La logique démocratique a fonctionné. Maintenant c'est à la nouvelle équipe de conforter la construction démocratique, répondre aux aspirations populaires et assurer le décollage économique. Un dossier consistant pour un aperçu d'une feuille de route contraignante. La nomination de Abbas El Fassi à la Primature est la concrétisation de ce que d'aucuns appellent la démarche démocratique. Le secrétaire général du parti de l'Istiqlal était le candidat le mieux placé, son parti est arrivé premier et il mène l'alliance de la Koutla, qui constituera à ne pas en douter, la colonne vertébrale de la nouvelle majorité, sœur jumelle de l'ancienne. Cette nomination n'étonne que ceux qui avaient trop fait confiance aux oracles jeunistes. Décidément, il fait un sale temps pour les devins en tous genres. Pour être attendue, la nomination de Abbas El Fassi ne change rien à la donne. Le gouvernement issu des élections du 7 septembre a des challenges à relever, la tâche n'est pas aisée, loin s'en faut. En premier lieu et en relation avec les législatives, il devra réinstaurer un climat de confiance avec les électeurs. Politiquement, il lui faudra une présence, une communication politique d'un tout autre calibre que celle du précédent. Ce gouvernement ne peut réussir que s'il est omniprésent, patient avec une presse défectueuse, convaincant par l'argumentation de son action, sensible à l'appréciation de celle-ci par l'opinion publique. Il lui faut du charme, de la carapace et du charisme. En plus de la réponse aux attentes de la population, bien évidemment. Nuages sur le front social. Les attentes populaires sont très éclectriques, (voir dossier) mais celles ayant trait à la résorption des déficits sociaux est en tête de liste. La création d'emplois est bien évidemment l'un des sujets les plus brûlants. Depuis le début du nouveau siècle, le chômage recule au Maroc, c'est une réalité. Cependant, dans un pays où le chômeur n'a aucun droit, le taux reste inacceptable pour ceux qui n'arrivent pas à intégrer le marché de l'emploi. Abbas El Fassi et le prochain gouvernement comptent sur la croissance et les effets des réalisations en infrastructures de l'équipe Jettou pour régler partiellement le problème. Les investissements étrangers directs avalisés par le Souverain constituent un matelas encourageant. Il faudra cependant faire plus, en améliorant l'environnement des PME, en tirant les conclusions de l'échec du programme «Moukawalati», en négociant une plus grande implication du secteur bancaire etc… Mais le premier geste fort pourrait être la reprise d'une idée… de Abbas El Fassi lui-même quand il était ministre de l'emploi. Il avait proposé une indemnité minimale pour les chômeurs !. Les sujets qui fâchent Deux secteurs constituent de vrais gisements en emploi : l'artisanat et l'agriculture. Le premier a besoin d'un encadrement très fort lui permettant l'investissement des marchés étrangers. La mise à disposition des artisans, de structures offrant des designers et un accompagnement pour l'exportation est attendue depuis des décennies. L'agriculture a besoin d'être rénovée (voir encadré). Toutes ces pistes sont bien sûres importantes. Elles ne peuvent en aucun cas constituer un frein aux autres chantiers de réformes. Le plus important concerne la justice. Trop lente, trop opaque, trop onéreuse, souvent pointée du doigt accusateur des justiciables, elle constitue un frein au développement. Sa réforme n'a pas abouti à des résultats perceptibles. Les lois ne servent à rien si le doute est permis sur la partialité de ceux qui sont censés les appliquer. Or, sans cette confiance, la croissance restera fragile. Le nouveau Premier ministre a un autre monstre de loch-ness à terrasser. La réforme de la fonction publique est un échec absolu. Le modèle français que nous avons copié en plus sous-développé, a montré ses limites même dans l'hexagone. Il est coûteux et non efficient. Les fonctionnaires sont trop nombreux, sous-payés, et peu évalués. En fait, l'absence d'individualisation de la carrière a un effet pervers : le nivellement par le bas. Sans une refonte profonde des statuts de la fonction publique, l'Administration aura toujours du mal à suivre le rythme du développement actuel et n'a aucune chance de participer à celui souhaité. Les sujets qui fâchent Abbas El Fassi est là au nom du parti de l'Istiqlal. Les Marocains lient ce parti à un désastre : l'enseignement. «Ils ont arabisé l'éducation nationale et affaibli le niveau et ont envoyé leurs enfants dans les missions étrangères», dit la vox populi. Les faits sont avérés, en majorité, les fils des dirigeants, ceux de l'élite, n'ont pas subi la lobotomie de l'arabisation. Il sont cadres dirigeants, les autres se font tabasser devant le parlement. La crainte vient de l'enfermement idéologique dont fait preuve l'Istiqlal sur cette question. L'éducation