Que pourra plaider la défense du Marocain Jamal Zougam lors du procès qui s'ouvre le 15 février à Madrid sur les attentats de Madrid le 11 mars 2004 ? La Gazette du Maroc a eu accès au rapport de la commission du 11 mars, présenté devant le Congrès espagnol et livre ici quelques points qui pourraient changer la face de ce jugement. Retour sur les tâches noires du dossier du 11 mars. "Il est trop tôt pour parler de plaidoiries pour le moment. Ce procès risque de durer longtemps. Mais il est sûr que de nombreuses pistes ont été creusées et les juges devront écouter les avocats de Jamal Zougam et surtout répondre à ses demandes dans le cadre de la loi». En effet, ce qui émane ici d'un bureau d'avocats très connu sur la place à Madrid vient confirmer les déclarations de plusieurs spécialistes du terrorisme en Espagne qui affirment que ce procès pourrait révéler beaucoup de choses «cachées». Jamal Zougam semble avoir, durant les trois dernière années, peaufiné sa défense. Certains iront même jusqu'à dire que «ce qu'il dira devant les juges pourra faire l'effet d'une bombe». Que dira-t-il ? Et quels sont les éléments cachés de cette affaire ? Pour mieux cerner les paradoxes des enquêtes liées aux attentats de Madrid, aux différentes investigations et aux conclusions tirées, il faut revenir un peu en arrière. D'abord un premier point : la commission du 11 mars qui a présenté son rapport devant le Congrès espagnol. Une commission d'enquête qui devait jeter la lumière sur les tenants et les aboutissants du 11 mars madrilène. On s'en souvient, ladite commission a été un fiasco. Témoignages contradictoires, scandales et bagarres, de faux témoins, des noms erronés et surtout des conclusions hâtives pour boucler un dossier désormais connu aussi sous le nom de «l'énigme». La faillite de la commission après un an d'investigations préfigurait la suite des évènements et laissait présager un rapport d'enquête tout aussi bancal. Ce qui n'a pas raté, puisque le rapport du juge Juan Del Olmo déposé devant les juges, s'est avéré, selon tous les analystes antiterroristes en Espagne, un rapport bâclé et sans fondements. «Ce n'était pas sérieux, et pour une affaire qui a secoué l'Espagne, il fallait un travail plus rigoureux, ce qui n'était pas le cas», souligne ici un député du PSOE. Que s'est-il passé alors ? Le point capitale de tout ce dossier est la Kangoo trouvée quelques heures après les attentats de Madrid. Pièce maîtresse pour incriminer le Marocain et ses «complices», elle peut aussi être la pomme de discorde sur une éventuelle révision de toute l'enquête. C'est très simple, 40 policiers ont établi un rapport attestant que la fourgonnette Kangoo trouvée sur le site des attentats de Madrid et que la justice a décrit comme celle des islamistes marocains, appartient en fait (preuve à l'appui) au groupe Mandragon. C'est une information qui émane du bureau même du juge Juan Del Olmo qui vient de mettre la main sur un dossier dont il ignorait l'existence. Pas plus, d'ailleurs, qu'Angel Acebes du parti populaire alors ministre de l'Intérieur sous le gouvernement Aznar, et qui était en charge de superviser les premières investigations sur le 11 mars 2004. Du haschich contre 200 kilos de Goma 2 Du dossier de la police, on apprend «que le premier policier qui a découvert la voiture et la carte du groupe Mandragon a immédiatement averti ses supérieurs». On peut aussi y lire plus loin que «40 agents de la police ont entendu cette information qui met en cause de façon directe ETA et ils ont établi des rapports dans ce sens». Mieux encore, et c'est là le hic de toute cette affaire bizarre, «ni Acebes ni Del Olmo n'ont été mis au courant». Qui avait intérêt à ce que l'information ne circule pas ? De la réponse dépend la suite du procès de Jamal Zougam. Puisque, selon un juge de l'Audience nationale à Madrid, contacté par LGM, «cela change toutes les données. Devant une preuve aussi irréfutable, il faut tout revoir». Un autre point fondamental est celui relatif à la date du 29 février 2004. En effet, le 29 février, à bord de sa Volkswagen noire, Jamal Ahmidan dit El Chino fonce vers les Asturies avec Abdennabi Kounjaa, une vieille connaissance de Tétouan, au Maroc. Les enquêteurs ont reconstitué l'itinéraire des deux hommes ce jour-là. Kounjaa, 29 ans, et Ahmidan échangent 200 kg de Goma-2 contre du haschisch. De retour vers Madrid, ils subissent trois contrôles de police. Celle-ci leur inflige des amendes