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Prison centrale de Kénitra : Chedadi, le seigneur de la rue
Publié dans La Gazette du Maroc le 19 - 02 - 2007

Abdelilah Chedadi a été condamné en juin 2000 à la peine de mort pour un double meurtre. Natif de Derb Carloti, à Casablanca il a vite été confronté à la rudesse de l'existence. Abdelilah devient un SDF, qui sillonne les rues, fait la manche, découvre le monde de la drogue, l'alcool, les mésaventures, les bagarres, et trouve du même coup une famille composée d'autres vagabonds qui n'ont plus rien à attendre de la vie. Il redouble de beuveries dans des ruines à la sortie de la ville et voit son sérail grossir jusqu'au jour où il allonge un coup à mains nues à un autre vagabond qui tombe raide mort. On vient l'arrêter sur les lieux du crime, et l'on découvre qu'il y a d'autres cadavres qui porteraient la signature de Chedadi. Pour la police, le clochard devient serial killer et le couloir de la mort accueille un nouveau locataire.
Abdelilah Chedadi est amer. Il refuse que l'on revienne sur son enfance. Enterré, ce passé de misère qu'il ne veut plus voir en face et qu'il considère comme responsable de ce qui lui arrive aujourd'hui : «Si je suis ici dans ce trou, c'est parce que je me suis très vite retrouvé tout seul, sans parents pour me guider. Mes frères n'auraient jamais pu rien faire pour moi, puisqu'ils étaient incapables de s'en sortir eux-mêmes. Il a fallu affronter la rue, et à Derb Sultan, il faut être un lion pour survivre. Si tu n'as pas la carrure, tu te fais avoir en beauté. On ne rigole pas du côté de Derb Carloti, tu t'en sors par la force des poings ou tu y laisses des plumes. Moi, j'ai choisi de me couler dans la foule en devenant un clochard. Oui, je le dis, c'était un choix. J'étais incapable de vendre de la drogue, de voler, de faire des coups comme beaucoup d'autres. Alors, j'ai pris les choses autrement en forçant les autres à voir en moi un type misérable qu'il faut aider parce qu'il n'a personne pour le faire. Mais là non plus, les choses n'ont pas bien marché, puisque j'ai très vite plongé dans l'alcool».
Le pauvre de la kissariat El Haffari fait des siennes
Dans le quartier, on connaît bien Abdelilah. On l'appelle «le pauvre». «Meskine, le gamin avait perdu ses parents qui étaient dans une misère noire». Quand on demande à Abdelilah de revenir sur ce passé, il donne dans une économie langagière qui frise la perfection : «C'était invivable». Et il pouvait ressasser la même phrase laconique comme un leitmotiv pendant des heures. Abdelilah avoue être remonté contre la vie, le monde, lui-même, le sort, le destin, les gens, la prison, le couloir, les autres détenus… «Je ne sais pas comment les choses se sont faites, mais je me suis très vite retrouvé dans la rue. Je n'avais que cette solution. Ou alors passer des heures et des journées entières à la maison à attendre que la nourriture me tombe du ciel. Je savais qu'il fallait sortir, d'ailleurs la seule chose qui me retenait dans ce noyau familial, c'étaient mes parents. Une fois morts, je savais que tôt ou tard, je serai à la rue. Autant le faire et tout de suite». Abdelilah se souvient de sa première nuit dans la rue, à la belle étoile. Un sentiment à la fois de peur, d'excitation et de liberté : «Je ne peux pas dire que j'étais heureux, mais j'étais, différent. Je ne sais pas ce que c'était, mais c'était une chose nouvelle, étrange, qui me plaisait. En tout cas, je pouvais faire ce que je voulais, personne n'était là pour me dicter quoi que ce soit. J'étais un peu plus libre et puis, dans la rue, on rencontre des tas de visages et on part facilement à l'aventure». Du côté de la kissariat Haffari où il éculait des journées vides, on se souvient d'Abdelilah qui n'avait rien pour lui. Un garçon normal, malheureux, qui n'en menait pas large. D'ailleurs, lui-même reconnaît avoir toujours rasé les murs en attendant que des ailes lui poussent. Les jours passent entre dérives et ratages, rencontres et bagarres, coups bas et coups francs, jusqu'au jour où la carapace est montée. Abdelilah devient un gars de la rue, un ange vagabond, un clochard céleste.
