Ses deux compagnons d'infortune, Lamrani Chakib (LGM 516) et Noureddine Chakir (LGM515) ont affirmé que Moumni Mourad était innocent du crime qui leur a coûté la peine de mort et à lui, une condamnation à perpétuité. Dans cette sombre histoire survenue en 2001 où un homme a été tué, Moumni, lui, clame son innocence. Mais affirme connaître les deux autres impliqués dans ce meurtre. Il dit aussi que du moment qu'il a été considéré comme meurtrier pourquoi les deux autres ont été condamnés à mort et lui à perpétuité ? Aujourd'hui, il vit dans l'attente d'une réouverture de son dossier et surtout il espère qu'un jour la justice offrira la possibilité à ses deux compères de l'innocenter. "Je ne sais pas ce qu'il faut faire pour prouver que je n'ai pas tué cet homme. Et je ne vais pas non plus enfoncer Noureddine et Chakib. Je suis ici depuis longtemps. Nous avons été arrêtés en 2001 et là, six ans après, je n'ai encore aucun moyen de m'en sortir. Mais ce qui est sûr, c'est que je n'ai jamais tué cet homme. Je ne vais pas rester en prison pour le restant de mes jours juste parce que je suis ami avec Noureddine et Chakib ! » Amer, meurtri, l'œil larmoyant, Mourad Moumni est un homme défait. Un homme qui ne sait plus comment penser au passé ni comment aborder l'avenir. Il arpente le long couloir de la mort sans but, sans idées précise, juste une obsession : comment prouver son innocence. « Je ne sais pas si un jour les juges voudront revoir mon cas, mais je ne peux pas perdre espoir. Je ne vis que dans l'attente de ce jour. Et ma famille aussi. Mon Dieu, heureusement que ma famille me soutient et se bat avec moi. Ils savent que je suis innocent et ils sont là pour moi. Autrement, je serais devenu fou ». Dans la tourmente, l'appui des siens est un réconfort sans pareil. Moumni compte là-dessus, parce qu'il est conscient aussi que son combat risque d'être long : «Je sais que si une nouvelle procédure était entreprise, il faudrait beaucoup de temps pour que je sois libre. Il se peut même que je n'aie qu'une réduction de peine. Je ne sais pas quelle tournure tout cela prendra, mais du temps, cela c'est sûr, j'en ai et je vais attendre ». Le jour du crime, instant inoubliable «Noureddine et Chakib sont des amis, On se connaît depuis des années. On a joué ensemble, on a fait les rues de Fès et il est normal que l'on soit ensemble souvent. Je ne dis pas que nous étions des anges, mais nous n'étions pas des voleurs ni des assassins. On pouvait fumer ou boire, mais sans plus. Et en plus si tous ceux qui fument sont des tueurs, il faut alors construire plusieurs prisons comme celle-ci.» Trois potes, dans l'air du temps, un peu d'insouciance, beaucoup de conneries aussi, le temps qui s'égrène, l'oisiveté, les rues, les mauvaises fréquentations : enfin, le scénario classique que peuvent vivre des milliers de jeunes au Maroc. Pourtant, un jour tout va basculer. Finies les sorties, fini le temps libre, finie la liberté, finis les joints, les litres de vin, finie la drague, fini le sexe, fini, tout est fini. «On est venu me chercher et on m'a dit que j'étais accusé de meurtre. Un homme a été tué et nous étions trois assassins. J'ai cru flipper. Tu sais quand la police vient t'arrêter pour un simple accrochage tu as peur, quand on te dit droit dans les yeux que tu as tué un homme, tu peux en mourir sur le coup. Et c'est ce que j'ai eu l'impression de vivre. Parce que du moment de l'arrestation jusqu'à la condamnation et à mon arrivée ici, j'étais comme un mort. Je ne savais rien, tout était flou.» Moumni revient sur cette période, la plus marquante de sa vie. Il était anesthésié. Rien ne pouvait venir perturber cette espèce de somnolence dans laquelle il était plongé depuis le jour où on lui a passé les menottes. Une espèce de zombie qui va se réveiller plus tard quand il sera dans sa cellule condamné à perpétuité. «Ce jour-là, j'étais loin de penser que je finirais dans ce lieu. J'avais des projets pour après, je n'avais pas l'intention de traîner encore ni de passer ma vie à perdre du temps. Et d'un coup, on m'a enterré vivant». Complicité, amitié et incertitudes «Je ne nie pas être ami avec Noureddine et Chakib. Je ne dis pas que je ne les ai pas vus durant toute cette semaine. Mais je n'ai pas tué. Ils l'ont d'ailleurs dit devant la police et devant le juge. Mais personne n'a voulu nous entendre ». Que s'est-il passé ce jour-là au juste ? Moumni assure qu'il n'a jamais été sur le lieu du crime : «Jamais je n'ai vu cet homme, jamais je n'ai tué personne. Mes amis y ont été, mais moi pas ». Mes deux amis en question ont leurs versions des faits, et elles concordent. Les deux décrivent que ce jour-là, ils avaient l'intention de commettre un larcin, les choses ont mal tourné, le type a été tué. Pas de préméditation ni de volonté de tuer. Et Moumni, où était-il, à cet instant ? «Pas avec nous » assurent Noureddine et Chakib. «J'ai une seule certitude, au moment du crime, j'étais loin des deux. Alors comment