La quatrième chambre d'instruction du tribunal de Casablanca, sous la direction du juge Jamal Serhane, a pu, en un tant record, rassembler un maximum d'informations pour dévoiler les dessous de ce qui est convenu d'appeler l'affaire Chouli/Tetouani et consorts où deux noms sortent du lot : Ahmed Chouli connu sous le nom de Hmidou et Mostapha Tetouani Kouiyeh avec une flopée de complices de hauts rangs. Agents des Forces auxiliaires, des douanes et de la Gendarmerie royale, sont accusés de la formation d'une bande criminelle, détention de drogue, trafic de drogue et complicité de trafic de drogue à un niveau international, corruption, abus de pouvoir… Poursuites soumises aux articles de loi 248/251/250/129 du code pénal et de l'article 2 du dahir du 21/05/1974. Une affaire corollaire à celle de Chérif Bin Louidane, qui fait tomber d'autres têtes et qui, selon toute vraisemblance, semble être l'arbre qui cache la forêt. Révélations. Le rapport est fin prêt et les preuves sont de taille. La quatrième chambre du Juge Jamal Serhane aura réussi un réel tour de force en rassemblant des preuves irréfutables contre Ahmed Chouli, Mostapha Kouiyeh, Karim Saâdi, Boubker El Mounzil, et leurs acolytes. Les deux premiers sont considérés comme les têtes de proue de ce grand réseau de trafic de drogue dans la région du Nord. Et les deux autres: Karim Saâdi, lieutenant des Forces auxiliaires et Boubker El Mounzil, colonel Major des Forces auxiliaires. Quatre figures principales pour un feuilleton à plusieurs strates. L'affaire est simple et ressemble à s'y méprendre à celle de Cherif Ben Louidane : Ahmed Chouli et Mostapha Tetouani ont, selon les investigations du juge d'instruction et des confrontations entre accusés, effectué un bon nombre d'opérations de trafic de drogue à l'échelle internationale dans la région du Nord du Maroc, sur la côte de Tetouan en direction des plages espagnoles. Ils ont bénéficié des facilités et de l'appui logistique et humain, apporté par Karim Saâdi en sa fonction d'officier de la sécurité militaire du groupe 35 de la garde mobile, unité qui, moyennant de grandes sommes d'argent, fermait l'œil sur les actes de trafic de drogue sur le littoral surveillé par les membres de ladite unité. Le même Karim Saâdi, qui, devant le juge, dégoupille une véritable bombe et éclabousse des noms de quelques hauts responsables des Forces auxiliaires et de la Gendarmerie royale. L'histoire de Chouli est similaire à celle d'autres trafiquants notoires qui ont très vite troqué leur paquetage de petit dealer, pour celui, plus fourni, de baron avec galons et insignes. Un séjour en prison pour détention de haschich, et à la sortie, Chouli décide de muer. L'expérience aidant, il est le responsable attitré pour faire acheminer les quantités de drogue vers les plages entre Oued Law et Belyounech, à quelques encablures de Fnideq, en vue d'un transfert de biens, vers les cotes espagnoles à bord de vedettes et autres zodiacs bien équipés en chevaux, pour assurer le flux des devises. L'épopée Chouli remonte à 2001. Exactement vers le mois de mai, quand il rencontre un certain Ali Lemrabet, vendeur de poisson au port de Tanger, et en deux mois, les deux hommes décident de changer de cap et de se convertir en narcotrafiquants. Premier coup : 100 kilogrammes de chira, transportés à bord d'une Renault 19 de couleur rouge, tout près de la plage AMSA. Son rôle était des plus basiques : assurer le transport de la quantité de haschich à bord de la barque de pécheur de son ami Lemrabet. Il touche 5000 dhs pour ses services, et quand la marchandise atteint l'Espagne, c'est Mohamed Lemrabet, le frère d'Ali qui en assure le dispatching, alors que ce dernier avait balisé le terrain au Maroc. Première grande association donc. Et elle est fructueuse. Mais comme dans tous les débuts, il faut confirmer. Chouli passe à table Deux bons coups viennent consolider les liens entre les trois, en octobre 2001 pour une cargaison de 150 kilos, toujours selon le même modus operandi, pour un montant de 10 000 dhs et la deuxième en août 2002 avec 200 kilos à la clé et un autre salaire net de 10 000 dhs. Le petit business se prend au jeu et voit grand. Le baron est en mutation. Déjà, lors de ces trois premières opérations, Chouli savait que des agents d'autorités étaient de mèche avec les frères Lemrabet, mais il n'a pas pu connaître leurs noms. Mais une fois le réseau élargi, les langues ont commencé à se délier et Chouli a pris du grade. Il aura fallu cinq ans, des quantités assez importantes, de petits bénéfices réguliers, des connaissances de plus en plus larges, et la toile est tissée. Et en 2006, la vie prend un autre tournant. Les frères Chamli font leur entrée en jeu pour un transport de 250 kilos avec 10 000 dhs net pour Chouli et 100 000 dhs pour le responsable des Forces auxiliaires qui répond au nom de Karim, 38 ans presque, brun avec une calvitie naissante, grand et un peu fortiche, toujours à bord d'une voiture de service de marque Nissan (4x4). Les frères Chamil concluent l'affaire, Chouli joue son rôle de transporteur et