Jeune et dynamique, Karim Ghellab est un homme de terrain. Ministre de l'Equipement et du Transport, il nous parle de la réforme portuaire et explique son point de vue concernant ce sujet. Malgré, les difficultés que connaît ce secteur, il pense que la réforme aura un impact positif. Il nous livre également son approche politique et défend le bilan de l'équipe Jettou. LGM : Votre ministère a entamé la réforme portuaire. Cette dernière n'a pas été acceptée par la totalité des intervenants dans ce secteur. Qu'en est-il ? Karim Ghellab : La réforme portuaire vise, d'abord, la mise à niveau de ce secteur. Ce dernier est crucial pour l'économie marocaine. 90 % des exportations passent par les ports. Tout surcoût ou tout ralentissement pénalisent toutes les industries qui sont à l'amont. A titre d'exemple, les exportations du textile vers le marché européen sont tributaires de la chaîne logistique et les ports sont une partie fondamentale dans cette chaîne. On cherche à travers cette réforme à améliorer les performances des ports marocains pour permettre aux entreprises marocaines exportatrices et importatrices d'être compétitives. Il y a trois objectifs dans cette réforme… Lesquels ? D'abord, il faut rappeler que s'il y a un problème de surcoût et de délais (perte de temps), c'est parce qu'il y a une rupture de la chaîne de manutention. L'un des objectifs de la réforme est d'unifier la chaîne de manutention : même opérateur à bord et sur les quais. Aujourd'hui, sur les quais, c'est l'ODEP et à bord c'est les stevedoors, sociétés qui opèrent à bord des bateaux. De plus, ce secteur est monopolistique. Quand un bateau rentre dans un port marocain, il ne choisit pas avec quel opérateur il peut travailler. À bord, les stevedores sont organisés en oligopole et imposent le choix de l'opérateur et les prix. Sur les quais, l'ODEP opère en monopole public. La réforme permet à l'ODEP de passer à bord et aux stevedores de traiter la marchandise sur les quais. L'objectif étant de créer l'environnement propice à la concurrence au sein du même port et entre les ports en permettant au client de choisir un manutentionnaire sur la base du prix, des délais de traitement, stockage ou autres services logistiques à forte valeur ajoutée. Troisième objectif important de la réforme, la séparation des missions d'autorité portuaire et celles purement commerciales de manutention portuaire. Que voulez-vous dire par ce dernier point ? L'ODEP a toujours opéré avec deux casquettes : autorité publique portuaire et opérateur commercial monopolistique à quai. Pour que le secteur puisse se développer sainement et attirer des investisseurs privés, il est primordial de séparer ces deux missions et donner de la visibilité de régulation au secteur. La réforme crée une SODEP, société commerciale et l'Agence de régulation portuaire, autorité publique chargée du contrôle transparent de l'ensemble des opérateurs selon des cahiers de charges précis. Pourquoi, alors, cette réforme ne fait pas l'unanimité ? Vous ne trouverez pas une personne, opérant dans le port qui remette en question la réforme dans son fonds ou dans sa forme. Maintenant, à la veille d'un grand changement comme celui là et quand vous êtes au stade de l'implémentation et de la mise en œuvre, donc des négociations avec les opérateurs existants ou les partenaires sociaux, il est très difficile de tout réaliser dans le consensus et il faut beaucoup d'effort et de volonté de part et d'autre pour converger ensemble vers la même vision. Nous avons vécu cela dans le transport routier de marchandises et dans l'aérien avant, mais nous sommes parvenus à faire sortir les réformes et tout le monde s'en félicite aujourd'hui. Pour revenir au portuaire, il faut savoir que sur Casablanca, il y a cinq sociétés de stevedores. Elles emploient à la fois du personnel direct et de la main d'œuvre occasionnelle. Dans la nouvelle loi, ces sociétés devront -pour continuer à travailler- opérer à bord et sur les quais, donc investir en matériel (grues.. ). Afin de préserver les emplois et les opérateurs présents, nous avons proposé à ces sociétés de se regrouper en une seule société et de bénéficier