La vie nous fait croiser tant de visages, mais on oublie
«Je me suis fait beaucoup de connaissances, et dans le tas, il y avait Ahmed, un ami très proche. On sortait ensemble. On était inséparables. On buvait tout le temps. On avait trouvé un coin très discret à la sortie de la ville. Une espèce de ruine pour boire et dormir tranquillement». Le feuilleton de l'amitié entre Abdelilah et Ahmed est très long et les beuveries ont consolidé les liens entre deux types qui n'avaient plus rien à espérer de la vie : «Il était presque ma famille, et moi je lui tenais compagnie. Il faut dire que dans la rue, on a toujours besoin d'allié. Ahmed était le mien, et on s'en sortait toujours». Les rapports entre les deux compères prennent des tournures de vie de couple. On ne se quitte plus, on dort ensemble dans les mêmes ruines, on fait les mêmes coups, on se débrouille les pièces de monnaie pour se payer ses litres de vinasse pour oublier le monde. Ils ne se souciaient de rien, ni de l'entourage, ni des regards des autres, ni de ce qu'on pouvait dire d'un couple d'amis pour qui la vie se résumait à boire et faire la manche en attendant des coups foireux qui ne prenaient jamais. «Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre que de boire et passer le temps en le tuant dans ces ruines où on passait toute la journée à attendre que l'on tombe dans le sommeil? Il n'y avait rien à faire. On est réduit à des animaux qui mangent, boivent et dorment sans nous laver, ni nous changer».
Et le SDF devient un alcoolo
de première catégorie
Abdelilah devient alcoolo. Il a tellement ingurgité de mauvais vin, de tord-boyaux de tous les calibres, que son corps est devenu une soupape qui ne peut plus se passer des injections à répétition pour tenir la route. Lui avait conscience de sa descente aux enfers, mais ce qui est étrange, c'est qu'il ne peut pas faire face ni se rebiffer sur sa propre chute. Un jeune homme plonge tête en avant, pieds et mains liés, vers sa propre ruine, irrévocablement décidé à ne jamais se relever. Il passe de cuite en cuite, il reçoit des coups et ne se souvient pas de qui les lui avait administrés. Il rage, il éclate et finit toujours par retrouver ses ruines, vers la route de Médiouna, une bouteille d'alcool à brûler sous le pull-over troué, le cœur lourd et assailli par tant de mauvais présages.
«Au fond, je savais que tout cela ne pouvait durer indéfiniment. Un jour ou l'autre, il faut changer de vie, trouver un moyen de s'en tirer. Je n'avais aucun courage, j'étais un homme vidé. Je n'avais pas plus de vingt-quatre ans, et j'étais déjà un vieux bonhomme. Je traînais mon cadavre derrière moi, et croyez-moi, il y a des jours où j'ai souhaité ne pas me réveiller. Mais chaque matin, il fallait recommencer. Les mêmes trucs, toujours et toujours».
Les mêmes rites d'un jeune homme que l'alcool tuait à petit feu. En plus, Abdelilah découvre avec d'autres connaissances qu'il peut mélanger son vin à des anxiolytiques. Là, il entre de plain-pied dans des paradis infernaux où il n'y a que la colère qui puisse tenir lieu de vie. «Quand j'ai commencé à me droguer au Karkoubi, là j'ai compris que plus rien ne pouvait m'arriver de bon. J'étais comme un chien enragé. Je ne faisais que gueuler à longueur de journée. Je ne sais pas comment j'ai fait pour vivre pendant des mois où les seuls souvenirs qui me restent aujourd'hui sont ceux d'une épave jetée dans la rue».
Le Matricule 25714 passe à l'acte
«Nous avions l'habitude de boire dans cette ruine sur la route de Médiouna. On y allait à plusieurs. Moi, Ahmed et d'autres types qui n'étaient là que pour picoler et sombrer comme moi. Evidemment, les choses tournaient mal des fois, mais sans trop de gravité. On se bagarre, on gueule et puis on passe l'éponge. Vous savez, dans ce milieu, on peut s'étriper et le soir reprendre la bibine ensemble comme si de rien n'était». Ce qu'Abdelilah dit c'est que dans une communauté de laissés pour-compte, les rixes, la haine comme l'amour et le partage sont dictés par l'instant. Quand on vit au jour le jour, on est huilé pour ne plus se laisser atteindre. On ne l'apprend que trop à plus forte raison quand on sort de nulle part et que la vie nous vous a pas épargné son côté hideux. Qu'est-ce qui retient un homme qui sombre dans le gouffre du suicide ? Rien, pourtant, Abdelilah ne peut pas franchir ce pas. Il s'accroche à la vie, mais quelle vie ? Il dit que c'était plus fort que lui. Il en avait ras-le-bol de toute cette vie de misère, des bagarres, des coups donnés et reçus, des cuites, des maux de tête, des crampes à l'estomac. Mais il fallait remettre le couvert le lendemain, reprendre là où on a laissé la dérive, pousser encore plus loin, plus bas, dans les profondeurs de la perdition. « J'étais perdu et je ne faisais que me regarder devenir un chien enragé.» Dans ce brouillard, les frères, les autres, le passé, le souvenir des parents est oublié.
