Applicabilité des lois, ijtihad, séparation de la religion et de l'état, Aicha Khamlich a représenté le modèle marocain, passé en revue les autres pays arabes et s'est distinguée par un franc-parler pointilleux. La membre du Conseil Consultatif des droits de l'homme nous dresse un état des lieux? La gazette du Maroc: la Tunisie célèbre 50 ans du code du statut personnel. Comment évaluez-vous l'expérience tunisienne par rapport à la marocaine ? Lors de notre campagne pour la réforme du code du statut personnel marocain, celle de la pétition à 1 million de signatures, nous avions pour exemple le modèle tunisien et voulions atteindre son niveau. Le code du statut personnel tunisien était précurseur. Mais il ne faudrait pas oublier que c'est le législateur tunisien qui a accordé autant de droits à la femme tunisienne, juste après l‘indépendance. C'était la volonté du président Habib Bourguiba, celle d'un état. Alors qu'au Maroc, nous parlerons de lutte et de combat. Ce sont la société civile marocaine, les mouvements féministes et les forces progressistes démocratiques qui ont lutté pour établir ces droits. Nous avons réussi à proposer le projet de loi. La moudawana a été promulguée. Nous avons réussi à instituer l'égalité de l'homme et de la femme en terme de responsabilité au sein de la famille, chose qui manque au code du statut personnel tunisien. D'ailleurs les tunisiens commencent à s'inspirer de la moudawana pour des réformes telle que l'unification de l'âge du mariage. Au Maroc, il est de 18 ans pour l'homme et la femme alors qu'en Tunisie, il est de 17 ans pour la femme et 21 ans pour l'homme. Actuellement l'unification de l'âge du mariage est discutée au parlement tunisien. Un autre acquis marocain suscite l'intérêt, celui de l'égalité des petits enfants à l‘héritage des grands-parents. Autrement dit, la Tunisie s'inspire des acquis positifs marocains. Aujourd'hui, la moudawana marocaine accorde des droits importants à la femme marocaine. Il s'agit d'acquis incontestables, bien qu'à mon point de vue, ce dossier demeure ouvert à d'autres changements. Cela suppose que des lacunes subsistent encore, quelles sont-elles? Evidemment. Le divorce par exemple. Il suffirait d'étudier la moudawana pour s'en rendre compte. L'homme détient toujours en mains les clés du divorce. Il y a le problème de la polygamie. Bien qu'on exige des justificatifs et autres , le fait même d'établir des exceptions autorise la polygamie. Nous avons demandé l'abolition de la polygamie. Parce que tous les justificatifs et raisons invoqués ne cautionnent pas la polygamie. Dire que la femme est malade, cela justifierait un second mariage et par conséquent, un manquement aux droits de la femme. Imaginons un instant l'inverse: que l'homme est malade, la femme devrait-elle supporter son mari ou pas? La simple raison récuserait la polygamie, du fait de la valeur humaine universelle de l'homme et de la femme. Nous pourrons toujours évoquer la tutelle. À l'âge de 18 ans, l'homme et la femme sont responsables. Ils sont aptes à endosser la responsabilité familiale et parentale. La tutelle d'ailleurs est à l'origine d'un autre problème dont souffrent les cours marocaines, celui du mariage des mineurs. Le mariage de la mineure veut dire le mariage avec une enfant. C'est inconcevable. Mais des dérogations sont accordées par certains juges. Les familles recourent aux subterfuges. Sous prétexte que les fiançailles dureraient un an ou deux, elles décrochent la dérogation, Nous assistons donc au mariage de la mineure. Ce que la femme a acquis d'un côté, il lui est extirpé de l'autre. N'empêche que les acquis de la moudawana demeurent importants. Qu'en est-il de l'applicabilité de ces droits ? Il ne suffit pas de promulguer des lois, encore faut-il créer et établir des mécanismes d'application. Et c'est ce dont on souffre actuellement. Les décrets d'application ne sont pas encore assimilés, il faudrait former les juges. Il faudrait qu'ils s'imprègnent de l'essence de la moudawana. Malheureusement, il y a encore des mentalités à changer, certains juges se réfèrent encore aux anciens textes. Le pire c'est le cas, désormais célèbre de Larache, celui du juge qui autorise la polygamie sous prétexte que sa femme n'est plus capable de le servir. On ne peut pas interdire définitivement la polygamie. Les détracteurs de l'abolition de la polygamie invoquent la chariaa qui l'autorise: l'homme ne peut interdire ce que Dieu permet. Non, il y a une condition. Certes, la polygamie est permise, mais à une condition: l'équité entre épouses. Or le coran est clair, « wa lan taadilou », autrement vous ne serez pas équitables. Il est difficile voire impossible pour la nature humaine de l'être. En somme la condition sine qua non disparaît, la permission de même. Quant aux justificatifs socio-économiques souvent exposés, c'est un autre registre qu'on pourrait traiter séparément. Vous avez proposé de recourir à l'ijtihad pour répondre aux exigences contemporaines, donnant l'exemple de la polygamie. Parlons de cette approche. L'origine de l'ijtihad c'est de tenter de résoudre les problèmes actuels par une relecture de la religion. Or les doctrines et mouvements religieux se télescopent se contredisent en matière d'interprétation des textes sacrés. Des interprétations qui relèvent de l'idéologisation de la religion. Lors des premiers ijtihad, il s'agissait de répondre aux besoins de la société. Ces mêmes interprétations ont été sacralisées par la suite. Or les sociétés se développent, muent, et les interprétations régressent ou demeurent les mêmes. Le problème c'est que nous avons confié le sort de la femme et de la famille aux interprétations convergentes des doctrines et mouvements. C'est le cas pour la femme musulmane. Pourquoi dans les pays arabes, dont la religion étatique est l'islam, le législateur se conforme aux mouvements et madahib internes? Pourtant, il s'agit de la même religion.. Pourquoi ne pas appliquer cette rigueur à d'autres secteur: l'économie, par exemple. La femme tunisienne est la même que femme marocaine, saoudienne ou yéménite. Elle a les mêmes caractéristiques humaines, universels indépendamment de sa nationalité. Nous assistons à une idéologisation de la religion, à sa politisation et là il s'agit d'enjeux politiques avant tout. Vous avez évoqué lors de la conférence « législation et jtihad » la séparation de l'état et de la religion? Le sujet prête à confusion. Les personnes confondent laïcisation et athéisme. La séparation de la religion et de l'état est considérée par la majorité comme un reniement de la religion. C'est assez complexe, difficile dans les pays puisant leur légitimité dans la religion. Au Maroc, notre constitution explicite clairement notre appartenance, l'Emirat des croyants … Il suffit de lire le chapitre 19 pour s'en persuader. Actuellement on ne peut prétendre à cela, il faut simplement éviter l'idéologisation et la politisation de la religion. Qu'elle demeure de l'ordre du sacrée, de la foi, sans être utilisée à des fins strictement politiques et idéologiques.