le fameux agent Karim empoche les 100 000 dhs. Suivent d'autres opérations en 2006. Février pour le compte de Youssef Ajhir, une connaissance du café le Levant à Oued Law. Une cargaison de 270 kilos qui lui assure son salaire de 12 000 dhs et le Karim des Forces auxiliaires se fait son tarif habituel de 100 000 dhs. C'est l'année des liens avec Mostapha Tetouani Kouiyeh, qui n'est autre que l'oncle de Mounir Erramach, autre célébrité locale dans le domaine du narcotrafic. Et comme le monde est petit, c'est toujours la même forêt surveillée d'AMSA, le même Karim des Forces auxiliaires, qui assure la sécurité du transport. Pour l'anecdote, l'amitié et la collaboration qui s'ensuit entre Chouli et Tetouani a été inaugurée au mois de février 2006 lors de l'achat d'un tracteur pour une valeur de 145.000 dhs dont l'intermédiaire était, encore une fois, Mounir Erramach. Le même Erramach qui a eu recours à plusieurs reprises aux services de Chouli pour des quantités variant entre 300 et 500 kilos de haschich en vue de les expédier vers la Péninsule ibérique voisine. Bref, durant toute cette période, Chouli était responsable d'un kilomètre carré de zone franche dans la forêt d'AMSA où il avait les coudées franches pour le transport et l'acheminement des marchandises. Appuyé, selon ses déclarations devant le juge, par le fameux Karim, responsable sécuritaire du lieu. Tetouani en remet une couche Mostapha Tetouani Kouiyeh, lui, c'est un calibre différent. Ponte de la drogue pas seulement au Maroc, mais aussi en Espagne, son terrain de jeu était plus vaste et plus varié. De 2001 à 2003, il était le gérant d'un restaurant du nom de Birjes, sis Boulevard Benaboud, à Marina Smir. Malgré son arrestation en 2003 suite à une affaire de trafic de drogue où Erramach l'a impliqué, il sera libéré et reprendra du service tout en assurant la gestion du resto, ses trois fermes (Laâzibat) qui, selon l'instruction servaient de dépôts pour Erramach avant son incarcération. Mostapha Tetouani Kouiyeh, dira devant le juge, que même emprisonné, Mounir Erramach, par le biais d'un GSM, lui donnait des conseils et l'avisait pour le travail de trafic en cours. Tout s'enclenche en juin 2006 quand il reçoit un coup de fil de la part d'Ahmed Chouli dit Ahmidou qui voulait acheter un tracteur au nom de Mounir Erramach, déposé en vente dans la station-service de ce dernier. Ils se rencontrent à la station Afriquia sur la route de Sebta, concluent l'affaire à 140 000 dhs et la relation avec Chouli se précise. Le boulot prend corps, caisses de haschich, cargaisons, sommes d'argents, intermédiaires, transports, graissage de pattes, toujours, selon les aveux de Tetouani, assuré par Chouli qui savait y faire. Tetouani avoue aussi que deux fois, il a assuré le transport de deux quantités de drogue sur ordre de Mounir Erramach, de l'intérieur de sa cellule où il purge une peine de 20 ans de prison. Le succès à bout et toutes les opérations ont été l'objet d'un appui stratégique et logistique de la part de hauts responsables des Forces auxiliaires, dont les noms ont été cités dans le dossier et qui font tous l'objet d'accusations pour corruptions, trafic de drogue et abus de pouvoir. Pour les autres détails de l'affaire, nous y reviendrons la semaine prochaine. TABLEAU DE CHASSE La liste complète des accusés Hormis Ahmed Chouli et Mostapha Kouiyeh, les autres accusés sont pour la majorité des hauts gradés des Forces auxiliaires et de la Gendarmerie royale, impliqués dans un vaste réseau de trafic de drogue et d'abus d'influence. Ce sont : Boubker El Mounzil, ex-Colonel major des forces auxiliaires de la zone Sud, Karim Saâdi, lieutenant des forces auxiliaires, Allal Mourchid, colonel des forces auxiliaires, Abdelhak Mouileh, commandant des forces auxiliaires, Hassan Bouji, lieutenant des forces auxiliaires, Abdelkader Toumi, de la Gendarmerie royale, Abdelaziz Talâoui, agent des douanes au rang de technicien-adjoint, Mohamed Ikraouen, des forces auxiliaires, Mohamed Naciri, agent de la Gendarmerie royale, Mohamed Sbili, agent de la Gendarmerie royale, Ibrahim Ouekkas, agent de la Gendarmerie royale, El Maati Gasmi, agent de la Gendarmerie royale, Al Houcine Al Mansouri, agent de la Gendarmerie royale, Mostapha Al Bakkouchi, agent de la Gendarmerie royale, M'hamed Mghili, agent des forces auxiliaires, Mohamed Rmal, lieutenant des forces auxiliaires, Ahmed Koufan, inspecteur des forces auxiliaires, Driss Lmimouni, capitaine des forces auxiliaires, Hamid Hlilou, officier des forces auxiliaires, Zouheir Boukhoubza, lieutenant des forces auxiliaires, Oussama Alkhamsi, lieutenant des forces auxiliaires, Aziz Alloufani, officier des forces auxiliaires, Al Maâti Barniss, lieutenanat des forces auxiliaires, Mostapha S'hibi, officier des forces auxiliaires, Mohamed Aârab, officier des forces auxiliaires, Mohamed Benkhaba, capitaine des forces auxiliaires, Lekbir Khouya, officier des forces auxiliaires, Alhassan Markous, officier de la Gendarmerie Royale, Mounir Akaâboune, officier de la Gendarmerie Royale, Moloud Oujdid, agent des forces auxiliaires.