La récente tournée du Président russe au Moyen-Orient semble, théoriquement, apporter ses fruits. On parle d'une possibilité de coopération nucléaire avec Riyad et d'un accord avec le Qatar portant sur l'étude de la création d'un cartel gazier. Pour l'instant, Washington n'a pas dit son dernier mot. La région du Moyen-Orient, qui possède les plus importantes réserves d'énergie de la planète, est devenue aujourd'hui la scène sécuritaire de tous les dangers et de toutes les incertitudes. De ce fait, les analystes géopolitiques estiment que la tentative du Président russe, Vladimir Poutine, visant à construire un pont entre son pays et les Etats du Golfe, constitue un pas positif. Si ces experts considèrent, par ailleurs, que les intérêts commerciaux sont à l'origine de la préoccupation russe par les riches pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe), il y a, cependant, deux facteurs stratégiques qui expliquent cette orientation. Il s'agit d'abord du retour du rôle de la Russie grande puissance. Même si ce «come-back» se fait graduellement mais sûrement. Notamment, après la chute du régime de Saddam Hussein en Irak. Deuxièmement, la crainte de la part de Moscou d'un scénario sécuritaire au Moyen-Orient et ses répercussions néfastes sur toute la région du Caucase et de l'Asie Centrale, sans écarter la Russie elle même. Pour ces raisons, Moscou veut maintenant faire connaître ses visions, se prépare à participer par le biais de ses efforts diplomatiques, critiqués, à instaurer la stabilité dans la région. Quoi qu'il en soit, il est improbable que la Russie aille jusqu'à défier les Etats-Unis et toucher leurs intérêts au Moyen-Orient. Ce, même si Poutine a, à partir de Berlin, à la veille de sa tournée, critiqué vivement le renforcement par Washington de ses effectifs militaires dans le Golfe et, par là, l'a accusé de pousser vers l'instabilité dans le monde. L'objectif du «Cardinal gris», nom de code de Poutine au sein des services de renseignement russes le KGB du temps de l'ex-URSS, consiste à rappeler aussi bien les Etats du Moyen-Orient que les Etats-Unis que la Russie est capable de «boucher un nombre important de trous». La visite de Poutine, plus précisément en Arabie Saoudite et au Qatar, est la première du genre dans l'histoire des relations diplomatiques entre la Russie et les pays du Golfe. En janvier dernier, le secrétaire du Conseil national russe de sécurité, Egor Ivanov, avait déclaré que «la Russie devra élargir les horizons du dialogue politique avec le Qatar, le Koweit et le Bahrein. Elle devra renforcer la coopération économique avec l'Arabie Saoudite». Dans ce contexte, force est de noter que Moscou et les Etats du Golfe sont arrivés à mettre en place un agenda commun, ce, après une longue période de froideur. Les deux parties ont fini par instaurer les bases d'une coopération dans les domaines des hydrocarbures, la lutte contre le terrorisme et aussi l'achat d'armement. Ce tournant au niveau de la coopération se concrétise dans le cadre de l'intention des pays du Golfe, d'une part, de diversifier ses partenaires et, de l'autre, de réviser les limites de l'influence des Etats-Unis qui sont considérés toujours comme étant l'unique garant de la sécurité de la région. Pragmatisme de part et d'autre Sur le plan économique, les Etats du Golfe sont conscients que la Russie, en tant que plus grand producteur du pétrole hors OPEP et du gaz naturel dans le monde, a une influence exceptionnelle sur les marchés internationaux de l'énergie. Ce qui rendra crédible ses «prétentions» affirmant qu'elle est le seul Etat garant de la sécurité internationale de l'énergie. En effet, le pays de Poutine avait produit, en juin dernier, 9,236 millions de barils/jour. Une quantité qui dépasse de 46 000 barils celle produite par l'Arabie Saoudite. C'est pour cette raison que cette dernière avait, lors de la visite en 1993 du prince Abdallah ben Abdel Aziz, actuel roi, signé à Moscou un accord de 5 ans de coopération dans les domaines pétrolier et gazier. Coopération qui, après la visite de Poutine, aura tendance à se consolider. Les déclarations émanant du ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud Al-Fayçal, selon lesquels «il n'y a aucun obstacle qui entravera le développement de la coopération dans tous les domaines entre nos deux pays, y compris l'achat d'armement et l'énergie nucléaire. De plus, on apprend que Moscou joue un rôle important dans le rapprochement en cours entre Téhéran et Riyad. Pour preuve, la visite de l'émissaire du roi d'Arabie, le prince Bandar ben Sultan à Téhéran et à Moscou dans un intervalle de 48 heures. A Doha, la deuxième escale dans la tournée de Poutine, on n'hésite pas à révéler que l'idée de la création d'un cartel gazier, à l'instar de l'OPEP a été sérieusement discutée. Ce petit pays du Golfe est aujourd'hui le 3ème plus grand Etat mondial, après la Russie et l'Iran, à produire le gaz naturel. Du fait que la moitié des réserves mondiales de ce gaz se situe dans les pays membres de l'OPEP, la discussion de l'idée de la création de cette nouvelle entité revêt aujourd'hui une importance assez particulière. Cela ne peut se faire, d'après le ministre qatari du pétrole, Abdallah al-Attia, que si Moscou hausse le niveau de sa représentation actuelle auprès de l'OPEP du rang d'observateur au rang de membre actif.Dans le cadre des projets complémentaires, en liaison avec la commercialisation de