiers-mondistes. Personne n'y travaille et son économie rentière ne peut s'accommoder des nouvelles réalités du monde. Se faire construire ses logements sociaux et ses autoroutes par les Chinois n'est pas un signe de vivacité socioéconomique. La France ne peut, par conséquent, brader une alliance franco-marocaine si fructueuse et si dynamique pour deux ou trois commandes conjoncturelles, fussent-elles substantielles. Les gouvernants d'Alger doivent répondre aux injonctions des institutions internationales avant d'intégrer l'OMC. Ils n'ont même pas pu remettre les Algériens au travail. Ils dilapident le pactole procuré chaque année dans des commandes inutiles dont personne ne prendra la peine d'ouvrir les cartons ni, a fortiori, lire les manuels d'utilisation. Le Maroc assume ses imperfections et même ses tares endémiques. Mais il a le courage d'associer ses alliés et partenaires à les endiguer. Nicolas Sarkozy, tout comme son illustre prédécesseur, en fait partie. Avec, des côtes, le volontarisme en prime. Une visite mutuellement fructueuse La visite d'Etat du Président français a sans doute été longuement et savamment préparée. Le lot de contrats qui ont été signés a atteint le chiffre de 33 milliards de DH. Même si la visite a élu le symbole politique – première visite d'Etat de Sarkozy à l'étranger – pour signifier l'excellence des relations franco-marocaines, elle a parallèlement offert l'opportunité aux économies des deux pays de signifier leur complémentarité organique. Malgré le flop du « Rafale », les entreprises françaises se placent dès aujourd'hui au cœur de l'économie marocaine de demain : le premier TGV marocain (et africain) sera français. La technologie nucléaire dont le Royaume a tant besoin le sera aussi. Idem pour le système de surveillance des frontières et la frégate polyvalente de classe FREMM. Les vingt-cinq hélicoptères Puma et les 140 véhicules militaires seront modernisés par la France. Tout cela participe de la vision marocaine de la mise à niveau qui permettra au Royaume de s'insérer sans grande gêne à la fois dans le « statut avancé » qu'il ambitionne auprès de l'UE comme dans la phase finale libre-échangiste avec l'ensemble européen en 2012. Le périple marocain de Nicolas Sarkozy aura donc tenu toutes ses promesses. De ce côté-ci de la Méditerranée, on peut se réjouir du partenariat français avec ce « Maroc en mouvement ». Du côté français, on se frotte les mains non pas tant pour le volume des contrats, mais surtout pour l'insertion pérenne de la France dans l'économie marocaine de demain. « Le Maroc bouge, le Maroc va de l'avant, la France veut s'associer au Maroc », a martelé le président français.