Lorsque Kamal Lahlou est venu mettre en place l'équipe qui allait démarrer la radio MFM Atlas, le mot d'ordre était clair : «Je veux la proximité et l'interactivité». La majorité écrasante du collectif d'animateurs venait de la défunte RTM. Ils arrivèrent avec des réflexes ancrés et ne pouvaient aisément les abandonner sans sacrifier une partie d'eux-mêmes. L'ancrage au concept gagnant de Casa FM était laborieux et, pour quelques membres de l'équipe, douloureux. Ils n'ont jamais conçu l'animation en dehors d'une langue arabe sentencieuse et, pour faire plus sérieux, littérairement pompeuse. Au bout de deux mois de pratique du concept validé empiriquement par Casa FM, le challenge était gagné. Marrakech a adopté MFM Atlas avec une délectation jamais vue dans les annales de la radio dans notre pays. Histoire d'un succès fulgurant. Il ouvre le bal chaque matin à 6h30. «Allah Isâad as-sabah» peut démarrer avec la complicité technique de Aziz Mourid. Habitué durant près de trois décennies à animer plutôt des émissions nocturnes, Rachid Sabbahi mène la première émission de la journée avec l'assurance de l'animateur bel et bien éveillé. À peine installé face au micro, il reçoit les appels des auditeurs et palabre avec délectation avec eux. Tout y passe : le climat du jour, l'atmosphère générale dans les quartiers, mais également les soucis quotidiens et les problèmes rencontrés par la population. En professionnel averti, il renvoie chacun à la grille des programmes thématiques. Qui vers «la voix du citoyen», qui vers «hdith ou moghzal» ou encore vers «la voix des jeunes». À 9h30, il cède l'antenne. Mais sa journée de responsable des programmes ne fait que commencer. Une autre chevronnée de l'antenne, Najat Bennani pour ne pas la nommer, s'empare du micro pour dérouler l'émission familiale «Pour vous madame» («Laki sayidati». Elle accueille chaque matin un invité qualifié pour débattre de problèmes matrimoniaux, médicaux ou juridiques. Elle assurera le va-et-vient avec Mahjoub Taïki qui se déplace chaque jour à un marché de la ville ocre. Avec son accent marrakchi pur sucre, il informe les auditeurs des prix des denrées : viandes, légumes et fruits. Déployant un sens de l'humour inné, il est désormais attendu par la foule qui va parfois jusqu'à lui bloquer le passage. Une fois par semaine, il co-anime une émission sportive avec Rachid Amillat. Il est 11h30 quand Aziz Mourid programme la musique qui va conduire l'auditeur vers le décrochage vers Casa FM. MFM Atlas reprend ses émissions à 16h avec le journal régional préparé et présenté par le délicat Rachid Amillat. L'accent marrakchi pure souche accompagne les informations avec une fluidité élocutive et expressive suave. Lors de la grève musclée des professionnels du transport, Rachid Amillat put parler joliment d'un «chad lia naqtaâ lik» pour évoquer le bras de fer entre les syndicats de transport et le gouvernement. Vient ensuite le créneau des 90 minutes occupé alternativement par Mustapha Ghilmane et Hicham Lamghari. Le premier animant «la voix du citoyen» et le second «la voix des jeunes». Un spectacle vivant où nos compatriotes peuvent pointer à loisir l'ensemble des lacunes et des dysfonctionnements subis par eux : la voirie, les déchets, l'approvisionnement en eau et en électricité, l'enseignement, le chômage des jeunes, la drogue, la sécurité et des dizaines d'autres sujets préoccupant le citoyen marrakchi. «Votre radio est devenue une espèce de «Diwan al madhalim», put dire un auditeur à Mustapha Ghalmane. «Nous sommes simplement la radio qui vous écoute», rétorqua l'animateur. Proximité et interactivité Le bulletin de la bourse passé, Abdessamad Mouhieddine vient présenter «Marrakech news», le journal régional en français rediffusé le lendemain à 7h30. Aussitôt le journal terminé, Najwa Ben Hadda engage sa voix enjouée dans un rythme effréné durant une heure et demi. C'est l'émission «hdith ou moghzal». Le standard explose tous les jours entre deux chansons chaâbies enfiévrées. À 20 heures, sauf les lundi, mercredi et jeudi, MFM Atlas opère le décrochage vers Casa FM. Le lundi et le jeudi, entre 22h et minuit, Hicham Lamghari anime «Marrakech by night», récemment rebaptisé «Mask Lil». Une pléiade de saltimbanques (imitateurs, musiciens, conteurs de blagues marrakchies et autres hlayqis) font pouffer de rire l'auditoire, y compris dans les régions de Casablanca, d'Agadir et de Fès le jeudi. Le mercredi, Mustapha Ghilmane peut, sur le créneau allant de 22h à minuit, inviter des écrivains, des artistes et des associatifs à son émission culturelle «club de la culture». Le samedi, entre 13h30 et 14h30, Abdessamad Mouhieddine, assurant parallèlement la direction déléguée de la station, anime une émission économique qui changera de jour et de contenu. Elle sera dorénavant axée sur l'immobilier et le tourisme. Cette grille des programmes a rapidement conquis les Marrakchis au point de les réconcilier avec la radio. Les stocks de postes de radio s'épuisent vite dans les magasins spécialisés. Les taxis, les cafés, les ateliers artisanaux et même les bus diffusent les émissions de MFM Atlas. Les auditeurs ne cessent de téléphoner. Pour un oui ou un non. La proximité est là. Les accidents, les dérives et les incidents sont signalés par les auditeurs en temps réel. Une complicité qui a remué la fourmilière administrative : L'explosion de la chaudière dans une maison d'hôtes, l'accident grave impliquant plusieurs véhicules sur la route de l'Ourika, la mort d'un boucher à la suite du coup de corne asséné par un veau ont fait l'objet d'interruptions du cours normal des émissions pour livrer l'information à la minute même. Proximité et interactivité, disais-je. C'est sûrement là que réside le secret de l'attachement des auditeurs à MFM Atlas. Certains auditeurs ne dorment plus : ils téléphonent le matin, dès l'arrivée à l'antenne de Rachid Sabbahi. On les retrouve le soir au téléphone avec Najwa dans «hdith ou moghzal», avant de les retrouver tard dans la nuit avec l'émission intimiste «Cœurs ouverts» (qoloub maftouha » de Casa FM. À la préfecture de police, au cœur de la wilaya, dans les salles d'attente des professions libérales et jusqu'aux cellules de la prison civile et dans les chambres d'hôpitaux et de cliniques, MFM triomphe. On a même vu des Marrakchis le poste de radio collé au tympan en pleine rue ou sur la terrasse d'un café. Les GSM s'activent pour appeler la station, qui pour passer un coucou à un parent, qui pour participer à un jeu ou encore pour exposer un problème de déni de justice ou de voisinage. Des dizaines de litiges ont été réglés grâce à l'entremise des animateurs. En vérité MFM Atlas constitue aujourd'hui un véritable phénomène sociologique à Marrakech. La couverture du bassin d'audience évolue pour atteindre Essaouira, Skhour Rhamna, Chichaoua Kalât Seraghna et beaucoup d'autres villes de la région. Un phénomène linguistique aussi : ici la darija règne sans partage. La langue de bois a cédé la place au parler vrai. «Pourquoi ne l'avoir pas fait depuis quarante ans ?», s'interrogent les Marrakchis si attachés à leur accent pittoresque. «Parce qu'il n'y avait pas de radios indépendantes», répondent les animateurs. Et si ce concept était la voie royale vers la rapide construction de la citoyenneté libre et responsable ? Les animateurs de la station en sont convaincus. Leurs auditeurs aussi.