La constitution du gouvernement a laissé des blessures béantes au sein des partis, alors que la vie parlementaire s'annonce animée. Jamais gouvernement n'a été aussi fraîchement accueilli par la presse qui focalise sur certains noms alors qu'un débat autour de la construction démocratique, profond et serein s'impose. Il faut reconstituer le fil des évènements pour tenter de comprendre l'épilogue. La coalition a tergiversé pendant longtemps, les négociations portant sur le nombre et la nature des portefeuilles ont été ardues au début, avant l'intervention du cabinet Royal. Les négociations ont été compliquées par la décision de « rétrécir » l'exécutif ce qui a allumé les feux des luttes intestines, largement médiatisées. Finalement la décision d'interdire l'accès au gouvernement aux battus du suffrage universel a limité un tant soit peu, les dégâts. C'est dans ce contexte que le Palais est intervenu pour accélérer la démarche. L'intervention a eu un effet de taille, le départ de l'UMP à l'opposition. Les Harakis ont eu une réaction d'orgueil. La démarche démocratique voulait qu'ils soient beaucoup mieux traités que le supposait l'offre finale et surtout le Perchoir revenait de droit à M'Hand Laensar. L'UMP dans l'opposition, la coalition n'a plus de majorité numérique. L'USFP dans la tourmente Les grands gagnants sont les gens du RNI. Ils ont pris des portefeuilles importants et récupèrent la présidence de la première chambre, ce qui fait que le parti classé en quatrième position préside les deux chambres du Parlement marocain. Abbas El Fassi ne tarit pas d'éloges sur l'attitude de Mohamed Elyazghi « il a fait beaucoup d'efforts pour la réussite de cette expérience et s'est montré très engagé » dit-il à ses interlocuteurs. Et effectivement le premier secrétaire de l'USFP affronte une véritable bronca au sein de son parti, qu'il a amené à la participation au forceps. Au sein même du bureau politique de l'USFP, l'opposition à Elyazghi se renforce et il aura besoin de tout son sens de la manœuvre pour éviter l'éclatement. Mais encore une fois le vrai débat est ajourné au profit de querelles finalement assez mesquines. L'analyse des résultats du 7 septembre est sans équivoque : la gauche recule. Ce constat impose un débat quasi-identitaire mais c'est la qualité de la participation au gouvernement qui allume les feux de la contestation, cette fois, elle est générale et met en danger la cohésion de la direction de l'USFP. La part belle faite aux SAP, la controverse autour de quelques nominés ont fait oublier quelques originalités du cabinet de Abbas El Fassi. D'abord c'est un gouvernement minoritaire sur le plan numérique. Le défi parlementaire Au Parlement, la confiance sera votée grâce à l'appui du groupe formé par Fouad Ali El-Himma. Celui-ci refuse même du monde, et affiche 33 signatures de parlementaires. Ce débauchage est parfaitement légal, puisque la transhumance concerne les groupes parlementaires et non l'étiquette portée lors des élections. L'ex-ministre délégué a annoncé la couleur, son soutien sera critique. Il compte faire jouer à son groupe son rôle législatif de contrôle de l'action gouvernementale. Le nouveau gouvernement va avoir en face des gens rompus aux arcanes de l'exécutif, les Harakis et le groupe Al Himma, cela peut crédibiliser l'institution parlementaire. A condition que les membres du gouvernement jouent le jeu. L'absence de majorité automatique crée un équilibre institutionnel et élimine la tentation de considérer le parlement comme une chambre d'enregistrement. Cela ne devrait pas déplaire à Abbas El Fassi qui a toujours prôné le renforcement du législatif. Ce ne sera pas le seul défi du gouvernement installé. La feuille de route de Abbas El Fassi est contenue dans la lettre qu'il avait adressée à Abderrahmane Youssoufi il y a dix ans. Les engagements pris lors de la campagne électorale ne peuvent souffrir aucun retard. Les défis majeurs La politique économique sera dans la continuité du gouvernement Jettou, dont le bilan sur ce plan est flatteur. Il faudra cependant, trouver les ressources nécessaires et le plan d'action Idoine pour pallier à la situation sociale et remettre en état de marche les services publics. Le parti de l'Istiqlal s'expose ouvertement et sera jugé sur des résultats en ce domaine. En particulier la santé publique très souffrante, et l'enseignement en faillite attendent des révolutions. La nomination de Akhchichene à l'éducation nationale est le signal de la prise en charge par la Cosef de ce dossier. La réforme a trop tardé et le désir de consensus a mimé le processus. Aucun homme politique ne pouvant se mettre les enseignants à dos, il est bon que la COSEF, et Méziane Belfkih montent au filet. Le conseiller du Roi n'a jamais caché que ce dossier le passionnait, et il n'a cessé, à juste titre, de plaider l'urgence de la révolution. Abbas El Fassi a promis la création de plus d'un million d'emplois, la revalorisation des petits salaires, l'extension de la couverture médicale, l'aide aux petits agriculteurs et la rénovation de l'artisanat. Il est absolument fondamental qu'il tienne parole, pour crédibiliser l'action politique. Et c'est sur cela qu'il sera jugé et non pas sur les préjugés des uns et des autres. Abbas El Fassi est une personne hyper-sensible, on peut en déduire qu'il a mal pris les attaques contre son cabinet. S'il ne peut démentir le fait que les partis ont été sérieusement malmenés il est en droit de demander un délai de grâce et qu'il soit jugé sur les performances de son équipe pas sur sa composition. Cependant il serait mal inspiré de répondre à cet acharnement par l'opacité. Pour regagner la confiance populaire ce gouvernement doit au contraire communiquer efficacement. Le Premier ministre doit s'imposer des rendez-vous pour expliciter son action et ses ministres être disponibles. La communication est un enjeu stratégique pour le nouveau gouvernement. Elle doit être dense et efficace pour inverser la tendance, car le gouvernement El Fassi est face à un défi historique réconcilier les Marocains avec la politique. C'est cet objectif qui doit guider l'action gouvernementale. Le Premier ministre qui fait de la politique depuis toujours, sait que la démocratie sans la participation populaire est au mieux formelle. Il mesure donc la responsabilité qu'il assume et l'obligation de résultat qu'il a. La présence de x ou de y n'est qu'anecdotique comparée aux enjeux réels. Gageons que maître El Fassi saura les mettre en avant.