L'exposition universelle de 2012 est un défi pour le Nord avec la ville de Tanger en point de mire. Mais c'est surtout une belle vitrine pour cette cité qui voit son patrimoine architectural dépérir faute de protection et de préservation. Relever le challenge d'organiser une telle manifestation, c'est aussi relever celui qui consiste à redonner à la ville son lustre et son aura d'antan: Tanger l'internationale, Tanger l'universelle, Tanger la ville des cultures. Les chantres de la protection du patrimoine architectural et urbain du Maroc exultent à l'idée que l'Expo de Tanger 2012 peut être le levier tant attendu pour réhabiliter la cité internationale. Il ne s'agit pas là uniquement d'une opportunité, mais d'une urgence à l'instar d'autres grandes villes du pays comme Casablanca, Marrakech ou Rabat où le devoir de mémoire s'impose. D'ailleurs, ce type d'évènements d'envergure universelle a toujours servi dans d'autres villes, sous d'autres cieux, de déclencheur pour porter des régions entières en avant, et ce à tous les niveaux. Le volet patrimonial, qui nous intéresse ici, revêt tout son sens du seul fait que la ville de Tanger regorge de sites qui sont considérés parmi les plus beaux et les plus emblématiques du pays. Devoir de mémoire Tanger est une ville à part dans l'histoire du Maroc. À plus d'un titre, elle est ce que l'on peut appeler une ville d'histoire. Déjà au début du siècle, Tanger est une capitale d'envergure internationale. Certains urbanistes la comparent volontiers à la ville de la Havane à Cuba, non seulement sur le plan architectural entre cachet colonial (les deux villes ont été refaçonnées par les Espagnols), mais sur le plan du mode de vie, de la réputation internationale au début du siècle : la Havane, ville de tous les excès, ville de la culture, des fêtes, de l'art et de la maffia, et Tanger qui n'a rien à lui envier dans ce sens où, au début du XXème siècle, elle était plus cosmopolite que la plupart des grandes villes du pourtour méditerranéen. Tanger, c'était aussi la ville carrefour pour les grands artistes du monde qui y ont séjourné, travaillé, accompli quelques unes de leurs oeuvres. Et toute cette mémoire plaide pour la ville aujourd'hui dans la perspective d'une capitale du Nord à la fois sur le plan de l'économie que de la culture. Et la grande première dans ce sens, c'est qu'au Maroc, nous avons enfin compris, que tant le politique que le culturel sont liés, soudés et aucun levier n'est possible si l'une des composantes du développement humain venait à manquer à l'équation. C'est dire qu'aujourd'hui l'horizon 2012, quelque soit l'issue du vote pour l'exposition universelle, doit servir de déclencheur pour amorcer une nouvelle dynamique à Tanger et aussi dans d'autres ville comme Tétouan, véritable joyau de la Méditerranée (on reviendra sur la ville de Tétouan et son patrimoine architectural dans un prochain numéro de la Gazette du Maroc). La Casbah, cœur de la cité Ruelles étroites, pentes ardues, montées rigoureuses, sinuosités dignes des villes de montagnes, la marche vers la Casbah de Tanger est un véritable cours d'urbanisme et d'architecture. Pas une seule ruelle qui n'ait son histoire, ses cafés illustres, ses habitants de grande envergure. Deux portes donc pour un sanctuaire des plus importants dans l'histoire des médinas au Maroc : la casbah s'ouvre sur le port, longe les falaises vers la mer et couvre la nouvelle ville qui n'est pas plus importante ni sur le plan de l'extension ni au niveau du cachet architectural. Les grandes demeures de la casbah (la maison de Barbara Hutton, entre autres, est un exemple extraordinaire) ont vu défiler les plus grandes personnalités du monde : écrivains, artistes, diplomates, politiciens peintres, musiciens, acteurs… Un florilège de sensibilités qui ont fait l'histoire de la ville et qui, aujourd'hui, doivent peser dans la balance pour redonner à ce coin de la ville, son poids dans la mémoire architecturale du pays. Maisons anciennes, cafés, hôtels, tout doit être revu dans l'objectif de sauver un patrimoine urbanistique unique. Et ce travail pourra s'inscrire dans la vision d'une ville qui se doit aussi d'offrir en 2012 un visage touristique accompli, réhabilité, restauré, à