Un jour de beuverie enflammé, Abdelilah retrouve sa cachette sur la route de Médiouna. Il y va avec deux autres amis. «Nous sommes allés boire et passer le temps. Il y avait un gamin avec nous, Un gosse de la rue qui nous fréquentait. Une fois sur place, on rencontre mon ami Ahmed que Dieu ait son âme avec trois autres types que je connaissais. On se dit bonjour et chacun de nous commence à boire. Ahmed se lève, vient vers nous et commence à attaquer le gamin. Moi j'ai très vite compris. Je l'ai laissé faire, puis à un moment, j'ai piqué ma crise et j'ai demandé à Ahmed de laisser le gosse tranquille. Ahmed me pousse, puis me frappe, un bon coup de poing dans la gueule. J'ai répliqué avec un direct et Ahmed est tombé. Je ne l'ai pas vu se relever, je me suis dit qu'il restera là à cuver son alcool. Entre temps, un des types qui était avec le groupe est parti, soi disant, pour chercher quelque chose. Il reviendra avec la police. On essaie de lever Ahmed, et c'est là que l'on s'est rendu compte qu'il était mort. On m'embarque au 7ème arrondissement et on me dit qu'il y a un autre type que j'ai tué à Derb Omar. On me fait signer la déposition sans que je branche parce que j'avais peur.
Et là je me suis retrouvé devant deux cadavres».
La mort peut attendre
Abdelilah Chedadi se voit inculpé pour un double meurtre. Un cadavre dans cette ruine de la route de Médiouna suite à un coup de poing. Il y a des témoins qui ont dit que Cherradi n'a pas eu recours à une quelconque arme. «Je lui ai donné un coup et il est mort. Je n'arrive pas à le croire. Il était donc sur le point de mourir et moi je me suis fait avoir par ce type, que Dieu ait son âme parce qu'il était mon ami et que je ne voulais pas qu'il meure. Puis, on me colle un autre meurtre. Là, je ne suis pas d'accord. Je n'ai pas tué ce type et je n'ai jamais fréquenté le quartier où il a été tué». Le quartier en question, c'est Derb Omar, un autre vagabond a été laissé pour mort dans ce coin et on cherchait depuis un an le criminel. Le jour où Abdelilah tombe, la police a conclu, suite à ses investigations, que c'était lui l'assassin. «Pour Ahmed, je suis d'accord, il est mort quand je l'ai frappé. Mais ce type de Derb Omar, croyez-moi, je suis innocent du sang de ce bonhomme. Mais bon ! Personne n'a voulu me croire. Maintenant, après six ans, je peux jurer que pour mon Ahmed je veux payer ce qu'il faut, mais un autre crime qu'on me met sur le dos, là c'est injuste». Difficile, du reste, de savoir la vérité. La police tenait son homme et elle avait ses preuves. Abdelilah était un clochard qui buvait et se droguait. Il y avait dans le tas ce gamin qu'Ahmed voulait violer. Pour la police, l'affaire était entendue. Un clodo, c'est du sérieux, surtout quand il passe à l'acte et tue un homme. Le danger est réel. Alors comment faire? On a tranché. Et Chedadi doit passer sa vie au pavillon B du couloir de la mort. «Je n'habite pas avec tout le monde dans le couloir. C'est très dur pour moi. Je vis depuis longtemps à l'infirmerie pour être loin des autres et des problèmes. Ici, ce n'est pas la rue. Ici, c'est très dur. Alors, je préfère cet isolement que de me retrouver face à face avec des gars plus forts que moi et qui ont la vie dure et veulent souvent en découdre avec des gars de mon espèce. Je ne sais pas comment les jours seront plus tard, mais déjà je suis très fatigué. Je n'en peux plus. J'ai très peur et les choses ne semblent pas s'arranger. Chaque jour, je m'enfonce davantage et il faut croire que ce qui me reste à vivre, c'est l'enfer».


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