Le 19ème Sommet arabe a achevé ses travaux à Riyad, en réaffirmant l'intention de relancer l'initiative de paix arabe. Les uns considèrent que c'était un grand succès après les échecs précédents, alors que d'autres estiment qu'il reflète les consignes de Condoleeza Rice, notamment en ce qui concerne la culture de la modération et la modification des programmes scolaires. Quoi qu'il en soit, les recommandations émanant de cet évènement auront des conséquences de taille sur la situation régionale. Dans sa réponse à La Gazette du Maroc, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid al-Mouallem, a résumé la «Déclaration de Riyad» et les décisions prises par la phrase suivante: «Il faut attendre maintenant l'exécution». Et ce diplomate chevronné de poursuivre: «Néanmoins, les Arabes ont envoyé des messages aux grandes puissances ainsi qu'aux pays voisins, selon lesquels ils sont toujours en vie, ont une identité à laquelle ils sont attachés, des intérêts qu'ils tiennent à défendre, et qu'ils n'accepteront pas de transformer leurs territoires en scènes d'interventions etrangères». De son côté, le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Saoud al-Fayçal, a affirmé que le Roi Abdallah a usé du poids de son pays ainsi que de son crédit personnel dans une opération difficile qui a débouché sur la réussite de ce Sommet. Le souverain saoudien, dit-il, voulait, à tout prix, instaurer la solidarité arabe perdue et cerner les incendies qui ravagent le monde arabe à partir de l'Irak. Pour les observateurs présents dans la capitale saoudienne, le roi Abdallah ben Abdel Aziz, a surpris tout le monde par son courage et son franc-parler. Plus particulièrement, lorsqu'il annonça au nom de la nation arabe que «nous ne permettons pas à des forces en dehors de la région de dessiner son avenir». Pis encore, lorsqu'il a parlé, sur un ton triste et ferme à la fois, de la Palestine meurtrie et de son peuple privé de son droit d'avoir un Etat. Mais ce qui a le plus étonné les analystes politiques, c'est sa position concernant l'Irak et «l'occupation illégitime» et le danger de la guerre civile qui attend ce pays frère. Pour preuve, la montée hier soir, au créneau, de Nicolas Bernes, un des responsables auprès du ministère américain des Affaires étrangères, pour demander des explications aux Saoudiens. Il estima que les propos du souverain d'Arabie saoudite pourraient être mal traduits. D'autre part, il a tenu à refuser l'accusation disant que l'Irak est sujet à une occupation illégitime, en ajoutant que les forces américaines en Irak sont venues sur demande de ce pays, avec une mission cautionnée par les Nations Unies. Mais ce qui a aussi surpris les Américains, c'est la déclaration du président irakien, Jalal Talabani, qui a indiqué, dans son discours, prononcé jeudi dernier devant le Sommet, que la libération de son pays par les forces américaines «est transformée en occupation avec ses conséquences destructrices». Ce qui a poussé les analystes à se poser des interrogations sur un éventuel éloignement des Kurdes qui, jusque-là, étaient les principaux alliés de Washington et de l'administration Bush. De toute manière, cette position de Talabani s'est recoupée avec celle du roi Abdallah ben Abdel Aziz. Par ailleurs, les observateurs se sont interrogés sur la forte présence des leaders du monde «sunnite», tels que le pakistanais Pervez Moucharraf, le Turc Receb Taïeb Erdogan ou le Premier ministre malaisien Abdallah Badaoui. Certains d'entre eux sont allés loin dans leurs analyses. Ils affirment que les mondes, arabe et musulman, vont vers une partition entre Sunnites et Chiites, et que ce Sommet pourrait être une préparation de terrain et un rassemblement du premier axe qui participera dans la prochaine guerre contre l'Iran. Ce que la majorité des représentants des Etats arabes qui ont participé à cette manifestation, rejette catégoriquement. Les responsables arabes reconnaissent qu'il y a une tentative de leur faire craindre l'Iran et de son programme nucléaire. Ils sont également conscients qu'il y a un plan ou des plans visant à absorber la République islamique, ou mener une frappe militaire contre ses sites, à laquelle participe Israël. Malgré ces faits, les Arabes ne sont guère prêts à s'impliquer dans une telle agression qui finira par détruire la région toute entière. Dans ce contexte, les observateurs les plus avisés se demandent si les chefs d'Etat arabes sont inquiets ou ont peur de l'Iran ? Ce point a été amplement discuté lors de ce Sommet. Il s'est donc avéré que l'Egypte, le plus grand pays arabe, ne criant nullement ce que Téhéran fait ou prépare. Simplement parce que celle-ci est très loin géographiquement, d'autant qu'il n'y a entre les deux aucun litige. Cela s'applique également aux pays comme le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Des nouvelles donnes Quant à l'Arabie Saoudite, celle-ci entretient de multiples relations avec son voisin iranien, y compris la coopération bilatérale en matière de sécurité. Pour ce qui est de la Syrie, cette dernière est le principal allié de la République islamique. De son côté, la Jordanie ne craint pas l'Iran. Après que le souverain Hachémite ait parlé du «Croissant chiite», il a fait par la suite marche