Le débat n'a pas manqué de panache, ni de ferveur. Le Conseil national de l'USFP, pour trancher la question de la participation ou non au prochain gouvernement, a été littéralement partagé. Résultat : le bureau politique a été mandaté pour négocier les portefeuilles au sein de l'exécutif Abass El Fassi. Le conseil national de l'USFP a eu une particularité, un contraste. Alors qu'il y avait ballottage entre ceux qui revendiquent le retour à l'opposition et ceux qui préfèrent la continuité au sein de la coalition gouvernementale, il y avait unanimité. L'unanimité concernait le constat de défaite, d'affaissement du parti, des dysfonctionnements internes et infine de la perte de légitimité d'une direction contestée par les militants et largement sanctionnée par les électeurs qui, à part El Malki et Radi, ont éliminé l'ensemble des ténors candidats. Cette fois, ce ne sont plus quelques représentants de la jeunesse qui ont osé bravé les membres du bureau politique, mais des représentants de toutes les régions, bien intégrés dans l'appareil et parfois eux-mêmes candidats aux législatives du 7 septembre avec des fortunes diverses. Cette fronde n'a rien d'un mouvement d'humeur lié aux mauvais résultats électoraux. Elle est l'aboutissement d'un processus qui s'est accéléré depuis le 7ème congrès et surtout le congrès de la Jeunesse, qui a connu un blocage sans précédent, au point qu'aucun atelier n'a pu avoir lieu et que seules les tractations et les triturations ont dominé les 5 jours qu'a duré le congrès. Problème de fond Cependant, la plupart des critiques concernent le fonctionnement du parti, la démocratisation de ses institutions et la gestion des élections. Les intervenants reprochent au bureau politique son interventionnisme dans la marche des régions, sans respecter le point de vue des militants de base, les transferts et parachutage de dernière heure, les décisions importantes prises en dehors de toute consultation avec la base. Ces critiques sont fondées. Elles s'appuient sur des faits réels et surtout sur ceux relayés par la presse qui dénonce régulièrement « la dictature » imposée à ceux qui ne réfléchissent pas de la même manière que les patrons du bureau politique (Hassan Tarik, El Gahs, Badiaâ Skalli etc…). Il est pourtant évident que la crise organisationnelle n'est que le reflet d'une crise plus profonde d'essence politique. Les théoriciens de gauche savent que l'organisation et la ligne politique sont dialectiquement liées. L'USFP a un problème identitaire aggravé par le choix de l'alternance. Depuis 10 ans, la pratique politique du parti n'est plus théorisée, sauf si l'on considère que les communiqués du bureau politique relèvent de la théorie. Dans quelle étape historique sommes-nous ? Qu'est-ce que la gauche aujourd'hui ? Quelle est la justification de la pérennisation des alliances contre-nature ? Toutes ces questions n'ont reçu aucune réponse, la politique politicienne a pris toute la place évacuant la mission mobilisatrice pour la modernité, mais aussi la justice sociale. Le parti n'ayant plus de projet visible, clair, mobilisateur a perdu pied au sein de la société. Il y a 30 ans, l'USFP encadrait les chercheurs, les penseurs, les créateurs, les deux associations les plus importantes du pays Achouaâla et la jeunesse populaire, était majoritaire au sein du barreau, omniprésent à l'université et son syndicat d'alors, la CDT, caracolait en tête. Si ce parti n'a gardé aucune de ces ramifications, cela ne peut être imputé aux erreurs tactiques ou aux agissements de quelques individus. En tout cas pas uniquement. La société a changé, elle est traversée par des courants très contradictoires balançant entre l'universel et le repli identitaire. Les jeunes sans utopie, posent des questions existentielles différentes de leurs aînés. L'USFP n'a pu afficher un visage résolument moderniste sur les questions sociétales telles que la question de la femme, les libertés individuelles de choix de vie et surtout la question identitaire avec ces deux volets, l'Amazighité et le rôle de la religion. L'USFP n'a pu non plus dégager une doctrine sur la question sociale. L'acceptation des règles de marché telles qu'elles sont imposées par la mondialisation s'est accompagnée d'un véritable renoncement sur la question sociale. L'USFP ne défend plus ni le secteur public ni le service public, ni les salariés, ni « les forces populaires », il est donc normal que les couches qui le soutenaient le désertent à leur tour. Ce malaise, les militants l'expriment intuitivement. Mais si la critique est aisée, l'art est difficile. La gauche mondiale vit le même problème dans des contextes différents. Sortir un programme qui combat la précarité et la marginalisation, sans handicaper la compétitivité du système productif ni celle du pays par rapport aux investissements, est une urgence, mais ce n'est pas une sinécure, il n'y a pas de recette magique à copier. Cette reconstruction ne peut être qu'une œuvre collective en interaction avec tous les acteurs de la société. Elle nécessite humilité, créativité et ténacité. Mais il est vrai que ce projet ne peut être mené par des apparatchiks insensibles à ce qui ne touche pas leur carrière. La démocratie interne est une condition nécessaire mais pas suffisante.