l'image des ambitions de l'exposition universelle. Tanger au XXème siècle On peut dire que le XXème siècle tangérois prend acte en 1905. Ce sont là les prémices des manœuvres européennes dans la ville. Le 11 janvier, le ministre français Taillandier présente au Sultan un programme de réformes. Les visées colonialistes se dessinaient déjà dans ce document qui sera suivi par l'arrivée de Guillaume II d'Allemagne, qui débarque le 31 Mars et traverse la ville pour marquer son irritation envers les autres puissances. La guerre des grandes puissances coloniales prend forme. Le 16 janvier 1906 reste alors une date à marquer de fer rouge : c'est ce jour-là qu'eut lieu la Conférence d'Algésiras qui renforça la mainmise du corps diplomatique sur le fonctionnement des affaires tangéroises : conseil sanitaire, commission d'hygiène et de voirie, responsabilité du phare du Cap Spartel. La ville est en passe de devenir une ville non-marocaine. Six ans plus tard, le statut de la ville prendra un tournant décisif : les Espagnols s'installent dans le nord du Maroc en 1912. En mars de la même année, Régnault, le représentant de la France, quitte Tanger pour signer à Fès le traité de Protectorat. C'est exactement le 18 décembre 1923 que prenait naissance, selon tous les livres d'histoire qui ont traité du rôle joué par la ville dans les relations internationales, l'époque dite internationale de la ville de Tanger. Ce jour-là, fut signé le traité définissant le «Statut de la Zone Internationale de Tanger», expérience unique dans l'histoire de l'humanité, d'administration d'une ville par plusieurs pays. Les effets du traité se prolongeront jusqu'au 20 octobre 1956, le jour où le Maroc recouvre sa souveraineté sur cette ville tampon à l'envergure mondiale. A l'indépendance, en 1956, la population de Tanger est de 150.000 habitants dont 42.000 étrangers : 30.000 Espagnols, des Français, des Portugais, des Anglais, des Italiens, des Américains ainsi que des réfugiés d'Europe centrale, d'Asie et d'Amérique latine. Il faut aussi souligner un point très important dans l'histoire des grandes villes du Maroc : il n' y a jamais eu à Tanger de Mellah (quartier juif). Réflexion maroco-polonaise sur la préservation du patrimoine national Les journées culturelles de la Pologne au Maroc sont une occasion pour soulever quelques points concernant la préservation et la protection du patrimoine urbain et architectural au Maroc. À l'ordre du jour de ces journées culturelles polonaises, des conférences et une journée d'études sur l'archéologie et le patrimoine. Le but en est très simple : partager les connaissances polonaises et marocaines dans le domaine du travail de mémoire sur l'héritage culturel du pays. Et l'expérience de la Pologne est très éloquente à ce titre : pays ravagé par la guerre dont les infrastructures et les plus bâtiments ont été détruits par les obus, a procédé à un réel travail de fouilles et de structuration pour réhabiliter les plus beaux sites du pays. Selon l'un des urbanistes présents au Maroc, il est question d'un véritable échange de connaissances : « L'expérience polonaise est importante en Europe et le travail entrepris au Maroc nous est primordial pour mesurer les avancées réalisées dans nos pays respectifs. Ce type de rencontres ouvre des voies vers l'échange de compétences dans ce domaine de l'archéologie et du patrimoine architectural, et c'est ce que nous espérons avec nos collègues marocains ». De ce point de vue, ce que la Pologne propose au Maroc, ce sont 60 ans de travail sur la mémoire et l'identité culturelle, deux ingrédients de base pour étudier les modalités de ce qui est convenu d'appeler : la transmission de l'héritage. Au Maroc, les villes n'ont pas souffert des obus de la guerre, mais de la négligence et de la marginalisation. Aujourd'hui l'éveil au patrimoine augure de beaucoup de bonnes choses, et ce va-et-vient entre les différentes réflexions tenues de par le monde comme c'était le cas avec les visites des urbanistes suisses de l'école de Berne ou les 27 étudiants néerlandais, vient concrétiser un travail qui doit d'abord s'inscrire sur le terrain, pour prendre en charge la protection du patrimoine architectural et archéologique national.