Le transporteur national de Turquie est à l'image des forces reconfigurant le pays. Kemal Atatürk, le fondateur vénéré de la Turquie, a remarqué une fois qu'il était parvenu à tout enseigner à son peuple, mais pas comment servir les autres. Il a fait cette remarque après qu'un serveur ait accidentellement renversé une boisson sur un ambassadeur étranger au palais présidentiel d'Ankara. Pendant des décennies, les passagers du transporteur national, la Turkish Airlines, ont souffert du service pareillement médiocre. Les bagages ont fréquemment été perdus, les vols ont rarement décollé à l'heure et une fois qu'ils décollent, de féroces hôtesses arpentaient les couloirs, vociférant des ordres aux clients. Avec neuf accidents d'avions mortels entre 1974 et 2003, la ligne aérienne a un pauvre record de sécurité. Son sigle THY (Turc Hava Yollari) est devenu «They Hate You», c'est-à-dire «ils vous détestent». Ce n'est pas étonnant que les finances de THY aient été désastreuses également. Mais ces dernières années la compagnie aérienne a cessé de piquer du nez. Les ventes ont fait un bond de 22% en 2006 et le bénéfice net est de 28%. Les derniers résultats de l'entreprise, publiés le 4 juin, laissent penser que la croissance continue, indique Bahar Deniz Egemen, un analyste à la Garanti Securities à Istanbul. L'année dernière, l'association des transporteurs aériens européens a désigné la THY, comme étant la compagnie à la croissance la plus rapide, la plus ponctuelle et celle perdant le moins de bagages. « Notre but est d'enregistrer une croissance de 20% chaque année, pour devenir la meilleure ligne aérienne du monde», affirme Temel Kotil, le patron de THY, qui a été nommé en 2005 par Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre islamiste modéré. Kotil, ingénieur mécanicien formé aux Etats-Unis, dit que le changement de cap a commencé au début des années 90 sous Turgut Ozal, alors président. Fervent avocat du marché libre, Ozal a remplacé les généraux à la retraite qui dirigeaient la THY, par des directeurs expérimentés formés en Occident et a commencé à ouvrir le capital de la compagnie au privé. La part du gouvernement a été depuis réduite à 49%. Tout comme de meilleurs patrons, la THY a également une meilleure flotte, ayant dépensé 3 milliards de dollars augmentant et modernisant sa flotte depuis 2003. Avec les nouveaux long-courriers, THY a doublé sa capacité pour la porter à 17 millions de passagers par an et a ajouté 24 nouvelles destinations à son réseau. D'autres gains sont venus avec la perche du tourisme turc et un afflux des voyageurs d'affaires, pendant qu'Istanbul devenait le principal hub pour les Etats riches pétroliers nouvellement indépendants d'Asie centrale et du Caucase, des destinations que la THY domine. Kotil espère exploiter la position d'Istanbul à cheval entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie, et augmenter la part de marché de THY en Extrême-Orient. Et il finalise des négociations pour joindre la Star Alliance, un groupement aérien mené par l'Allemand Lufthansa. Mais le ciel s'éclaircit à peine. Les menaces de la Turquie d'envahir le Nord irakien contrôlé par les Kurdes et l'escalade des attaques rebelles Kurdes à l'intérieur du pays, pourraient faire éclater la bulle, craignent certains analystes. De plus petits opérateurs low-cost ont déjà forcé la THY à adopter une grille de tarification plus flexible. Et la croissance de la THY affichée à l'étranger n'est pas toujours reflétée en Turquie. Les médias séculaires ont accusé Kotil de placer de vieux copains choisis plus pour leur ardeur religieuse que pour leurs qualifications de gestionnaires. Kotil s'en défend et maintient que six membres seulement du personnel de la compagnie sont des diplômés des écoles islamiques de formation de secrétaire, connues sous le nom d'imam katips. Pourtant un esprit nouvellement islamiste était indéniablement affiché, quand un groupe d'employés a sacrifié un chameau près d'une piste de l'aéroport d'Istanbul en décembre dernier et en a alors distribué la viande à leurs collègues pour célébrer la modernisation de la flotte de THY. Le directeur responsable a été muté dans un département différent et une enquête a été lancée. Mais «dans n'importe quelle autre ligne aérienne occidentale, il aurait été renvoyé immédiatement,» observe un ancien employé de la THY. Traduction : Mar Bassine Ndiaye Les deux articles paraissent la même semaine dans la Gazette du Maroc et dans The Economist The Economist Newspaper Limited, London, 2007.