d'une concession de quais préservant le chiffre d'affaire actuel consolidé de l'activité des stevedores, avec des perspectives de développement. Deux stevedores ont refusé et trois ont accepté et négocient aujourd'hui avec le ministère les termes des conventions qui vont dans ce sens. La COMANAV qui mène ce futur groupement doit créer une société qui s'engage à embaucher la totalité de la main d'œuvre dockers (1088 personnes), à qui nous garantissons l'emploi et le respect des droits sociaux établis par la convention collective qui les lie aujourd'hui à l'association des stevedores. Ces garanties ont été formulées au syndicat des dockers lors de la réunion du lundi 30 octobre dernier, réitérées lors des réunions à la wilaya de Casablanca du mercredi 1er novembre et remises par écrit au syndicat le jeudi 2 novembre. Les syndicats refusant de signer cet accord, nous ne pouvons que réaffirmer notre engagement à garantir l'emploi et le statut des 1088 dockers via la société que créeront la COMANAV et ses deux partenaires et qui sera le deuxième concessionnaire manutentionnaire au port de Casablanca. Pourquoi refusent-ils cet accord ? Qu'ont-ils demandé que vous n'avez pu satisfaire ? Ils nous ont demandés, au départ, de leur garantir les emplois et le statut, chose que nous avons faite. Le problème, aujourd'hui, c'est que ces employés doivent accepter que leur actuel employeur ne pourra plus opérer à partir du 5 décembre et rejoindre la nouvelle société que va créer la COMANAV et qui s'engage à garantir l'emploi de l'ensemble des dockers présents au port. J'espère que le syndicat redistribuera ses cartes et fera prévaloir l'intérêt de ce millier de familles que représentent les dockers. Nous allons, de notre côté, continuer dans la voie du dialogue tout en veillant à l'intérêt général communautaire et de l'économie en faisant entrer en vigueur et appliquer la loi dans les délais légaux, c'est-à-dire le 5 décembre. Cette réforme touchera tous les ports marocains… Absolument. Nous avons commencé par le port de Casablanca et par la suite nous appliquerons les dispositions de la loi à tous les autres ports du royaume. Aujourd'hui, on initialise le processus. Demain, on peut lancer un appel d'offre, à travers l'agence, à Agadir pour un terminal à conteneur. La réforme s'appliquera à tous les ports et permettra une réactivité sur le terrain et une diversification. Est-ce que le capital de la SODEP sera ouvert à des investisseurs privés ? Pas dans l'immédiat. La SODEP est une société d'Etat. On peut par la suite la privatiser ou ouvrir une part de son capital. Cela dépendra de l'évolution du secteur. Le but ultime est d'avoir dans les meilleurs délais de la concurrence au sein des ports et entre les différents ports. Le gouvernement Jettou a-t-il initié la relance économique par l'établissement des grands projets ou est-ce uniquement la pluviométrie qui a permis ce chiffre ? La déclaration du gouvernement précise parfaitement que le but de ce gouvernement est de réaliser un décollage économique. Les programmes qui concernent les infrastructures, l'habitat et le tourisme l'illustrent parfaitement. Juste, entre parenthèses, cette formule se retrouve dans le programme des dernières élections du parti de l'Istiqlal qui revient largement sur ce volet. Ceci dit, le gouvernement a entamé une dynamique économique palpable. Avec un grand programme mis en œuvre et plus de 50 milliards de dirhams d'investissement, rien que pour les grandes infrastructures. En outre, Sa. Majesté veille sur la réalisation de ces grands projets et demande à son gouvernement d'appliquer la politique économique adéquate. le Maroc, aujourd'hui, est en chantier et la relance économique par les grands chantiers a donné ses fruits. Nous avons, en dehors de l'agriculture, une croissance de 5 %, le chômage baisse et dans certains secteurs nous avons une croissance à deux chiffres. Le fait de donner des concessions et d'encourager l'investissement privé ( projet SABRE, l'avenue royale à Casablanca…) est en phase avec le lancement des grands projets ? Effectivement. Le but est de réaliser le maximum de projets d'infrastructure. Ceux qui