nationale, fabrique de chômeurs analphabètes dans les deux langues, a besoin d'une révolution. L'école doit redevenir un lieu d'intégration et un moteur de la mobilité sociale. Cette révolution, peut-elle être l'oeuvre, le résultat de l'idéologie même qui l'a détruite? Le doute est conseillé. L'autre service public en déperdition est la santé publique. Chaque jour, des Marocains meurent parce qu'ils ont rendez-vous dans six mois avec le chirurgien, ou parce qu'ils n'ont même pas eu accès à un médecin. Le taux de mortalité à l'accouchement est une honte. Il provient de la difficulté d'accès dans les campagnes aux services des maternités. L'AMO ne règle qu'une infirme partie du problème. Il s'agit d'un dossier coûteux mais primordial, par éthique, mais aussi par calcul politique. L'adhésion des plus démunis est impossible dans les conditions actuelles de la prise en charge face à la maladie. Enfin, le désenclavement marche à un rythme trop lent. L'Etat doit absolument mener un programme ambitieux de construction de routes. L'arbitrage entre les investissements lourds à rentabilité quasi-certaine et les petites routes désenclavant des douars misérables n'a pas lieu d'être, si tous les Marocains sont égaux. L'argent étant limité c'est un casse-tête. Mais qui a dit que ministre c'était un boulot simple ? La politique enfin ! Les défis sont énormes, importants. Il y en a un qui les «cadre» tous: l'approfondissement de la construction démocratique. Le gouvernement de Driss Jettou n'a pas à rougir de son bilan, il a tenu ses engagements sur une série de dossiers, il n'a pas su se vendre et est apparu comme un simple supplétif du palais et de l'entourage royal. L'on sait depuis longtemps que l'important n'est pas la réalité mais l'image que les gens en retiennent. Dans ce contexte le retour à la «démarche démocratique» pose de lourdes responsabilités sur les épaules d'El Fassi et son équipe. Ils doivent revitaliser la politique. Le premier signal sera l'équipe choisie, sans renvoi des caciques écornés il n'y aura pas de manifestation d'intérêt. En outre, il faut comprendre qu'un politique aux affaires est dans la situation de la femme de César : il n'a pas le droit d'être suspecté si il nomme des cabinards par clientélisme, reste dans les affaires, se montre friands des avantages de la fonction, les nouveaux ministres plomberont à jamais la démocratie. L'exigence d'éthique est absolue. Les relations entre les partis de la majorité, la crédibilisation du Parlement hors de tout esprit godillot sont des conditions de réussite. Faire revivre la noblesse de la politique, répondre aux attentes sociales, poursuivre les réformes, rester attractif pour les investissements, mieux communiquer avec le peuple, telle est la feuille de route. Abbas El Fassi a très peu de temps pour montrer qu'il est dans la bonne voie, quels que soient les préjugés des uns et des autres, tous les patriotes lui souhaitent bonne chance, c'est à lui de répondre présent. Agriculture La révolution sinon rien Depuis plusieurs décennies, tous les spécialistes le savent, le Maroc, pays semi-aride, ne peut se permettre le luxe de perpétuer les spéculations héritées du passé. Feu Hassan II a bloqué cette réflexion, parce qu'il se refusait d'accepter les réalités et a maintenu jusqu'à son dernier souffle, que le Maroc était un pays agricole. Cette attitude de déni a été ravageuse, elle a appauvri les campagnes, accentué le phénomène de ruralisation des villes et forcé l'état à dépenser des fortunes en expédient. Reformater l'ensemble des spéculations, aller vers l'olivier, le caroubier, l'élevage intensif est la seule voie viable. Cela présuppose des aides de l'état, un accès facilité aux moyens de financement et un encadrement sans failles, alors que c'est l'inverse qu'on a fait ces dernières années : les CRT ont été démantelés. Il faut savoir qu'un caroubier rapporte 10000 DH par an, seulement il faut attendre cinq ans entre son implantation et la première récolte. Trouvez un financement à ces cinq années et l'agriculteur pourra envisager la reconversion. Les nouvelles spéculations buteront elles aussi sur le morcellement des terres. Tout a échoué parce que le droit foncier, issu des règles de l'héritage conjugué avec une mentalité peu réceptive au collectif quand il s'agit de la terre est une réalité incontournable. Cette révolution des mentalités est pourtant vitale. Nous devons reformer le secteur pour permettre une amélioration de la rentabilité, freiner l'exode rural, mettre en place les conditions de l'émergence du village paysan et gommer enfin les différences villes- campagnes. Ne pas avoir le courage de cette révolution coûtera cher et mettra en péril tout le reste, parce que cela alimentera tous les aspects négatifs. L'aspirine ne sert à rien quand l'indication thérapeutique relève de la chirurgie lourde. Le reste c'est du pipeau.