puis-je être à deux endroits différents en même temps ? Et mon Dieu, c'est simple, pourquoi ne pas croire ce que les autres disent. Ils ont bien juré que je n'étais pas avec eux. Pourquoi le ferait-ils si ce n'était pas la vérité ? Ce n'est pas un cadeau qu'ils me font, mais ils veulent laver leur conscience. » Mais Moumni sait aussi que ce n'est pas suffisant. On ne peut pas rouvrir un dossier comme ça. Il faut du nouveau et pas seulement des déclarations. Il faut apporter de nouvelles pièces au dossier, faire valoir des preuves, de nouveaux témoignages, en somme une nouvelle enquête et c'est à lui et à son avocat de s'en charger. C'est à eux de prouver qu'il n'a jamais porté de coup ce jour-là et qu'il n'a jamais participé à ce meurtre. Mais il restera toujours le problème de la complicité. Et peut-être que la condamnation à perpétuité découle de cette complicité. Duo pour un soliste ou trio infernal ? Il est difficile de savoir qui dit la vérité dans ce dossier, très épineux. Parce que si cet homme est innocent, il n'a rien à faire dans le couloir de la mort. Mais s'il a été le complice de ses deux amis, il y a bien sa place. Alors ? D'un côté, les deux amis sont prêts à témoigner. Ils l'ont déjà répété à qui voulait bien les entendre. Parce que imaginons que cette histoire d'innocence est vraie : les deux types se baladent dans le même couloir qu'un troisième, accusé pour le même motif, alors qu'il est innocent. Le poids de la conscience, les griefs, la honte, la volonté de l'aider, enfin, que des sentiments durs à assumer tous les jours et 24 heures sur 24. Imaginons aussi ce que Moumni peut demander à ses deux amis au cas où il est innocent. Il les voit comme son unique chance de sauver sa peau. Pour lui, c'est un travail de tous les instants de les solliciter : « oui, on en parle entre nous et je leur demande de m'aider. Mon Dieu s'ils peuvent me sortir de là, pourquoi je ne vais pas le leur demander ? Je vais leur parler, je les supplie de faire quelque chose. Vous savez, même la famille du type qui a été tué m'a innocenté, alors pourquoi on ne veut pas me donner une seule chance, et si je ne prouve pas mon innocence, j'accepterais mon destin. Mais je ne peux pas baisser les bras et dire que c'est comme ça.» Mais comment apporter la preuve qu'il n'a pas été sur les lieux du crime ? A-t-il un alibi, des témoins qui l'auraient vu ailleurs au moment où les deux autres ont tué leur victime ? Moumni dit qu'il peut trouver de quoi prouver ce qu'il avance, mais pour cela, «il faut aussi commencer par écouter ce que nous avons à dire, oui, nous, les trois. Il faut faire une enquête et là, on pourra dire si j'étais avec eux ou pas. Parce que je peux comprendre que la justice pense que mes amis veulent me sauver, mais s'ils disaient la vérité ? » Si c'est cela la vérité, Moumni ne pourra pas supporter de passer trente ans dans le couloir de la mort. Plus coriaces que lui, des Serial Killers, des malades, des tueurs invétérés perdent leurs moyens dans le couloir. Ils n'en peuvent plus, deviennent l'ombre de ce qu'ils étaient, mais pour un innocent, la partie est autrement plus dure. Il ne s'agit pas là d'un temps à passer au cabanon et de retrouver la vie. Si un jour, Moumni retrouvait la rue, il serait un vieillard cassé par la prison, brisé en deux, une loque, un rebut de la société, une larve, une ombre que l'air peut effacer. C'est long trente ans dans le couloir de la mort, parce que ce qui peut lui arriver de mieux, à moins d'être gracié, c'est de voir sa peine commuée de perpétuité à trente ans de prison ferme. Et les trente ans, il faut avoir le souffle long pour les tirer. « Je n'en suis pas capable. Je ne peux pas tenir ici trente ans, ni dix ni encore un jour. Je ne sais pas comment la journée se termine et comment j'arrive à dormir. Non tenir, c'est impossible. Je deviendrai fou ». Un homme dans la foule Un jour le destin bascule. Cela peut arriver à n'importe qui d'entre nous. À fréquenter de plus près des gens condamnés à mort, on apprend à relativiser. En discutant avec un homme qui a tout perdu, nous mesurons ce que nous avons, nous en concevons l'importance et surtout nous touchons du doigt la chance que nous avons encore d'être libre, de respirer l'air du dehors, de voir le soleil quand on le veut et de marcher à souhait. En prison, tout ceci se perd. La vie n'est plus la vie, pas plus que la mort n'est la mort. Rien de comparable entre deux mondes, deux univers que tout sépare. D'un côté des gens qui certes respirent encore, mais qui ne vivent pas. Ils ont perdu la vie, parce qu'un jour ils ont commis l'irréparable. Qui en est exempt, qui peut assurer sans l'ombre d'un doute qu'il est à l'abri d'une erreur, d'un acte démesuré, d'une folie ? À écouter ces hommes parler de ce qu'ils ont perdu, on se rend compte que le monde n'est le monde que pour ceux qui le perdent. Et Moumni dans tout cela ? S'il dit vrai, s'il est innocent, il est l'homme le plus malheureux sur terre.