peuvent être financés par le privé sont établis dans ce sens et l'Etat prend en charge les projets structurants, difficilement rentables pour les privés. Il y a une cohérence dans l'approche de l'Etat : la mise à niveau des infrastructures pour donner l'environnement incitatif à l'investissement et à la création d'emplois. Il y a un potentiel et une réelle opportunité de décollage économique. Cela dit, on doit continuer le travail et entretenir cet effort. Pourtant, on a critiqué le gouvernement Jettou en l'accusant d'être une équipe hétéroclite qui manque d'homogénéité ? Il y a des institutions dans notre pays. Le gouvernement est responsable devant Sa Majesté et devant le Parlement. Il a fait une déclaration de politique générale qu'il s'est efforcé de respecter et de réaliser. Nous travaillons tous dans ce cadre de responsabilité partagée et d'intérêt commun. Parfois, nous pouvons travailler en équipe, selon les sujets. Quand il y a des désaccords ou des conflits, et c'est très sain quand cela arrive, le Premier ministre arbitre, coordonne et tranche. Je propose au lieu d'hétéroclite, un gouvernement riche par sa diversité. Lors de la constitution du gouvernement Jettou, certaines voix ont laissé entendre que les jeunes ministres istiqlaliens ont été imposés et ne viennent pas des rangs du parti. Cinq ans après pensez-vous que Karim Ghellab est un militant de l'Istiqlal ? Je crois que je me suis toujours défini comme un membre de l'Istiqlal. Je me retrouve dans les valeurs de l'Istiqlal même s'il est vrai que par le passé, je n'étais pas du tout actif. Toutefois, depuis quatre ans que je représente le parti au sein du gouvernement, j'agis comme le militant engagé que je me dois d'être. Que ce soit en tant qu'élu local ou en tant que ministre, je me considère comme un vecteur de ce parti. Ma position est claire au sein de ma famille politique. Il y a une organisation et j'en fais partie : je suis membre de la section du parti de Sbata, secrétaire provincial et membre du Conseil National et élu local istiqlalien de Casablanca, ce qui m'a permis de me rapprocher de la base du parti. Pensez-vous que le choix de la Koutla démocratique est la bonne solution pour l'Istiqlal ? Sachant que cette alliance n'a jamais fonctionné lors des échéances électorales. Pensez-vous que cette alliance est contre nature ? Si on s'arrête à une lecture diffuse, on aura tendance à dire que la Koutla ne fonctionne pas. Contrairement à son apparence, la Koutla démocratique est une formation cohérente. L'Istiqlal est un parti du centre qui a des valeurs conservatrices, mais il est contre les extrêmes. Nous avons toujours défendu l'islam, l'intégrité territorial, la démocratie, les droits de la femme…les autres partis de la Koutla partagent avec nous ces idées. À la base, nous sommes d'accord sur un modèle de société. La Koutla, a aujourd'hui, deux fonctions. D'abord, la continuité de la construction démocratique au Maroc et le passage de la transition démocratique à l'établissement d'une démocratie. Il est important d'avoir une grande composante avec une certaine légitimité qui participe dans ce chantier. Ensuite, il y a le redressement politique social et économique. Au Maroc, nous vivons une période de construction démocratique et de mise à niveau économique et sociale. La Koutla est une force de continuité avec une émanation populaire qui permet de trouver des équilibres permettant de dépasser les problèmes sans remettre en cause l'approche démocratique. Avec tous les différends que connaît la Koutla, on peut dire que le PPS, l'USFP et l'Istiqlal se sont mis d'accord sur la candidature de Mustapha Oukacha et chacun a respecté ses engagements. Cela a prouvé le degré de cohésion entre les membres de la Koutla. En 2007, on peut proposer un programme commun et une charte commune. La Koutla est un acquis qu'il faut préserver. Vous êtes contre une alliance avec le PJD ? Le PJD est un parti islamiste et il le reconnaît. Il cherche un modèle basé sur l'approche islamiste. Je pense que l'Istiqlal a déjà pris la décision de rester au sein de la Koutla et de chercher des alliances au sein de l'actuelle majorité gouvernementale.