pour excès de vitesse et absence de permis de conduire... Ils payent cash, et on les laisse passer. Les question qui se posent sont les suivantes : Y a-t-il eu des contacts téléphoniques durant toute cette période entre El Chino et Zougam ? La réponse émane de la police : «Non». Qui a négocié les explosifs ? El Chino aidé par des Espagnols comme Suarez Trashorras et Antonio Toro par l'intermédiaire de celui que l'on nomme Lavandero. Les trois Espagnols avaient-ils des liens avec Zougam ? Encore une fois, la police répond : Non. Le seul lien avec Jamal Ahmidan et Kounjaâ est que tous les trois sont originaires du Nord du Maroc. S'étaient-ils connus à Lavapiès, le quartier marocain de Madrid ? Oui, mais il y a au moins 10 mille Marocains qui se connaissent dans le quartier, nous dit un avocat. Un autre élément risque de faire changer la donne : le 3 mars, les terroristes achètent une dizaine de téléphones portables, des Trium T-110, et 200 cartes téléphoniques rechargeables. Chez qui ? Le magasin de Jamal Zougam de la rue Tribulete à Lavapiès. Ils se retrouvent dans la ferme de Chinchon, Murata de Tajuna et Jamal Ahmidan selon le rapport de police, qui dirige le commando. Grâce à ses amis dans la mine, El Chino sait manier la dynamite Goma-2. Il initie le groupe depuis janvier. Du 8 au 10 mars, ils mettent au point treize bombes rudimentaires, semblables à celles utilisées contre les discothèques de Bali le 12 octobre 2002 (202 morts) : la charge explosive est reliée par deux fils de cuivre à un portable. Pour accroître l'effet meurtrier, de la mitraille est collée sur une sorte de gélatine. Le 10 mars, vers 18 heures, les islamistes règlent le réveil des portables sur «7 h 40». Et éteignent les appareils, car un appel prématuré provoquerait une explosion. Le tout est placé dans des sacs, chaque homme étant chargé de 10 kg de Goma-2. Là, non plus, la police ne dispose d'aucune preuve solide contre Zougam. Seuls les téléphones portables ont été achetés dans sa boutique. Mais «c'était son boulot de vendre des téléphones», rappelle un autre avocat. A t-il fait le voyage à la ferme de Chinchon ? La police dit ne pas disposer de preuves. A-t-il posé une bombe ce matin du 11 mars 2004 ? Il y a là un grand vice de forme qu'il faut élucider. Le seul témoin contre Zougam est un autre Marocain poursuivi par le même Zougam pour «coups et blessures à l'arme blanche». Ce Marocain a déclaré devant la police avoir vu Zougam à la gare d'Atocha. Un témoignage qui n'engage que le témoin qui, du reste, doit répondre de plusieurs mois de prison pour avoir attaqué Zougam. Curieux tout de même que la police n'ait trouvé qu'un ennemi de Jamal Zougam pour témoigner de sa présence le matin du 11 mars à la gare où les attentats ont eu lieu ! «L'enquête reste ouverte pour nous, et le juge Del Olmo a la responsabilité de ce qui ne va pas dans ce dossier. Pour nous, il est sûr que de fausses informations ont été apportées pour remplir ce rapport, car jusqu'à aujourd'hui, nous avons une enquête qui se base sur des faits mystérieux». C'est en substance ce que les porte-parole du parti populaire espagnol avancent devant le Congrès espagnol. Les populistes semblent convaincus de ce qu'ils avancent et demandent aux socialistes de répondre à plus de 200 questions qui restent dans l'ombre. Le même type de questions qui vont refaire surface lors du procès de Jamal Zougam. Ils les prennent comme cheval de bataille pour démontrer l'inanité du travail de Del Olmo trois faits marquants qui s'ajoutent à ceux de Jamal Zougam et son témoin «bizarre», Basel Ghalyoun et ses liens, Rabei Osman Essayed et ses déclarations. Il s'agit, entre autres, du témoin protégé du juge Del Olmo dont La Gazette a eu le nom. Il est question d'un dénommé Javier Lavandera et du témoignage d'un gardien de la station de train de Alcalà qui a dit «avoir vu les personnes avec les sacs d'explosifs parler en espagnol avec un autre gardien qui répond au nom de Luis Garrudo». Et si les assaillants n'étaient pas des Arabes (encore moins des Marocains) mais des Espagnols? Parce que ledit gardien a précisé que ce n'étaient pas des étrangers, mais bel et bien des gens du pays. Zougam, Ghalyoun et les autres Marocains du procès du 11 mars sont tellement typés qu'il n'y a pas de doute sur leurs origines. Alors ? La question reste posée : qui a fait le 11 mars ? Ce qui met la justice au pied du mur dans ce sens que «90% des preuves restent à être vérifiées».