arrière sur ses propos en précisant qu'il parlait d'un «croissant politique» et non religieux. Les petits pays arabes, notamment du Golfe, préoccupés par le programme nucléaire iranien et par le radicalisme du gouvernement de Mahmoud Ahmedinejad, ne craignent pas en réalité l'Iran. Ils sont certains que cette puissance régionale n'envahira jamais leurs territoires. Ils ont beaucoup plus peur, par contre, que celle-ci soit attaquée par les Etats-Unis ou Israël. Le Sommet de Riyad, qui a discuté tous les sujets essentiels qui concernent le monde arabe, et a pris les décisions nécessaires, va créer sans doute de nouvelles donnes sur le plan régional. Lorsque le roi Abdallah ben Abdel Aziz disait franchement dans son discours que les «conflits inter-arabes ont fait perdre à la nation sa crédibilité», il a mis tous les chefs d'Etat devant leurs responsabilités. Et, par là, passer un message aux Occidentaux selon lequel beaucoup de choses vont dorénavant changer. En d'autres termes, Riyad a voulu faire comprendre à son principal allié, les Etats-Unis, que si le monde arabe participe à la stabilité de l'Irak, il faut que l'Etat hébreu réagisse positivement, sans tarder, et par là, accepter le plan de paix adopté à l'unanimité au Sommet de Riyad, sans poser de conditions ni créer des obstacles. Pis encore, la Déclaration de Riyad a fait comprendre aux Occidentaux que le rejet par Tel-Aviv de cette initiative, ouvrira les portes de la région au retour de l'extrémisme qui menacera leurs intérêts. Un retour que les pays modérés de la région seront incapables d'endiguer ou de contrer. Parmi les autres sujets essentiels discutés, pour la première fois en profondeur par les chefs d'Etat arabes, outre la question palestinienne et les engagements politique et financier, le problème du plateau syrien du Golan annexé par Israël. Egalement, la coopération économique entre les pays arabes. Sujet soulevé par l'émir du Koweit, Cheikh Sabah al-Ahmed Al-Sabah. D'autre part, on apprend de source proche du ministre saoudien des Affaires étrangères, que le roi Abdallah Ben Abdel Aziz, dont le pays préside le Sommet arabe pour un an encore, a fait savoir à ses proches, qu'il s'occupera personnellement à aider à trouver une solution pour le problème du Sahara, notamment après que le Maroc ait présenté un projet d'autonomie qui a toutes les chances d'aboutir. Riyad veut, après le succès de ce Sommet et les points enregistrés, réactiuer la solidarité arabe en essayant de résoudre les conflits existants, ou du moins, arrondir au maximum les angles de divergences. En tout état de cause, le rejet par Israël de l'initiative de paix, cautionnée explicitement par les Etats-Unis, devra souder tous les pays arabes malgré leurs divergences sur d'autres sujets. La décision de soutenir financièrement le gouvernement d'union nationale ne pourra que rapprocher les uns et les autres. Pour ce qui est de l'Irak, la détermination de l'Arabie Saoudite et l'alignement du président irakien, Jalal Talabani, ne pourra qu'aider à améliorer la situation sécuritaire interne, et par là, atténuer l'ampleur des violences. Dans ce cadre, force est de souligner que le souverain saoudien avait reçu à la veille du Sommet de Riyad, le leader kurde, Massaoud Barazani. L'entente sur plusieurs points a été enregistrée, affirma le ministre irakien des Affaires étrangères, Hochiar Zibari, lui aussi kurde et membre du Parti de Talabani. Les observateurs voient dans la riposte politique américaine, à la déclaration du roi Abdallah ben Abdelaziz, selon laquelle il considère que l'«Irak est sous occupation illégitime» un début de levée de bouclier. Reste à savoir, maintenant, si les Saoudiens ont «détecté» un changement de la position de l'Administration Bush concernant l'initiative de paix proposée par leur souverain et adoptée à l'unanimité par tous les chefs arabes présents à Riyad. Car, évoquer l'occupation illégitime de l'Irak est une prise de position que l'Arabie Saoudite n'avait guère insinuée, même lorsque les Chiites irakiens, alliés de Washington, avait été placés au pouvoir au détriment des sunnites. Le message des Saoudiens, et par là des Arabes, est allé encore plus loin, en refusant explicitement de faire de ce Sommet un tremplin contre l'Iran. Les contacts et les visites réciproques entre les responsables saoudiens et iraniens à la veille du Sommet ont, semble-t-il, calmé les esprits de certains arabes qui acceptaient de jouer le jeu des Américains et cautionnaient la frappe militaire de l'Iran. Dans ce contexte, force est de noter que le rapprochement saoudo-iranien a facilité l'«intégration de la Syrie et son acceptation à abriter à bras ouvert le prochain Sommet arabe». A part le colonel Kadhafi, qui a interdit la participation de son pays à ce Sommet, tous les autres sont apparemment d'accord sur tous les sujets discutés. Reste maintenant, comme le disait Walid al- Mouallem, l'exécution. Quant aux surenchères concernant le plan de paix de la part de certains mouvements radicaux palestiniens, on se rappelle la phrase de feu Yasser Arafat après les accords d'Oslo : «Misez sur le nationalisme des Israéliens»… Car ces derniers n'accepteront jamais de faire la paix avec les Palestiniens que ce soit avec ou sans accords signés.