l'énergie, il y a énormément d'occasions pour développer la coopération économique entre les Etats du Golfe et la Russie. Les compagnies pétrolières de ce pays tentent de participer dans des projets en joint-venture avec l'Arabie Saoudite. En contrepartie, les sociétés saoudiennes pourraient investir dans les secteurs des ressources naturelles, de l'immobilier et dans l'industrie de l'aviation et dans le domaine spatial russes. Mis à part les accords de principe sur l'acquisition par l'Arabie Saoudite lors de cette visite de Poutine de 150 chars «T190» et des hélicoptères de type «MI- 17», Riyad est considéré comme un client exemplaire, notamment, sous le parapluie de l'«initiative du gaz» dont le coût est évalué à 25 milliards de dollars. Un accord qui avait été discuté en 2003. Cette initiative porte sur les domaines de l'énergie électrique, la création d'installations pour exporter le gaz naturel liquéfié, et les stations de dessalement de l'eau de mer. D'autre part, force est de souligner que la compagnie pétrolière russe, Lukoil, réalise le plus grand projet gazier dans la partie nord du désert d'Al-Rubaâ al-khali. Dans ce même ordre de percée russe, la société Gazprom montre un intérêt grandissant pour participer à la réalisation de projets communs avec le Qatar en matière de production du gaz et la construction de raffineries à Doha. Autre domaine que la Russie tente, à tout prix, d'élargir l'éventail de sa clientèle, c'est l'armement. Moscou ne veut pas se contenter d'avoir la Chine et l'Inde, notamment après avoir perdu de gros marchés tels que ceux de la Syrie, de l'Irak et de la Libye, mais de gagner les pays du Golfe. Ces derniers, qui sont aussi demandeurs, cherchent à avoir de nouvelles sources en dehors des Etats-Unis. Si la Russie occupe la 3ème place des exportateurs d'armements dans le monde après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, néanmoins, elle avait vendu plus de 7,1 milliards de dollars d'armes en 2005. Un chiffre plus important que celui réalisé par les Américains. Au cœur des solutions Sur le plan politique, Moscou possède beaucoup d'atouts qui pourraient l'aider à jouer un rôle assez influent dans la solution des crises de la région du Moyen-Orient, notamment en Iran, en Irak et au Liban et, surtout, au niveau du conflit israélo-palestinien. Il ne faut pas oublier que Moscou est membre du Quartette et possède de bonnes relations avec le mouvement islamique Hamas. Ce qui la placera dans une meilleure position que les autres membres de ce comité international. La réconciliation à La Mecque entre Fath et Hamas, et, par là, leur accord à la formation d'un gouvernement d'union nationale, en plus de la réunion tripartite prévue au courant de ce mois entre Palestiniens, Israéliens et Américains, facilitera sans doute le rôle de la Russie. Celle-ci qui, selon des sources concordantes à Riyad, exercera conjointement avec Riyad des pressions afin de relancer les négociations de paix entre les parties concernées. Pour ce qui est de l'Iran, Saoudiens et Russes se sont mis d'accord pour déployer des efforts supplémentaires pour atténuer toutes les tensions. Ce, notamment après que Washington ait renforcé son armada maritime dans les eaux du Golfe. Si les pays de cette région contestent les ambitions d'hégémonie iranienne en ayant recours à l'arme nucléaire, ils craignent, d'autre part, une aventure militaire américaine qui aboutira à l'instauration de l'anarchie totale dans la région. Alors que Moscou pourra user de son influence pour raisonner les Iraniens, elle est capable, d'un autre côté, d'utiliser on poids au Conseil de sécurité pour endiguer toute résolution qu'elle estime exagérée. La Russie qui développe la centrale nucléaire de Bouchhar pour le montant de 800 millions de dollars, qui a aussi aider les Etats membres de l'organisation de Shanghaï pour la coopération à accepter Téhéran comme membre observateur a donc la possibilité de la convaincre à rassurer ses pays voisins du Golfe. Ce, sans oublier que Moscou a livré à l'Iran un système balistique de défense aérienne du type «Tor M I» en décembre dernier pour un montant de 700 millions de dollars. A côté des intérêts économiques et de la récupération du rôle perdu, la visite de Poutine en Jordanie revêt elle aussi une importance particulière. On apprend dans ce sens, que les discussions ont porté sur les domaines de coopération dans la lutte contre le terrorisme international. Alors que nous remarquons que les pays du Golfe ont généralement réussi à absorber les dangers émanant des intégristes, Moscou peine toujours à mettre fin aux activités des «insurgés» tchétchènes que nombreux citoyens des pays du Golfe continuent à aider par différents moyens. Alors que la Russie et les Pays du Golfe tentent d'évaluer les côtés positifs et négatifs des intérêts communs découverts récemment, notamment lors des visites de Poutine, le concret sera lié à la réaction de Washington. Celle-ci n'a pas tardé à passer les messages à travers ses ambassadeurs à Riyad et Doha qui laissent comprendre que l'administration Bush est contrariée de l'accueil très chaleureux consacré à Poutine et des déclarations des responsables saoudiens et qataris qui, selon elle, sont allés très loin en matière de coopération dans les domaines du gaz, de l'armement et du nucléaire. Ce qui laisse conclure que cette dernière sera confrontée à beaucoup d'obstacles et d'embûches dans les prochains mois.